Tribunal de Bobigny : « Tu vas voir, je vais pas t’oublier ! Tu vas le regretter »

Publié le 29/12/2021

Une nouvelle audience surchargée commence aux comparutions immédiates du tribunal de Bobigny ce vendredi 10 décembre, avec son lot de renvois pour cause de manque de moyens.

Tribunal  de Bobigny : « Tu vas voir, je vais pas t’oublier ! Tu vas le regretter »
Tribunal judiciaire de Bobigny (Photo : ©M. Barbier)

Trois hommes sont amenés ensemble dans le box des prévenus. Même jeunesse, même gabarit, mêmes cheveux courts sur des visages tirés par la fatigue et l’angoisse. L’un d’eux affiche un timide sourire de courtoisie.

Dossier trop volumineux

D’une voix de théâtre, la présidente distribue les chefs de prévention : on leur reproche d’avoir facilité pendant plusieurs mois l’entrée en France d’étrangers en situation irrégulière par l’achat de billets avec de faux justificatifs, par l’organisation des voyages, l’accueil à l’aéroport de Roissy, l’esquive des contrôles, l’aide à la sortie du terminal. L’un des trois s’est procuré des visas étudiants pour des citoyens russes et ukrainiens. Et le tout en bande organisée.

La présidente leur demande s’ils acceptent d’être jugés en procédure accélérée. C’est oui, mais la question était de pure forme et la réponse inutile. « Le dossier il fait ça, mime la présidente avec ses mains. Les faits ne sont pas tous reconnus. Il faut un interprète. On en a bien pour 3 h 30… Je vais renvoyer pour surcharge d’audience. » Ils sont le menu fretin d’un réseau de passeurs.

Les trois hommes ne semblent pas saisir l’enjeu d’un report. La présidente leur explique : « Vous allez être soit remis en liberté, soit placés sous contrôle judiciaire, soit maintenus en détention… » Auparavant, le tribunal examine leur personnalité et leurs garanties de représentation, c’est sur la base de ces éléments que les juges décideront du sort des prévenus dans l’attente du procès.

Ils sont arrivés en France au printemps dernier et leur casier est vierge – sans quoi les mafias ne les auraient pas recrutés. Ils vivent de petits boulots pas déclarés sur des chantiers, sur des marchés, à la plonge ou comme livreur.

Celui qui sourit explique qu’il s’est réfugié en France après avoir pris le maquis en Algérie. Il s’était engagé dans un groupe des militants pour l’indépendance de la Kabylie. Il a déposé une demande d’asile politique.

« — Je vois que vous avez vous avez un master 2 en chimie ? Pourquoi être venu en France ? Avec un master 2, vous pouviez travailler…

— Le problème ce n’est pas le travail, mais les gens qui donnent le travail ».

Le procureur s’oppose méthodiquement à leur libération sous contrôle judiciaire : « Leurs auditions ne sont pas concordantes ; il faut éviter tout contact entre eux. » L’avocate ne baisse pas les bras : « Je ne conteste pas la lourdeur de ce dossier. Ils ont été entendus, mis sur écoute pendant plusieurs mois. Je n’ai pas les garanties parfaites, mais évoquer un risque de renouvellement, c’est faire fi de la présomption d’innocence. »

Rien n’y fait. Le tribunal renvoie l’affaire au 17 janvier 2022 devant une autre chambre et décerne un mandat de dépôt. Le chimiste souriant s’effondre en apprenant qu’il repart en détention pour un mois de plus.

« Singe blanc »

Le prévenu suivant, Mansour, a plus de chance. Son affaire est a priori plus simple : une altercation avec la police. Il n’a pas besoin de traducteur, il parle parfaitement français. Et il n’est mêlé à aucun réseau, il s’est mis dans le pétrin tout seul.

Le 8 décembre dernier, au volant d’une Renault Clio, il stationne au beau milieu d’une rue de l’Ile Saint Denis. Une autre voiture est arrêtée en sens inverse et les deux conducteurs discutent amicalement, vitres baissées, sans se soucier de la file de véhicules qui s’allonge derrière eux. Jusqu’au moment où une patrouille de police apparaît. Alors Mansour démarre en trombe, avant d’être intercepté et contrôlé. Le véhicule n’est pas assuré.

D’après la déposition des policiers, Mansour refuse de se faire palper, s’agite, crie, provoque en duel de boxe : « Vas-y, je te prends en one to one ! » Il faut quatre agents pour le menotter et l’emmener au poste. Dans la voiture, il se répand en injures, toujours dixit les policiers : « Toi t’es une petite pute. Toi t’es un pédé. Lâche-moi sale pointeur, sale homosexuel ! » Et plus tard : « Toi t’es un vieux singe blanc. » Le tout accompagné de menaces, « Tu vas voir, je vais pas t’oublier ! Tu vas le regretter » Et de répéter en boucle les noms et prénoms d’un policier, vu sur un papier. Soumis à des tests salivaires, Mansour se révèle positif au THC et à la cocaïne.

Sa version n’est pas la même : il s’est laissé faire, dit-il, mais dans la voiture « c’est parti en cacahuète. »

« — Vous avez reconnu que vous aviez dit « sale pute » parce que vous étiez énervé.

— Oui j’étais énervé.

— Donc vous l’avez dit. Et sale pédé, vous l’avez dit ?

— Je ne l’ai pas insulté parce qu’il était homosexuel.

— Et vieux singe blanc ?

— J’ai dit vieux singe…

« Il n’est pas Rédoine Faïd »

Le casier de Mansour lui aussi est blanc comme un cygne. Le garçon de 23 ans travaille comme livreur pour un salaire au Smic. Il verse 500 € à sa mère pour le loyer. L’enquête de personnalité signale une consommation occasionnelle d’alcool et de cannabis en lien, d’après le psychiatre, avec des violences familiales exercées par son père. « Oui », murmure Mansour et la présidente s’étonne :

« — Ce qui est dit là ne colle pas avec votre comportement au cours du contrôle. Vous êtes un garçon bien sous tous rapports, Monsieur. On ne comprend pas comment vous vous mettez dans une situation pareille… »

— Monsieur reconnaît avoir pris des stupéfiants la veille… » relève une assesseure.

L’interrogatoire est fini. Le procureur requiert des jours amendes. L’avocate plaide la résistance passive qui a mal tourné. « Il n’est pas Rédoine Faïd. Des outrages, oui mais pas de menaces. Quand il dit ‘singe blanc’, est-ce qu’il est raciste ? Je ne sais pas. Il veut outrager, mais un manque de respect envers les homosexuels ? Je ne pense pas. »

Mansour écoute et quand vient son tour : « Je voudrais m’excuser auprès de ces agents qui croient que je voulais les atteindre, mais c’était au-delà de mes pensées. »

Il est condamné à 60 jours amende, un stage de citoyenneté et à verser 300 € de dommages et intérêts au policier insulté.

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