Tribunal de Créteil : « Casse-toi, baltringue, rentre dans ton poulailler ! »

Publié le 15/07/2021

Au tribunal correctionnel de Créteil (Val-de-Marne), vendredi 9 juillet, deux thèses se sont affrontées : à huit jours de l’épreuve de philosophie du baccalauréat, un lycéen risquerait-il l’incarcération en menaçant un policier ou ce dernier a-t-il tout inventé au motif qu’il ne l’apprécie pas ?

Tribunal de Créteil : « Casse-toi, baltringue, rentre dans ton poulailler ! »
Tribunal judiciaire de Créteil, salle des pas perdus. Photo : ©P. Anquetin

 La 12e chambre correctionnelle de Créteil affiche complet, ce vendredi, les dernières restrictions sanitaires ayant été levées le 30 juin. Plus de jauges, aussi les bancs sont-ils pris d’assaut par les familles et amis des prévenus. Douze hommes et une femme, âgés de 20 à 61 ans, qui répondent de faits perpétrés entre janvier et juillet 2021. Si certains sont jugés en comparution immédiate à l’issue de leur garde à vue, d’autres ont bénéficié d’un délai pour préparer leur défense. C’est le cas de Théo* qui a décroché son bac et qui intégrera une école de commerce en septembre.

Polo bleu assorti à son jean, cheveux coupés à ras, bras croisés sur le torse, le bachelier de 18 ans n’en est pas à son premier passage devant les juges. Ni à son dernier puisqu’il reste poursuivi dans deux dossiers, non encore inscrits au rôle des audiences. Il affiche un certain aplomb bien qu’il soit conscient que le procès peut rapidement tourner à son désavantage. Et sa posture ne signifie pas qu’il ait menacé de mort et intimidé une personne dépositaire de l’autorité publique.

« On se retrouvera quand t’auras plus ta tenue »

La scène se déroule le 9 juin, à Maisons-Alfort. Selon les procès-verbaux, Théo est assis sur un muret, en surplomb du trottoir, devant une place de parking réservée aux personnes handicapées. Deux gardiens de la paix vérifient que la Twingo a l’autorisation d’y stationner lorsque l’adolescent, encore lycéen, invective l’un d’eux : « Eh, Thomas* le galérien, tu racontes quoi ? Allez, casse-toi, baltringue, rentre dans ton poulailler ! » Sous les rires de ses amis, il multiplie les provocations, jusqu’à désigner le policier par ses prénom et nom, évoquant même sa vie privée. L’équipage l’attrape par les pieds, l’oblige à descendre du muret et l’embarque.

Dans la voiture, toujours selon les fonctionnaires, il menace Thomas : « On se retrouvera quand t’auras plus ta tenue, on verra si t’as des couilles, face à face. » Et, à l’adresse des deux : « Vous n’avez même pas le bac, j’espère ne jamais descendre à votre niveau. » « Il me tutoyait et me parlait comme à un chien », confiera Thomas à ses collègues.

« C’est tous les jours comme ça, dès qu’ils me voient… »

 Théo nie farouchement les faits : « Je n’ai jamais dit ça. Les policiers se sont approchés, je croyais que c’était à cause des masques qu’on ne portait pas. C’est tous les jours comme ça, dès qu’ils me voient… » On comprend que ce « ils » concerne particulièrement Thomas qui aurait une dent contre lui. La présidente Élise Rinaudo s’étonne :

« – Pour quelles raisons ? Et pourquoi inventerait-il ces propos corroborés par son collègue ? »

– Je ne sais pas. Je ne comprends pas pourquoi il raconte ça ! »

Convoqués à la barre, deux témoins confirment sa version. « Le policier a dit à Théo : “Tu te crois beau, là-haut” ? L’instant d’après, il le tirait et lui passait les menottes. Il n’y eu pas eu de menace », assure l’un. Le second est tout aussi affirmatif : « Il n’y pas eu de provocations. Il lui a passé les menottes direct. » Il raconte un épisode survenu quelques jours plus tôt : « Lors d’un contrôle, des gardiens de la paix m’ont demandé : “Il passe le bac cette année, Théo ?” J’ai dit oui. “J’espère qu’il va le rater !”, a répondu l’un d’eux. »

Me Marilou Lepage, qui représente la partie civile, n’est pas convaincue. Le passé de Théo, « qui n’est pas un enfant de chœur », est du pain bénit pour l’avocate parisienne. « Les policiers ne peuvent pas avoir inventé ça. Il serait victime d’une cabale de la police ? Comme si elle n’avait que cela à faire ! » Elle souligne la divulgation « inquiétante » et « attentatoire » de l’identité de son client et de détails sur sa vie personnelle.

« Ciblé par une campagne de harcèlement ? C’est farfelu ! »

 L’auditeur de justice qui siège au côté de la procureure est du même avis : « En France, les policiers n’arrêtent pas les gens sans raison ! », assure-t-il avec conviction. L’auditoire aimerait la partager. « Monsieur est ciblé par une campagne de harcèlement ? C’est farfelu ! », assène le futur magistrat.

Selon lui, l’excuse brandie est un signe de « l’absence de maturité » d’un jeune visé par des procédures pendantes, dont une pour outrages envers les forces de l’ordre. Il requiert dix mois de prison avec sursis probatoire de deux ans et l’obligation d’indemniser le plaignant.

Me Gladys Clap, avocate à Saint-Maur-des-Fossés, intervient en défense de Théo. Elle rythme sa plaidoirie d’une anaphore. « Ce n’est pas simple, car le tribunal pose le postulat que les faits sont incontestablement justes ». « Ce n’est pas simple car le principe de culpabilité semble établi », parce qu’on lui donne « l’illusion de croire » qu’elle remplit un rôle. Elle invoque Michel Zecler, le producteur de rap violemment brutalisé par des policiers le 21 novembre 2020 à Paris, pour persuader les juges que la vérité diffère parfois de ce que rapportent les procès-verbaux. « Vous dites, confrère [en fait sa consœur, Ndlr] que cela peut arriver, mais pas cette fois. Pourtant, vous n’y étiez pas ! »

Gladys Clap non plus mais elle connaît bien Théo et livre un argument de poids : « Dans la voiture, il aurait dit : “On se retrouvera quand tu n’auras plus ta tenue, on verra si t’as des couilles”. Pour cela, il risquait la prison. Une telle menace proférée à une semaine du bac, cela aurait été de l’auto-sabotage ! Je n’y crois pas. » La présidente interrompt la plaidoirie : « On a compris, Maître. » Loin d’être déstabilisée, Me Clap insiste : « Le port de l’uniforme ne peut plus suffire à emporter la conviction du tribunal. Faites preuve d’audace intellectuelle ! »

En fin de journée, alors que la tension s’accroît tant les dossiers s’empilent encore sur la table d’audience, la présidente rend le jugement : Théo est relaxé. Si la décision n’implique pas que le fonctionnaire assermenté a tout inventé, elle exprime clairement que les policiers doivent prouver les faits de manière irréfutable.

 

*Prénoms modifiés

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