Tribunal de Créteil : Un artiste désespéré se métamorphose en voleur compulsif

Publié le 23/08/2021

En l’espace d’un mois, Clément* a expérimenté les vols avec violence, le recel, l’escroquerie, l’interpellation, la garde à vue et la prison. A 33 ans, cet homme jusqu’alors irréprochable a « pété un câble », selon ses mots, à cause d’une succession d’épreuves depuis le début de la pandémie.

Tribunal de Créteil : Un artiste désespéré se métamorphose en voleur compulsif
Tribunal judiciaire de Créteil, salle des pas perdus. Photo : ©P. Anquetin

Si, durant quelques secondes, on fait abstraction de la peur et du préjudice de ses victimes, l’homme dans le box, au bord des larmes, fait peine à voir. Clément lui-même n’en revient pas d’avoir commis cinq délits entre les 7 et 29 juin, avec le sang-froid d’un habitué des tribunaux, lui qui n’en avait jamais franchi le seuil. « C’est effrayant », ne cessera-t-il de répéter lors de son procès à Créteil (Val-de-Marne), le 6 août dernier.

Les magistrats de la 12e chambre correctionnelle sont les premiers surpris. Le prévenu détonne parmi les comparants du jour. Aussi prendront-ils le temps d’analyser les événements qui ont conduit cet artiste peintre à voler une carte bancaire, un téléphone, des sacs, faisant à trois reprises usage de la violence.

« Vous dérobez une carte bleue pour un pain au chocolat ? »

 Il comparaît détenu depuis le 29 juin, date de son interpellation. Incarcéré au centre pénitentiaire de Fresnes à l’issue d’une garde à vue de 24 heures, il y a sollicité l’aide du psychologue et a entrepris son introspection. D’où son attitude de repentance à l’audience. Il n’avoue pas seulement les faits, il les regrette sincèrement sous le regard de sa mère affligée. Elle non plus ne saisit pas pourquoi son grand fils amaigri s’est transformé en voyou de Créteil à Fontainebleau et Combs-la-Ville (Seine-et-Marne), en passant par Boussy-Saint-Antoine (Essonne) et Paris. Un tour d’Île-de-France effectué avec sa propre voiture, ce qui a facilité son identification.

Le président Sébastien Hauger commence par le premier vol. Ce 7 juin, le peintre approche une femme devant un distributeur d’argent à Paris. Elle a glissé sa carte bancaire dans une poche. Il s’en empare subrepticement et tente de retirer quelques billets au guichet de la Banque postale. En vain, bien sûr. Première erreur de débutant.

Finalement, il s’offre « des bricoles à trois francs six sous », révèle le juge.

« – Vous dérobez une carte bleue pour un pain au chocolat et des biscuits ? Franchement, je ne comprends pas…

– Moi non plus. J’avais des besoins financiers, j’espérais… Je ne sais pas…

– Quelle était l’origine de ces besoins ?

– J’avais été sélectionné pour réaliser trois œuvres, un gros projet, il fallait du matériel que je ne pouvais pas payer. »

« La dame a chuté quand elle m’a poursuivi »

 Au fil de l’interrogatoire, on apprend que sa chance d’avoir été distingué parmi d’autres artistes en lice l’a précipité dans les affres : « J’avais si peur de ne pas réussir que j’ai pété un câble. Je m’en veux terriblement », dit-il. « Vous pétez un câble cinq fois ! Pour une première, vous faites les choses en grand », riposte le président, qui examine les délits suivants.

Le 18 juin, halte en forêt de Fontainebleau où il soustrait le sac à dos d’un randonneur. Le 19, à Boussy-Saint-Antoine, il vole à l’arraché le téléphone d’une femme en communication dans la rue. Le 22, à Combs-la-Ville, c’est un sac à main, subtilisé selon un mode opératoire identique. A chaque fois, il fuit en courant vers sa voiture. Seconde erreur de novice. A Créteil le 29, il récidive. Mais la femme à qui il a pris son sac le poursuit. Elle tombe, se blesse, se redresse, termine son sprint derrière le véhicule de Clément. Elle relève l’immatriculation. L’arrestation suivie de la perquisition permettra la restitution des biens volés.

Le médecin légiste délivre à la dernière victime un certificat d’incapacité de travail de cinq jours. Le juge : « Elle présente des ecchymoses à un bras, à un pied, c’est grave, tout de même ! Vous dites aux policiers que ce n’est pas votre faute ?

– Jamais je n’ai voulu lui faire mal. Je ne l’ai pas poussée. La dame a chuté quand elle m’a poursuivi.

– Mais enfin, arracher le sac d’une personne, c’est de la violence !

– Oui, c’est malheureux, je suis désolé. C’est effrayant, ce qui m’est arrivé là… Je vous prie de m’excuser… »

Une brutale dégradation de son existence

 Le tribunal entend ses remords, convient que « les faits sont surprenants ». Il faut donc explorer sa vie depuis le début de l’année 2020 pour éclaircir cette incursion soudaine dans la sphère délictueuse. D’abord, son épouse le quitte à l’aube de la pandémie. Le premier confinement entraîne la perte de son emploi de technicien qui lui rapportait assez pour qu’il se consacre le soir à sa passion : la peinture. Ne bénéficiant plus que d’une indemnité de chômage de 1 200 euros, il est forcé de quitter son appartement. Après dix ans de mariage, Clément se réinstalle chez ses parents. A 33 ans, il a le sentiment de régresser et sombre dans la dépression.

Si la procureure Juliette Thiery veut bien tenir compte de son casier vierge et d’un égarement manifeste, elle note cependant « une gradation dans les faits inquiétante ». Par conséquent, elle requiert deux ans de prison, moitié avec sursis, propose un placement sous surveillance électronique.

L’avocate de Clément, qui veut rester anonyme bien qu’elle ait plaidé avec talent, insiste sur l’essentiel : « Il est étranger à un quelconque schéma de délinquance, tout ce qu’il a dérobé se trouve dans sa chambre, il n’a aucun contact pour écouler la marchandise (…) Six semaines de détention lui ont permis de réfléchir. Il est inutile de le renvoyer en cellule dont il n’ose plus sortir tant il est terrifié. »

A l’issue d’un rapide délibéré, les juges le condamnent à 18 mois de prison intégralement assortis du sursis. Il faut toutefois qu’il se soigne, indemnise à hauteur de 400 € les plaignants et poursuive la réalisation de ses œuvres. Sa mère quitte rapidement la salle pour se rendre à Fresnes. Après la levée d’écrou, elle le ramènera à la maison.

 

*Prénom modifié

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