Tribunal de Meaux : À 19 ans, elle tue son amie d’enfance dans un accident

Publié le 26/05/2023

Les audiences ouvrent parfois des parenthèses d’une extrême intensité émotionnelle. Ce fut le cas jeudi 25 mai lorsque, au tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), le père d’une jeune fille morte sur la route en 2022 s’est levé pour enlacer et consoler Nadia*, conductrice responsable du drame. La victime et la prévenue s’aimaient depuis leur entrée en maternelle.

Tribunal de Meaux : À 19 ans, elle tue son amie d’enfance dans un accident
Salle des pas perdus du tribunal judiciaire de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 Il faudrait commencer le récit par l’exposé des faits, ou peut-être consacrer nos premiers mots à Bintou qui aurait fêté ses 20 ans cette année, aux siens qui la pleurent depuis le 5 décembre 2022. Mais voilà, il y a cet instant qui dure une trentaine de secondes et qui fige l’assistance dans la 1re chambre correctionnelle. Magistrats, greffier, huissière, avocats, les collégiens, leurs professeurs, tout le monde entre en communion silencieuse avec les deux êtres qui s’étreignent. Nadia* était accrochée à la barre, regard rivé sur ses trois juges qui venaient de réintégrer le prétoire après une courte pause. À sa droite, le papa de Bintou était assis courbé, tête entre ses mains, le front touchant presque les genoux.

Et soudain il se redresse, se lève. D’un pas lourd, il franchit le mètre qui le sépare de Nadia, la prend dans ses bras. La jeune comparante enfouit son visage dans le cou du père, sanglote, le corps secoué de hoquets. « Ça ira… ça va aller… », répète Fousseyni, lui tapotant les épaules, le dos. Il retourne à son banc. Nadia trouve un coin de mouchoir encore sec ; une dame tend des Kleenex au papa. Leurs larmes s’unissent dans un calme écrasant. On songe à cette citation de Jean Giono : « C’est un silence de plein ciel, dans l’abandon du ciel » (1).

« Je tape le trottoir, je dérape et la voiture se retourne… »

Le procès de Nadia avait débuté à 14 heures, devant une classe d’élèves au comportement exemplaire. En jean bleu et chemise à carreaux, la jolie jeune fille se pensait alors incapable de faire face à la justice, de tenir bon, de ne pas s’écrouler. Me Évelyne Janelli, son avocate, lui avait dit combien il était important de surmonter cette épreuve – y compris pour sa reconstruction. Nadia est donc là, anxieuse, accablée d’un chagrin qu’accentue la présence du père de Bintou, qu’elle considérait « comme [sa] sœur ».

L’homicide involontaire dont elle répond, aggravé par la vitesse excessive de nuit et sous la pluie, s’est produit le 5 décembre à 0 h 40 à Moutoux, près de Coulommiers. Nadia, qui détient son permis depuis onze mois, conduit la Peugeot 207 de sa sœur. À bord, deux amies, l’une à l’arrière, Bintou à l’avant, qui n’a pas sa ceinture de sécurité. Sur la D934 limitée à 50 km/h, Nadia roule « à 80, 85 », admet-elle ce jeudi 25 mai 2023 : « Tout s’est passé super vite. Je tape le trottoir, je dérape et la voiture se retourne. Je vois des trucs tout pétés… » Les « trucs » sont deux voitures en sens inverse et un arbre de 20 centimètres de diamètre sectionné en deux. Entre le trottoir et l’immobilisation du véhicule, la distance est de 16 mètres…

Bintou a été projetée contre le parebrise et éjectée sur la banquette arrière. Elle est inerte. « J’ai tué Bintou ! Je l’ai tuée », hurle Nadia qui s’extrait avec son autre amie, indemne comme elle, par une vitre. Les secours constatent le décès de la jeune fille née en 2003, victime d’un traumatisme crânien.

À l’évocation, par le président Guillaume Servant, de la faute grave qu’elle a commise et de l’issue fatale, la prévenue contient difficilement ses pleurs et secoue la tête de droite à gauche : non, elle ne peut plus parler.

« Je ne tournerai jamais la page »

 Avec délicatesse, le juge insiste un peu, l’assesseure Magalie Cart pose une question simple : « – Pourquoi Bintou n’était-elle pas attachée ?

– Je lui avais demandé de mettre sa ceinture, elle m’avait répondu “je suis majeure”. C’était sa décision… Je ne veux pas la blâmer… », dit-elle d’un filet de voix.

Le procureur Boulin : « – Depuis quand la connaissiez-vous ?

– la maternelle…

– Êtes-vous suivie par un psychologue ?

– Oui, je le vois toutes les deux semaines, parfois plus.

– Quel regard portez-vous sur les faits, aujourd’hui ?

– Je n’arrive pas à… ma culpabilité… ma responsabilité… (sanglots). Je ne tournerai jamais la page.

– Si vous le pouviez, que changeriez-vous ?

– TOUT ! », crie-t-elle.

Interrogée sur la conduite rapide qu’elle semblait apprécier – un témoin a précisé qu’il lui arrivait de rouler à 150 km/h sur l’autoroute (le maximum est fixé à 110 pour un débutant), Nadia indique « ne plus [se] projeter sur les routes ».

Parties civiles, les avocats d’une conductrice à la voiture détruite et d’un assureur plaident brièvement. Difficile de parler d’argent face au malheur partagé. « Et vous, Monsieur ? » Le président Servant explique au père de Bintou que selon les termes de la loi, il est « victime par ricochet ». Le papa hésite. « Voulez-vous vous entretenir avec un avocat ? » Fousseyni opine. La bienveillance du juge le bouleverse un peu plus. Il part prendre conseil en salle des pas perdus.

« À son poignet, elle porte le bracelet de Bintou »

 C’est à la suite de cette suspension, tandis que le tribunal attend le retour du procureur, que le père enlace l’enfant qu’il a connue toute petite. Il se constitue partie civile pour avoir le jugement. Il ne demande rien d’autre. Alexandre Boulin, qui représente l’accusation, l’annonce d’emblée : « C’est le genre de dossier qu’on déteste, il est terrible pour tous. » La famille de la victime, la prévenue, « d’autant qu’il ne s’est écoulé que six mois depuis l’accident. L’homicide involontaire, cela signifie : sans le vouloir ; il faut l’entendre. C’est le dossier de Monsieur et Madame tout-le-monde, il nous concerne tous ». Mais « il y a la vitesse, et le préjudice existe ». « Pour tenir compte de la jeunesse » de Nadia, de sa moralité irréprochable et de ses remords, il requiert 18 mois de prison avec sursis simple, une amende de 90 € et, bien sûr, l’annulation de son permis qu’elle ne repassera pas avant un mois.

Me Évelyne Janelli, restée debout à la gauche de Nadia, salue « le courage et la dignité de ce papa ». Visiblement émue, elle plaide avec intelligence : « La situation est compliquée. Elle a besoin d’assumer sa responsabilité, a besoin d’une sanction, qui est aussi le début de la réparation (…) “Tous les jours, je revis la scène”, m’a-t-elle confié. Cette nuit terrible… » L’avocate du barreau de Meaux révèle que Nadia « voit la maman de son amie, qui était comme sa sœur : à son poignet, elle porte le bracelet de Bintou ». La plaidoirie immobilise les visages graves des collégiens. Me Janelli espère une peine clémente, sa non-inscription au bulletin n°2 du casier judiciaire qui permettra à sa protégée de poursuivre ses études d’infirmière : « Ce métier l’aidera à se tourner vers les autres et à vivre avec Bintou. »

À 16h05, la jeune fille est condamnée à 15 mois de prison avec sursis. Elle paiera l’amende requise et se représentera, si elle le veut/peut, à l’examen du permis de conduire dans six mois. La dispense d’inscription au B2 est accordée. Nadia quitte la salle. Le papa de Bintou l’accompagne, la main droite posée sur son dos.

* Prénom modifié

(1) Le Grand Troupeau, paru aux Éditions Gallimard en 1931

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