Tribunal de Meaux : « À 28 ans, vous avez un petit pois dans le crâne ! »
Au propre et au figuré, Paul* en a pris plein la tête. D’abord le 14 juillet quand un tir de Flash-Ball l’a gravement blessé au visage. Puis au procès à Meaux (Seine-et-Marne) lorsque le président a jugé son comportement « inexcusable ». En dépit de la légèreté du dossier, il a été écroué.
Il arrive que l’on s’interroge sur les procédures de comparution immédiate (CI) censées apporter une réponse pénale rapide. Initiées par le procureur pour déférer un suspect à l’audience après sa garde à vue, ou sous deux à six semaines s’il veut préparer sa défense – c’est le cas de Paul –, la CI est privilégiée quand les faits, clairs et simples, ne nécessitent pas d’enquête approfondie. De plus en plus utilisée en chambre correctionnelle d’Île-de-France, où la hausse d’affaires impose de vite les traiter, elle révèle parfois des failles. Comme d’oublier l’essentiel : le droit de tous à être sanctionné sur la base d’éléments avérés.
Paul, 28 ans, aurait préféré que la police approfondisse ses investigations, ne serait-ce que par un relevé d’empreintes pour prouver qu’il est l’auteur de tirs au mortier d’artifice contre des gardiens de la paix, dans la nuit du 13 au 14 juillet. Seule certitude : quand les forces de l’ordre ont été ciblées place Pablo Picasso, à Champs-sur-Marne, il s’y trouvait.
« En garde à vue, ses droits n’ont pas été respectés »
Le 29 août, un mois et demi après la trentaine de rixes recensées cette nuit-là en Seine-et-Marne, les stigmates de ses blessures au lanceur de balles de défense (LBD) n’ont pas disparu. Couramment appelé Flash-Ball (nom de la marque), susceptible de mutiler, il est régulièrement employé contre les manifestants violents. Paul a été visé en pleine face, ses multiples fractures l’ont envoyé dix jours à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière. Il a porté plainte. Deux policiers aussi : ils affirment que Paul a pointé son mortier vers eux. Il comparaît pour violence sur personne dépositaire de l’autorité publique le 14 juillet, conduite sous cannabis en récidive le 27, lors de son arrestation. C’est là que le bât blesse.
« En garde à vue, ses droits n’ont pas été respectés », établit son défenseur, Me Thierry Benkimoun, qui dépose des conclusions de nullité. Pas d’avis au parquet ni à sa mère, pas d’avocat bien qu’il ait sollicité ses services, un test de dépistage à la drogue peu probant. La procédure étant « entachée d’irrégularités » – ce dont convient le ministère public –, il demande son annulation. Puisque cette garde à vue est en partie consécutive au délit du 14, tout doit selon lui passer à la trappe. Il s’oppose à ce que l’incident soit joint au fond. Il le sera pourtant après un court délibéré.
Atteint par le tir de Flash-Ball en plein visage
Le président Guillaume Servant résume « la guérilla urbaine » du 14 : 30 jeunes en furie contre la police, feux de poubelles, tirs au mortier. Dans ce contexte, « un individu en tee-shirt rose perd l’équilibre, chute face contre terre sur des tessons de bouteille ». Il vient d’être touché par le Flash-Ball. En sang, menotté, il dit s’appeler « Nicolas C. ».
Compte tenu de son état, il est transporté à l’hôpital, opéré dans la foulée. Aux pompiers, il aurait fourni sa véritable identité. Une confidence qui n’a pas été vérifiée, regrette son conseil. Néanmoins, l’appel téléphonique de « Nicolas » fut passé à la maman de Paul. Qu’importe son prénom, cela ne signifie pas indubitablement qu’il est le délinquant muni d’un mortier. Au passage, celui-ci n’a pas été saisi.
L’intervention chirurgicale ayant entraîné la levée de sa garde à vue le 14, elle est reprise le 27 lorsqu’il est interpellé au volant, prétendument sous cannabis. Problème : ni les pompiers ni les policiers n’ont été auditionnés. Un de ces derniers le sera le 18 ; il assure ne pas avoir tiré au LBD sur Paul. Cependant, croyant reconnaître « Nicolas C. » comme étant son agresseur, il se constitue partie civile, ainsi qu’un de ses collègues. Dans le fichier du TAJ (traitement d’antécédents judiciaires), figure la photo de Paul, lequel ressemble à Nicolas. Ainsi est-il confondu, bien que le cliché n’ait pas été versé au dossier. Le prévenu ne comprend pas pourquoi il comparaît sans que d’autres vérifications soient menées. Le principe de la CI lui échappe.
« Cette procédure est mort-née ! »
Le public n’est guère plus éclairé. Se considérant innocent des agissements du 14 juillet, injustement poursuivi pour ceux du 27, il choisit de garder le silence. Le président tente d’infléchir sa position : « Je ne suis pas sûr que la chute soit à l’origine de vos graves dommages au visage, je penche pour un tir de Flash-Ball », concède-t-il, reconnaissant son préjudice. Silence.
Paul n’est pas un perdreau de l’année. Ce routier, condamné à 14 reprises, l’a été 10 fois pour conduite sous l’empire de drogue. Avec son conseiller de probation, qui l’a suivi dans le parcours de soins contre l’addiction, « ça s’est bien passé ».
Pour Me Maria Cuco, au soutien d’un policier, « les faits sont établis ». Son client demande 200 €, comme le second fonctionnaire, non représenté. La procureure Léa Dreyfus non plus n’a « aucun doute ». Elle requiert un an de prison dont quatre mois avec sursis, l’obligation de soins, de travail, et ne s’oppose pas au port du bracelet électronique. Elle suggère la relaxe du délit de conduite sous cannabis.
Selon Me Thierry Benkimoun, « cette procédure est mort-née ! On n’a rien, pas de photo du TAJ, de relevé d’empreintes prouvant que mon client est l’homme qui a menacé les policiers au mortier. On ne les a pas fait revenir le 27 afin de l’identifier. On peut spéculer, pas condamner ! ».
Ce que fera toutefois le tribunal : un an de détention dont trois mois ferme à exécuter illico, un sursis probatoire durant deux ans, l’indemnisation des parties civiles. Paul encaisse amèrement, et plus encore les propos du juge, ex-procureur : « A 28 ans, vous avez un petit pois dans le crâne ! On n’est pas au Far West, on ne tire sur les forces de l’ordre payées pour protéger votre mère. C’est inexcusable, il faut grandir ! » Il est relaxé dans le dossier du 27.
Trois policiers menottent le jeune homme en tee-shirt blanc, pantalon kaki bien repassé, direction la prison de Meaux où, cet été, le taux d’occupation atteignait 177 %.
*Prénom modifié
Référence : AJU316231