Tribunal de Meaux : Au centre équestre, les chevaux mieux respectés que les salariés

Publié le 26/11/2024

Patron d’un haras de Conches-sur-Gondoire (Seine-et-Marne), Romuald est « peut-être atteint d’une phobie administrative », phénomène rendu célèbre par un éphémère secrétaire d’État du gouvernement Valls. Ainsi la présidente du tribunal de Meaux analyse-t-elle l’absence du fantôme des audiences, poursuivi pour banqueroute et travail dissimulé.

Tribunal de Meaux : Au centre équestre, les chevaux mieux respectés que les salariés
Salle d’audience au Tribunal judiciaire de Meaux (Photo : I. Horlans)

 « On en est arrivé à devoir compter sur la victime pour nous expliquer le dossier ! », fulmine le substitut du procureur Alexandre Verney. Romuald, 49 ans, ne s’est de nouveau pas présenté à son procès, le 12 novembre. Pas plus que son avocate. Convoqué pour avoir employé « au noir » un jeune homme floué depuis trois ans, et pour banqueroute, le directeur du centre équestre de Conches-sur-Gondoire n’avait pourtant que 26 kilomètres à parcourir entre son haras et le palais de justice. Et l’on peut supposer qu’il se savait attendu puisqu’il avait reçu une convocation par officier de police judiciaire : la COPJ permet d’éviter tout problème de notification.

Cela tombe bien car Romuald « ne retire jamais ses lettres recommandées avec accusé de réception », révèle la présidente Isabelle Florentin-Dombre. Après examen de ses antécédents, elle réalise qu’en fait, « il ne se présente jamais aux audiences ». D’où son allusion à « la phobie administrative » – concept qui fit florès en 2014 grâce à un secrétaire d’État qui n’avait payé ni ses impôts ni son loyer durant trois ans – dont peut souffrir l’instructeur d’équitation.

« Les bulletins de salaire qui m’ont été remis étaient des faux »

 Partie civile, la Mutualité sociale agricole a signalé les faits en 2021, après avoir constaté le non-paiement des cotisations depuis septembre 2020. Le préjudice, établi à 34 093 €, a entraîné la désignation d’un mandataire, qui a logiquement exigé les registres comptables. Romuald n’a produit qu’un bilan arrêté au 30 juin 2020. Il ne tenait pas de comptabilité. D’où le délit de banqueroute retenu après liquidation judiciaire de la société. Incluant les créances fiscales et sociales, son passif s’élève à 79 000 €. La procédure collective demeure en cours.

Ce qui n’empêche pas le directeur-instructeur (ainsi se désigne-t-il sur son site Internet) de présider un haras sous la forme d’une société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU). Sur la page Facebook de l’entreprise, on voit des chevaux mieux traités que Julien*, l’autre partie civile. Dès lors, ce dernier comprend mal pourquoi son ancien patron, qui paraît bien installé et qui poursuit ses activités, ne règle pas ce qu’il lui doit.

« Condamné à plusieurs reprises » au conseil de prud’hommes, indique la juge, y compris la dernière fois avec astreinte, Romuald continue à faire le mort.

Appelé à la barre, Julien raconte sa mésaventure : « Je n’étais pas déclaré. Et depuis, rien n’y fait, il ne me paie pas. Les bulletins de salaire qui m’ont été remis aux prud’hommes étaient des faux. » Mme Florentin-Dombre lui explique que, « malheureusement », il ne figure pas au rang des créanciers privilégiés.

Un litige avec son expert-comptable… qui ne le connaît pas

 L’absence du prévenu oblige les magistrats à s’appuyer sur le dossier et les déclarations de Julien – ce qui irrite le parquet. Entendu en 2023, Romuald a invoqué pour sa défense « un litige avec [son] expert-comptable », lequel serait donc responsable du défaut de justificatifs. Puis, apprenant que ledit expert assurait ne pas le connaître, il a modifié sa version : « J’ai perdu ma comptabilité. »

S’agissant de Julien, qui travaillait au noir, le directeur du centre équestre a précisé « avoir déclaré tous [ses] salariés, sauf lui » (le jeune employé n’a donc pas eu de chance) et admet « en partie [sa] responsabilité ». Personne ne sait à quelle partie seulement il fait référence. Dépité, Julien se rassoit. Il est très jeune, c’était sa première expérience professionnelle, on le sent à deux doigts de pleurer.

Le substitut du procureur regrette que le prévenu « fasse fi de tout cela » : joignant le geste au reproche, son bras gauche trace un large cercle, comme pour délimiter le champ des procédures. Il ne dispose même pas de celle, pendante, confiée au mandataire judiciaire. M. Verney requiert 4 000 euros d’amende et une interdiction de gérer.

Laquelle est fixée à cinq ans par le tribunal, avec exécution provisoire, soit dès la signification du jugement contradictoire (à condition que celui-ci lui soit remis en main propre). L’amende est légèrement diminuée : 3 000 € à régler sans délai, qu’il fasse appel ou non. Julien reviendra le 10 juin, date de l’audience sur intérêts civils. Il quitte la chambre correctionnelle du pas lourd de celui devinant que, sauf miracle, il ne récupérera ni son argent ni ses fiches de paie.

 

* Prénom modifié

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