Tribunal de Meaux : « Ça t’regarde, pourquoi j’vois plus mes enfants ?! »

Publié le 16/02/2022

Si Vincent avait fait preuve de respect envers les magistrats du tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), il aurait été moins lourdement sanctionné. Mais le prévenu, en évasion depuis quatre ans, a préféré jouer les fortes têtes devant les 31 personnes venues le soutenir à l’audience.

Tribunal de Meaux : « Ça t’regarde, pourquoi j’vois plus mes enfants ?! »
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 

« Dans le monde idéal des Bisounours, mon client aurait dit : “Je regrette”. Seulement voilà, il est ainsi, et je vous prie d’excuser ses propos exprimés sous le coup de l’abattement et du stress. Ce n’est pas de la désinvolture », plaide Me Jean-Christophe Ramadier ce vendredi 11 février, à l’issue d’un procès chargé d’électricité. Il est donc « ainsi », Vincent, 31 ans, beau gosse aux airs de mauvais garçon. Tantôt il invective, mine renfrognée et regard dur ; tantôt il tombe le masque sanitaire pour montrer qu’il rit et se moque des juges.

Aux côtés de trois amis, il comparaît pour « des faits minables », dira son avocat : tentative de vol, certes aggravée par la récidive et la commission en réunion, toutefois un délit mineur au regard des infractions examinées habituellement en correctionnelle. Mais Vincent est également poursuivi pour s’être débarrassé de son bracelet électronique en 2018, après avoir profité d’une libération conditionnelle. Il était recherché afin de purger le reliquat des quatre ans de prison infligés pour association de malfaiteurs.

« Sortez, Madame, et ne revenez plus ! »

 Depuis l’ouverture des débats, la présidente Emmanuelle Teyssandier est confrontée à un public dissipé. A 13h30, 36 personnes sont assises coude à coude sur les bancs de bois. Une femme singulièrement agitée va et vient en toussant, précise qu’elle n’a pas la Covid-19, abandonne sac et anorak au premier rang pour s’installer ailleurs, rejoint sa place qu’elle quitte de nouveau. Quand cinq femmes éplorées par le sort fait à leurs amis quittent le prétoire, les quatre prévenus suivants entrent dans le box. La femme qui tousse s’en approche et engage la conversation avec Allan, 38 ans. Elle est sommée de se taire. Qu’importe, le couple poursuit l’échange, masque sur le menton. « Sortez, Madame, et ne revenez plus ! » intime la juge.

A la droite d’Allan, on découvre Steve, 29 ans, sweat siglé Fly Emirates du parfait supporter de football, Randy, 23 ans, en blouson bleu, et le fameux Vincent, tout en noir, cheveux blonds aux mèches disciplinées et barbe de trois jours. Il va donner du fil à retordre aux magistrats.

Les faits sont rapidement résumés. Le 9 février à 22h15, un transporteur a prévenu la police de la présence de quatre hommes près de sa société. Sur les images de vidéosurveillance, il en a vu deux dans l’un de ses camions, s’est précipité vers le Renault Scénic qui les transportait et a photographié les suspects, aussitôt interpellés.

« On avait tous envie de faire pipi ! »

  Vincent admet qu’il a « sauté par-dessus le grillage », s’est introduit dans le camion. Il y a dérobé « une plaque » à l’enseigne de l’entreprise. « Dans quel but ? » demande la présidente.

« – Pour mon utilité.

– Le transporteur a vu deux hommes dans l’habitacle…

– Ouais, ben il a besoin de lunettes !

– Et vous, Messieurs, vous dites n’avoir rien fait. Pourtant vous étiez là.

– J’étais au volant, on s’est arrêtés pour aller aux toilettes, répond Allan.

– Les outils et les gants trouvés dans le Scénic sont à vous ?

– Oui, mais je ne sais pas à quoi ils servent. »

Steve et Randy confirment n’avoir eu aucune intention malveillante : « On avait tous envie de faire pipi ! » La repartie suscite l’hilarité de Vincent. En revanche, l’étude de sa personnalité l’agace. Plus que le rappel de ses huit condamnations de 2007 à 2017 et de sa cavale, ce sont ses défaillances en tant que père qui le piquent.

– J’étais à droite, à gauche, si on m’avait vraiment cherché…

– Vous avez décidé de vous moquer de nous ?

– Voilà !

– Vous avez trois enfants. Pourquoi ne vous en occupez-vous plus ?

– Ça t’regarde, pourquoi j’vois plus mes enfants ?!

– Ne me tutoyez pas, Monsieur ! Et calmez-vous !

– Ben si c’est comme ça, je garde le silence. »

Il se rassoit, retire son masque, rigole, cherche le soutien des siens dans la salle, amuse ses trois amis.

La tribune de Dominique Simonnot

 Rien, dans le passé de Randy, n’explique sa présence dans le box. Aucune condamnation, bon père et travailleur. Il est couvreur, comme Steve qui a « pris du retard sur deux chantiers à cause de la garde à vue ». Ce dernier est passé à sept reprises devant le tribunal, puni à chaque fois. Allan aussi a l’expérience des juges : onze mentions à son casier pour des vols.

Contre ce trio, la procureure Dreyfus suggère une requalification des faits, la complicité de tentative semble plus appropriée. Elle requiert cinq à sept mois ferme, avec sursis pour le primo-délinquant Randy. A l’encontre de Vincent, « que je vois beaucoup sourire, qui n’en a pas grand-chose à faire d’être ici », elle réclame 18 mois de détention et un mandat de dépôt.

Me Christophe Gérard, avocat de Steve, s’interroge : « Quel élément ai-je raté qui me convaincrait que celui-ci est un complice ? Il est parfaitement inséré dans la société. » Me Audrey Plomion, du Barreau de Paris, espère la relaxe d’Allan dont la dernière entorse à la loi date de 2012. Lourdement handicapé, « la prison aurait sur lui de graves effets ». Elle cite la tribune de Dominique Simonnot, Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, lit un extrait : “ Et vous, magistrats, gardiens de nos libertés, vous qui siégez aux expéditives audiences de comparutions immédiates, vous qui fournissez ces cellules, qu’hélas vous visitez si peu, allez observer les conséquences de vos décisions sur la vie des détenus et des personnels.” » Me Plomion évoque les statistiques du ministère de la Justice en janvier : 125 % d’occupation des cellules en région parisienne, 170 % à Meaux.

Me Jean-Christophe Ramadier fustige « le package » : « Il faut être sérieux, même en comparution immédiate ! Où est la caractérisation des faits pour Randy ? On le condamnerait parce qu’il était dans la voiture ? » Vincent a « avoué, poursuit-il, ok ! On parle d’évasion ? Je préfère dire qu’il n’a pas appliqué au cordeau une mesure de libération conditionnelle. »

Finalement, le tribunal convient que l’affaire ne mérite pas de surcharger les prisons : Allan portera un bracelet électronique durant huit mois, Steve écope de 150 jours-amende à 10 €, Randy de 60.

Vincent, lui, est incarcéré un an ; son escorte l’embarque immédiatement. « Salut, Vincent ! » hurle le public. Tel un boxeur, il lève les poings, tombe le masque et rit. La dame qui tousse, revenue, crie à Allan qu’elle l’attend dehors.

 

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