Tribunal de Meaux : « C’est dur d’être enfermé avec les assassins* de Samuel Paty ! »

Publié le 17/10/2023

Raouf, 27 ans, coche toutes les cases pour rester en détention. Il souhaite « la mort » à son ex-compagne, insulte policiers et magistrats, crie “vive la Palestine, fuck Israël”, traite « d’esclaves » ses surveillants, outrage le procureur. Au tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), il a semé la pagaille.

Tribunal de Meaux : « C’est dur d’être enfermé avec les assassins* de Samuel Paty ! »
Intérieur du TJ de Meaux ©I. Horlans

 

C’est à se demander s’il le fait exprès, ou si les séjours en détention lui ont durablement fracassé la tête au point de haïr tout représentant de l’autorité et, au-delà, chaque personne qui le contrarie. Lorsque Raouf pénètre dans la chambre des comparutions immédiates ce 11 octobre, mains menottées entre ses gardes, il n’est point besoin d’être devin pour prédire le chaos. Il l’a déjà semé au sous-sol. À la présidente Isabelle Verissimo qui le salue, il ne répond pas, refuse de décliner son identité. Mine rageuse, l’homme de 27 ans tourne ostensiblement la tête vers le public. Poings sur les lèvres, il marmonne mezza voce, regard noir furibond. « Ne commencez pas à être insolent », prévient la juge qui s’est déjà colletée avec l’irascible Raouf.

Habitué de la juridiction (34 condamnations depuis 2011), le Meldois s’y présente pour une série d’infractions ayant dégradé la vie de son ex-amie, constamment harcelée. Il se soustrait à l’injonction de ne plus l’approcher, la contacter. Il la suit, l’observe par la fenêtre en pleine nuit, l’épie jusqu’à l’école de ses enfants. Sur les images de vidéosurveillance, on le voit planté devant la grille…

« J’m’en bats les couilles, Madame a gâché ma vie »

 Quand, il y a huit mois, Raouf a été incarcéré pour les violences commises envers Julie**, la jeune mère a cru pouvoir souffler. Son garçonnet, « qui a extrêmement peur de lui », s’est apaisé. Mais de sa cellule, il lui envoie des lettres insistantes, écrit « ne pas vouloir vivre sans [elle] ». « Il me détruit, je dois fuir mon domicile ! Sa mère voulait me donner 500 € pour me faire taire », a révélé Julie le 10 octobre, lors de son second dépôt de plainte. Un psychiatre a fixé son incapacité de travail à sept jours.

Extrait le jour même du centre pénitentiaire de Nanterre (Hauts-de-Seine) où il est isolé en raison de son attitude, Raouf a été placé en garde à vue à Meaux. « Bande fils de putes ! » a été son entrée en matière. Ont suivi un « vive la Palestine, fuck Israël » de mauvais aloi, un « la mère la pute [Julie], je lui souhaite la mort », le rejet de la procédure : « J’m’en bats les couilles, Madame a gâché ma vie. » Déféré devant le procureur Éric de Valroger, il a réitéré les invectives qui lui valent un outrage à magistrat. « Il ne respecte rien, j’en ai fait les frais », indiquera le parquetier.

«  En prison, tout le monde crie “vive la Palestine” ! »

 Finalement, Raouf se ravise, il veut parler : « Je n’ai jamais été violent avec elle, je lui ai écrit, ok, mais fini, je ne la connais plus, sa mort m’indiffère », éructe-t-il. Sa fureur en garde à vue ? « On m’a pris pour un demeuré, les flics voulaient que je m’assoie sur une chaise de 20 cm2. » Cela justifierait-il ses propos ? « J’en ai rien à foutre d’Israël, vocifère-t-il, j’ai dit ça en l’air ! En prison, tout le monde crie “vive la Palestine”, toute la journée ! »

La présidente : « – Pourquoi êtes-vous à l’isolement ?

– Je sais pas. J’ai pas le profil, je ne suis pas fiché S [sûreté de l’Etat]… C’est dur d’être enfermé avec les assassins* de Samuel Paty !

– Que faites-vous en détention ?

– Isolement, tabassage, promenade, isolement.

– Vous consommez de la drogue ?

– De l’alcool et des stups, oui.

– Ce doit être difficile de s’en procurer, à l’isolement ?

– Au contraire ! c’est plus facile.

– Pourquoi avez-vous des problèmes avec le personnel pénitentiaire ?

– Ils me tirent par les cheveux en plein sommeil. Je me les suis rasés pour qu’ils arrêtent. Ils me traitent de raciste, je les traite d’esclaves. »

– Vous êtes suivi ?

– La psychologue veut plus me voir, l’addictologue me calcule plus. »

« On n’a rien à en tirer, on en a marre, alors on cogne ? »

 Les juges tentent de comprendre, de l’adoucir. En vain. « C’est ça, remuez le couteau dans la plaie, si vous n’avez que ça à faire », aboie-t-il alors que le tribunal voulait qu’il explique son comportement envers le procureur… Il est menacé d’expulsion à la prochaine manifestation d’agressivité. Partie civile, Julie sollicite un délai pour évaluer son préjudice. « C’est une bombe à retardement », s’égosille Raouf à son propos. « J’étais amoureux mais les femmes ont plus de pouvoir de manipulation que les hommes. »

M. de Valroger se lève dans une atmosphère tendue comme un arc : « Son casier judiciaire est si long qu’on ne peut pas en donner lecture complète. La société n’en peut plus de Monsieur ! C’est un personnage qu’on n’a pas envie de rencontrer. » Il requiert quatre ans ferme.

« Quand j’ai vu [Raouf] dans les geôles, je me suis dit “ putain ! C’est quoi ce dossier, cet homme qui parle mal, qui n’est pas un cadeau ?” Puis il y a eu cette petite lueur, à laquelle je m’accroche », plaide Me Jean-Christophe Ramadier, le vice-bâtonnier commis d’office. « Il y a Dr Jekyll qui insulte, fume, picole, Mister J. qui aime une femme, ne sait pas gérer ses émotions ni faire le deuil de son histoire, qui n’a pas les mots. Et cela vaudrait quatre ans ? On n’a rien à en tirer, on en a marre, alors on cogne ? »

Son avocat les a eus, les mots. Un baume. Raouf est calme, désormais. « Je tiens à m’excuser pour ce que j’ai dit en garde à vue et au tribunal. C’est la lassitude, mes 17 mois de prison, l’isolement. La justice est une machine à broyer. Si c’est votre but, continuez à m’incarcérer. »

La présidente et les juges assesseurs lui tendent la main : un an, contre les quatre requis. Raouf repart à Nanterre moins énervé qu’à l’arrivée. Mais il apparaît évident que, si cet homme reste à l’isolement avec des codétenus radicalisés, la société n’en tirera assurément plus rien.

 

* L’assassin de Samuel Paty a été tué. Les mis en cause dans ce dossier sont présumés innocents, n’ayant pas encore été jugés.

** Prénom modifié

Plan
X