Tribunal de Meaux : Comment juger un jeune homme autiste, agresseur sexuel ?

Publié le 28/04/2022

« J’aborde avec beaucoup d’humilité la complexité de cette affaire. » Ces mots, prononcés par le procureur Éric de Valroger, illustrent la difficulté qu’a eue le tribunal de Meaux (Seine-et-Marne) pour juger Dimitri*, un autiste. Il a agressé sexuellement des adolescentes et violenté son père.

Tribunal de Meaux : Comment juger un jeune homme autiste, agresseur sexuel ?
Salle d’audience au tribunal judiciaire de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 C’est un homme à l’allure et au comportement de grand garçon. « Son âge mental est celui d’un enfant de 8 ans, bien qu’il en ait 22 », dit le psychiatre qui l’a expertisé. S’il s’exprime et raisonne comme un collégien, Dimitri a cependant la libido d’un adulte. Ses pulsions sexuelles, qu’il lui est devenu impossible de réfréner, l’ont conduit à agresser deux lycéennes dans le bus à Bailly-Romainvilliers le 28 novembre 2021, puis à Bussy-Saint-Georges le 10 janvier. La première a subi des attouchements intimes. Quant à la seconde,  âgée de 14 ans, il s’est allongé sur elle pour la caresser.  Et lorsqu’il a été arrêté, son père a révélé que le 28 de ce même mois, Dimitri l’a frappé. Il comparaît donc pour trois chefs de prévention, les délits contre deux mineures et la violence sur ascendant.

Sa jambe droite, montée sur ressort, témoigne de sa grande nervosité. Il a passé cinq semaines en prison, craint d’y retourner. Mercredi 20 avril, son avocat Emmanuel Giordana a obtenu sa remise en liberté, que la chambre de l’instruction avait auparavant refusée. Les parents de Dimitri avaient promis à la présidente Teyssandier-Igna qu’ils veilleraient sur lui, que leur fils ne sortirait que dans le jardin jusqu’à son procès, fixé au 27 avril 2022. Ils ont tenu parole, et voici le jeune prévenu à la barre.

« Il est très traumatisé, replié sur lui-même »

Pull à col roulé noir, pantalon camel, Dimitri se tient droit, mains dans le dos, tel l’élève au tableau. Derrière lui, Léa* se serre contre sa maman. Elle est l’une des victimes d’agression sexuelle, qui l’a tant marquée qu’elle est prise en charge par un psychologue. Elle a 14 ans, et la seule raison de sa présence est « le désir de comprendre ».

Dimitri n’est pas capable d’expliquer ; il ne sait pas ce qui lui a pris. Alors ses parents approchent du micro et racontent le calvaire depuis que leur fils a été diagnostiqué autiste à l’âge de 3 ans. Le rejet par ses camarades, et plus tard par ses sœurs – la cadette de 12 ans « a constamment peur de lui, l’aînée refuse de lui parler ». Les multiples séances d’orthophonie, de psychothérapie, l’école de mécanique « où on a essayé de le brûler », puis l’établissement à Fontainebleau « où il était épuisé. Nous aurions été des parents maltraitants si nous l’y avions laissé ».

« Je l’ai gardé à la maison, je lui ai appris les tâches ménagères », confie sa mère. « Je cherche une institution, en vain. Il lui faut un endroit à lui, où il apprendra les codes sociaux et où il ne sera plus insulté. Car il a été trop insulté », souffle la femme élégante, fatiguée. Le père, qui ne souhaite pas revenir sur les coups reçus, parle du présent : « La Dépakine 500 matin et soir contre les troubles nerveux, une injection à diffusion lente tous les 56 jours pour limiter sa libido. Depuis son incarcération, il est très traumatisé, replié sur lui-même. » Son épouse complète : « Dimitri a besoin de soins. Avant 2020, il n’avait jamais eu d’écart de conduite. Mais il a mal supporté les confinements. Ces deux dernières années ont été dures et compliquées. Je présente mes excuses aux jeunes filles pour les faits graves qu’elles ont subis. »

« Entendre les parents nous a permis de comprendre »

Léa a écouté attentivement le récit de cette famille et sa mère, à la barre, se fait l’écho de leurs sentiments partagés : « Ce qu’il a fait est inadmissible. Mais nous avons les réponses à nos questions. Entendre les parents nous a permis de comprendre que le jeune homme qui a agressé ma fille souffre d’un grave handicap. »

Désormais, elle hésite à se constituer partie civile : « Peut-être pourrait-il nous aider à payer le psychologue ? » La juge Teyssandier-Igna enregistre la modeste somme sollicitée : 520 euros. Prix des sept consultations pour aider Léa à se relever. Pas plus de dommages et intérêts demandés aux parents de Dimitri, des victimes. « Elles sont des deux côtés de la barre », conviendra le procureur Éric de Valroger.

Il introduit son réquisitoire en effectuant un détour par l’École nationale de la magistrature : « En ce moment, à l’ENM, sont corrigées les copies du dernier sujet soumis aux élèves magistrats : l’altération du discernement. Sujet difficile. » L’expert a mentionné une « pathologie aliénante » et « une altération du discernement sans abolition». « Il est donc responsable », dit le parquetier, avant d’exposer ses réserves.

Dimitri, assis, maîtrise cette fois difficilement sa jambe gauche. Il jette des regards fuyants vers Léa. A-t-il conscience du mal qu’il a fait ? Sans doute pas. Il a l’attitude d’un enfant surpris d’avoir mal agi. La jeune fille fixe le représentant de l’accusation au ton délicat, comme la présidente avant lui. Tout est feutré, en cette salle d’audience.

« Nous abordons ici le problème de l’autisme, poursuit M. de Valroger, y compris de la sexualité dans le monde du handicap. Les faits ne sont pas contestés, pas même les violences sur ascendant, néanmoins nous sommes confrontés à un coupable d’un genre particulier. » Il veut « l’empêcher de récidiver, mais comment ? L’univers carcéral n’est pas la solution pour un autiste ». Il requiert un suivi médico-judiciaire d’une durée de 10 ans et, en cas de non-respect, douze mois de prison ferme « en espérant ne pas en arriver là ».

« Ici, nous ne sommes pas loin de la justice réparatrice »

Tribunal de Meaux : Comment juger un jeune homme autiste, agresseur sexuel ?
Me Emmanuel Giordana a brillamment plaidé pour Dimitri (Photo : ©I. Horlans)

 Me Emmanuel Giordana, en défense de Dimitri, remercie le tribunal pour « le temps consacré au dossier, indispensable pour la jeune fille et pour les parents. Ils ont souffert lorsque leur fils a été emprisonné, ils savaient la mesure inadaptée. Quand votre juridiction les a entendus le 20 avril, que le procureur a dit “la place d’un autiste n’est pas en prison” et que vous l’avez libéré, ils ont repris espoir. Ici, nous ne sommes pas loin de la justice réparatrice dont on parle souvent bien qu’elle en soit aux balbutiements ».

L’avocat du Barreau de Meaux a une attention pour chacun. Léa, sa mère, « très dignes » ; les parents « qui n’ont pas trahi votre confiance » et « les victimes potentielles à protéger d’une réitération des faits ». « Je plaide la responsabilité pénale, toutefois je vous conjure de privilégier une solution médicale et familiale. Ils vont organiser l’avenir de leur fils dans un cadre le plus protecteur possible pour la société et pour lui. » Me Giordana s’est également exprimé calmement, avec courtoisie, sans emphase.

La présidente et les juges assesseurs délibèrent 40 minutes. Ils considèrent finalement Dimitri « coupable mais pénalement irresponsable ». Le jeune homme est libre. Reçue dans sa constitution de partie civile, Léa percevra le remboursement de ses soins.

Les jambes de Dimitri ont cessé de trembler. Il rejoint ses parents et sa vie « compliquée ». La présidente salue individuellement le garçon, sa mère, son père, Léa et sa maman. Elle marque un long silence avant d’appeler le prévenu suivant.

 

*Prénoms modifiés

Tribunal de Meaux : Comment juger un jeune homme autiste, agresseur sexuel ?
Le procureur Éric de Valroger, à la retraite fin 2021, a choisi de reprendre ses fonctions pour soulager ses pairs. (Photo : ©I. Horlans)

 

 

X