Tribunal de Meaux : « Cours au commissariat car je te raterai pas, sale chienne ! »

Publié le 03/02/2023

« J’ai fait son malheur, quand elle a tenté de faire mon bonheur. » Ainsi Ilyass a-t-il résumé sa vie conjugale à son avocat, le vice-bâtonnier Jean-Christophe Ramadier, qui restitue ses mots à l’audience correctionnelle de Meaux (Seine-et-Marne). Bipolaire, dépressif, alcoolique, le prévenu répond de menaces de mort, violence, harcèlement. Il avoue « tout, sauf le couteau sur la gorge » de la mère de leurs enfants.

Tribunal de Meaux : « Cours au commissariat car je te raterai pas, sale chienne ! »
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 Ilyass est âgé de 34 ans, il n’a jamais été condamné. Ce jeudi 2 février 2023, bras croisés sur le haut de son survêtement bleu à bandes rouges, l’homme chauve et trapu comparaît libre à la barre de la 3echambre correctionnelle du tribunal de Meaux. Il est cependant sous contrôle judiciaire depuis le 13 août 2022. La veille, Marie a déposé plainte contre celui qui la terrorisait après qu’elle eut exprimé son souhait de le quitter. Face à la police, Marie a vidé son sac, dénoncé quatre ans de violences, qu’elle a tues et endurées, espérant sauver son conjoint et préserver leurs deux jeunes fils.

Les infractions les plus anciennes – des gifles et le couteau sur la gorge – ont débuté en janvier 2019, se sont poursuivies jusqu’au 30 avril 2021. Sa première plainte, Marie l’a retirée. Elle n’a pas trouvé l’énergie d’expliquer aux magistrats pourquoi elle a pardonné. Elle laisse ce soin à son avocate, Me Géraldine Sat-Duparay : « Elle a tout fait pour lui, elle l’a porté à bout de bras. » L’amour l’a aidée. Une histoire dramatiquement classique.

« Je vais te finir, tant pis si j’en prends pour 20 ans »

 Puis, l’été dernier, Marie « a dit stop ». A cause des menaces de mort, des insultes, de sa peur. Du 1eraoût 2021 au 12 août 2022, il l’a harcelée. Le procureur, Alexandre Boulin, rapporte quelques-unes des intimidations : « Cours au commissariat car je te raterai pas, sale chienne, bonne à rien ! » ; « Je vais te finir, tant pis si j’en prends pour 20 ans » ; « Je vais kidnapper les enfants, tu veux jouer, tu seras perdante. » D’autres mots crus figurent dans les procès-verbaux ; le parquetier épargne le public, majoritairement constitué de collégiens.

« Je ne vais pas nier, beaucoup de choses sont vraies, ça a été dur pour elle parce que j’ai fait n’importe quoi », admet Ilyass. Passé et présent justifient selon lui son agressivité : carences abandonniques héritées d’une enfance cabossée, accident du travail en 2019, bipolarité diagnostiquée, traitement arrêté « dès que cela va mieux », l’alcool dans lequel il se noie. « J’ai perdu mon boulot, je n’en ai pas retrouvé », dit-il. « Pourtant, la restauration est en quête de main-d’œuvre », objecte le président Guillaume Servant. « J’ai eu des propositions mais c’était loin de chez moi. Et il y a la dépression… »

La maladie n’est pas une excuse recevable, relève le juge, rapport d’expert psychiatre en mains : « Ni abolition ni altération du discernement. Il écrit que vous saviez ce que vous faisiez. » « Je confirme », répond Ilyass.

« Je craignais trop de perdre ma femme… »

 « – Le couteau sous la gorge de votre femme, c’est très grave !

– Je ne me souviens pas avoir fait ça.

– Votre fils N. a déclaré vous avoir vu frapper sa mère.

– Elle lui a demandé de dire ça. »

Le procureur : « – Vous agissez contre l’intérêt des enfants que vous dites aimer.

– C’est vrai. Je n’y pensais pas. Je craignais trop de perdre ma femme…

– Elle a été heureuse ?

– Au début, oui, je crois. A cause des menaces, de mon comportement pas facile, elle m’a quitté. Mais je l’ai vraiment aimée. »

Elle aussi, confirme Me Sat-Duparay : « Elle l’a accompagné auprès de sa curatrice ici présente. Elle n’a jamais essayé de le séparer de leurs fils. Elle a toujours été là pour lui. Maintenant, elle aspire à la tranquillité. Madame est fragilisée par toutes ces années, voit un psychologue chaque semaine ! Elle ne lui veut pas de mal mais demande une interdiction de contacts. La curatrice fera le lien avec les enfants. » Laquelle confirme « qu’il va mieux depuis la mise en place de la mesure de protection. » Le prévenu opine. Il est pris en charge par une association qui l’héberge. Il reste bouleversé par la séparation d’avec ses garçons, d’où l’envie de « les kidnapper ». Au fil des débats, il se repent. Les collégiens sont bouche bée.

Les « quatre étapes » dans les violences conjugales

 Le substitut note « un premier pas salutaire, la reconnaissance des faits. » Mais le représentant du parquet a aussi en mémoire les chiffres terrifiants révélés le 25 janvier 2023 par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin : l’an passé, les forces de l’ordre ont effectué quelque 400 000 interventions pour violences intrafamiliales aboutissant à 184 100 dépôts de plainte, soit + 17 % par rapport à 2021. Alexandre Boulin précise « les quatre étapes » du mode opératoire des « violents conjugaux » : « En amont, l’instauration d’un climat de tension », puis viennent « les insultes, les coups ». Étape 3 : « Le transfert de responsabilités : madame aurait dû faire autrement, donc je la frappe ». Enfin, « la lune de miel, les excuses, on est heureux avec les enfants, etc. ».

Ilyass « perd le contrôle quand sa femme part et la harcèle afin qu’elle soit de nouveau à sa merci », autre dénominateur commun des maris brutaux. Le procureur, qui a le sens de la mesure, entend néanmoins lui laisser une chance : six mois de prison avec sursis probatoire de deux ans, obligation de travail, de soins, interdiction d’approcher son ex-compagne.

Dépressif et tyrannique « car il pense être un moins que rien »

 En défense, Me Jean-Christophe Ramadier salue « la main tendue » : « Je suis quasiment d’accord avec le réquisitoire ». Seule la notion « de violents conjugaux [le] choque : je vois ici un homme extrêmement malheureux qui s’est mis à nu devant une salle bondée. Dépressif, harcelant et tyrannique, oui, car il pense être un moins que rien – vous ne l’êtes pas, monsieur ! Il a perdu l’estime de soi, il doit la regagner, se prendre en charge. Je l’ai vu trois fois. Quand on s’est rencontrés, il m’a tout de suite dit : “J’ai fait son malheur, quand elle a tenté de faire mon bonheur.” Il a compris. Alors oui au sursis, aux obligations, aux interdictions. Et je suis sûr que ses enfants le maintiendront à flot. » Ilyass ajoute sept mots : « Je regrette tout ce que j’ai fait. »

Le tribunal suit les réquisitions, augmente d’un mois la peine de sursis, en prononce l’exécution provisoire. Le condamné s’engage à ne plus jamais contacter Marie. Pour son préjudice, il lui versera 2 700 €. En plusieurs fois puisqu’il vit du RSA. Il s’en va soulagé, comme les avocats. On a coutume de dire qu’une peine est juste quand elle est comprise par tous : la victime, le coupable et la société.

Tribunal de Meaux : « Cours au commissariat car je te raterai pas, sale chienne ! »
Mes Géraldine Sat-Duparay et Jean-Christophe Ramadier, vice-bâtonnier de l’Ordre des avocats de Meaux, se sont affrontés en bonne intelligence (Photo : ©O. Horlans).
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