Tribunal de Meaux : Des dealers forcent les « semi-liberté » à passer la came en prison

Publié le 08/02/2024

Sous la pression des dealers à l’extérieur, et des détenus à l’intérieur, le jeune Farid*, bénéficiaire du régime de semi-liberté, a tenté d’introduire 99 grammes de drogue au centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin, en Seine-et-Marne. « Plusieurs fois, j’ai dit non. Là, j’ai eu peur de me faire casser la figure », dit-il au tribunal, souvent confronté à cette situation.

Tribunal de Meaux : Des dealers forcent les « semi-liberté » à passer la came en prison
Salle d’audience au Tribunal judiciaire de Meaux (Photo : I. Horlans)

 Ce mercredi 7 février, Farid* paraît aussi triste et gris que la météo. Dans le box de la 1ère chambre correctionnelle du tribunal de Meaux, il tend et écarte ses longs bras en un mouvement d’impuissance, formant avec son buste maigre un triangle équilatéral. Les paumes ouvertes vers le plafond, il semble résigné. Va-t-on me croire, pense-t-il sans doute. Pour « justifier » la dissimulation de la plaquette de résine de cannabis lors de son retour à 19 heures en prison, le trentenaire indique « avoir été forcé par deux gars en voiture. Ils connaissaient mon surnom ! Ils m’ont demandé de donner le paquet aux détenus ». « Sans contrepartie », jure-t-il, si ce n’est « un petit bout de shit » alors qu’il a cessé de fumer depuis des mois.

Le procureur Julien Piat va, le premier, rassurer Farid : oui, les magistrats sont habitués à ces récits : « Je ne suis pas insensible au contexte, c’est une difficulté réelle à laquelle la prison est confrontée. Ce phénomène n’est pas isolé. On le sait », précisera-t-il lors de son réquisitoire.

« Qu’est-ce qui va m’arriver, maintenant ? »

Ledit phénomène consiste à obliger un individu placé sous le régime de la semi-liberté à ravitailler les codétenus qu’il rejoint la nuit. Si la méthode a toujours existé, elle s’accompagne désormais de moyens coercitifs de plus en plus violents. L’histoire de Farid révèle le mode opératoire des dealers : ils suivent les allées et venues de leur cible, se renseignent sur elle au sein de ses lieux de travail, de détention, près desquels ils le harponnent en fin de journée. Alors, le choix est simple : soit « le semi » accepte de « rentrer » la drogue et il aura la paix, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur ; soit il refuse et prend une « raclée », voire pire, sur le trottoir ou dans sa cellule.

En cas de fouille et saisie, une consigne : le passeur doit endosser le délit en prétextant qu’il s’agit de sa consommation personnelle – ce qui peut du reste lui éviter d’encourir dix ans pour trafic. Dans le cas contraire, s’il lui prend par exemple l’idée saugrenue de « balancer », sa survie tiendra aux coups de fil qu’échangeront fournisseurs et acheteurs, lesquels font régner un climat de terreur hors et dans les murs.

Farid avait reçu le message cinq sur cinq. Toutefois, en 48 heures de garde à vue, il s’est ravisé et « a fourni des détails », rapporte la présidente Cécile Lemoine, qui permettent d’accorder du crédit à sa version. Le prévenu est inquiet : « Qu’est-ce qui va m’arriver, maintenant ? » Question sérieuse, et préoccupante.

« Les difficultés de ces jeunes qui subissent des pressions »

 Le procureur Piat ne remise pas la poussière sous le tapis, conscient qu’en cas de retour de Farid au centre de Meaux-Chauconin, les représailles sont inévitables. Aussi, « sans [s’]attarder sur les faits, qui sont reconnus », il se concentre sur « la coloration de la situation » : « On vous a fait confiance à plusieurs reprises », rappelle-t-il au jeune homme onze fois condamné en dix ans, et toujours sous le coup d’un sursis probatoire. Farid opine, écarte les bras. « Mais il travaille et je ne veux pas obérer son avenir », ajoute-t-il, déclarant aussitôt ne pas être « insensible au contexte ». Il requiert six mois ferme, « sans mandat de dépôt », afin de laisser le juge de l’application des peines « décider de l’aménagement possible et pourquoi pas dans un autre centre de semi-liberté ».

Avocat au barreau de Paris, Me Jordan Nadjar salue « les réquisitions de Monsieur le procureur, qui sont justes. Il a saisi les difficultés de ces jeunes qui subissent des pressions terribles. Cela fait des mois que mon client les subit, des mois qu’il dit non ! Les détails qu’il a donnés prouvent les faits. Je le crois. Que pouvait-il faire face à deux individus qui l’attendaient, qui l’ont appelé par son surnom ? » Le défenseur espère que Farid pourra être accueilli ailleurs. Le prévenu n’ajoute rien à la plaidoirie, qui fera mouche.

En prononçant une peine de dix mois à effectuer toujours en semi-liberté, sans mandat de dépôt, le tribunal sanctionne plus la personnalité, le passé, que les faits étudiés ce mercredi. Et, sans que le jugement ne formalise la suggestion du ministère public, on devine que Farid sera « déplacé ».

* Prénom modifié

Tribunal de Meaux : Des dealers forcent les « semi-liberté » à passer la came en prison
Me Jordan Nadjar, du barreau de Paris, au tribunal judiciaire de Meaux le 7 février 2024 (Photo : ©I. Horlans)
Plan
X