Tribunal de Meaux : « Desserre ton poing, sinon on va te scalper ! »

Publié le 10/01/2022

Pour une banale histoire d’insulte envers une jeune fille, Sébastien, une « personne vulnérable », a été roué de coups dans le quartier de la Pièce aux chats à Noisiel (Seine-et-Marne). Auparavant, les agresseurs avaient tenté de lui extorquer « 2 000 euros pour effacer l’affront ».

Tribunal de Meaux : « Desserre ton poing, sinon on va te scalper ! »
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 Ce vendredi 3 décembre, Sébastien n’a pas eu la force de venir au tribunal de Meaux qui juge deux des trois hommes suspectés de l’avoir battu. A 37 ans, il souffre d’un grave handicap et redoute toujours des représailles. Il s’est toutefois constitué partie civile. Son père, lui, fait face aux prévenus. La noirceur du regard qu’il leur lance témoigne de la colère qui l’habite depuis le 19 octobre. S’il n’a pas été gravement blessé, son fils demeure en proie à « un traumatisme au retentissement psychologique important », indique le rapport du médecin de l’unité médico-judiciaire.

Dans le box des prévenus, portant le même blouson bleu marine, arborant pareillement une abondante chevelure frisée, Valentin dépasse d’une tête Adham. Ils sont âgés de 20 ans et résident à la Pièce aux chats, un quartier de Noisiel calme jusqu’en mars 2021. A compter de cette date, des jeunes s’en sont pris aux résidents : nuisances, harcèlements, violences, tentatives d’extorsion de fonds. Au point qu’en septembre, 30 policiers ont opéré une descente pour y mettre un terme.

« Je vais te casser le nez et te séquestrer »

 Valentin a fait partie des jeunes gens alors interpellés : le 21 septembre, en comparution immédiate, il a été condamné à une amende de 600 € pour tentative d’extorsion de fonds commise en juillet. Vendredi 3 décembre, il est poursuivi pour un fait similaire, donc en récidive. Son ami Adham, lui, n’a jamais eu affaire à la justice. Ils encourent sept ans de prison. Hélas, il manque l’homme à l’origine de tout : Rashka s’est volatilisé. La présidente Verissimo déplore l’absence de celui présenté comme « le plus violent des trois » et résume les événements.

Quand il apprend que son ex-petite amie aurait été insultée par Sébastien, Rashka voit rouge. D’abord, il passe des appels téléphoniques agressifs au domicile du père. Puis il réclame « 2 000 euros pour effacer l’affront » fait à la jeune fille. Il exige de rencontrer Sébastien mardi 19 octobre, en début de soirée. Au rendez-vous, Rashka est accompagné d’Adham.

Tous deux l’attrapent : « Je vais te casser le nez et te séquestrer », prévient le premier. Il le frappe à la nuque avec son arme à feu. Le second tente de retenir la victime qui se débat, prend la pose d’un boxeur : « Desserre ton poing, sinon je vais te scalper », lui intime-t-il. « Oui, j’ai dit ça mais je ne l’aurais pas fait », jure Adham à l’audience. Face aux policiers, il avait nié jusqu’à sa présence sur les lieux. « Je me suis senti menacé », ajoute-il pour essayer de justifier ses propos.

« Moi, j’étais là à moitié… »

Et valentin, où se situe-t-il dans ce décor ? Sébastien, blessé et à terre, est formel : il l’a vu avec les deux autres. « Je ne connais pas Adham », répond le grand jeune homme, sans convaincre puisque l’autre prétend qu’ils sont « amis d’enfance ». « Écoutez, moi, j’étais là à moitié… », admet-il du bout des lèvres. « A moitié ? Comment est-ce possible ? » questionne la juge. Il soupire, agacé d’être contraint de s’expliquer : « Je ne traîne pas dehors. Je venais de rentrer du travail. J’étais chez moi. J’habite dans l’immeuble au pied duquel ça s’est passé. J’ai vu qu’ils s’embrouillaient, je suis descendu. J’ai simplement assisté à la scène. »

La présidente émet des doutes. Elle lui rappelle sa récente condamnation pour un délit identique. « Puisque c’est comme ça, je garderai désormais le silence », s’emporte Valentin, qui prend les magistrats à partie. Caroline Desré, son avocate, l’enjoint de se calmer.

Le tribunal aborde les éléments de personnalité des prévenus. Adham vit chez ses parents, vend des contrats de gaz, il a décroché son contrat après avoir bénéficié du dispositif « garantie jeune ». Pas de casier, ni drogue ni alcool. Il a lui-même été agressé à la Pièce aux chats en août. C’est un jeune sans histoire qui a priori ne fréquente pas ceux qui ont mis la pagaille dans le quartier cette année.

« Votre dossier ne tient pas la route ! »

 En dehors du délit commis le 1er juillet, Valentin n’a pas plus le profil d’un voyou. Il travaille dur dans le bâtiment depuis l’obtention, à 15 ans, de son CAP de plombier. Célibataire, « il vit dans sa bulle », selon sa mère, depuis qu’on lui a diagnostiqué un déficit de l’attention avec hyperactivité. Il suit un traitement lourd.

A Me Alain Thibault, partie civile, qu’importe qui a fait quoi. Il insiste sur la réalité de l’agression et la vulnérabilité de son client, pour qui il sollicite 500 euros de préjudice moral. La procureure convient que « ces deux-là ne sont pas à l’origine de la tentative d’extorsion » mais ne les exclut pas des violences visant Sébastien. Elle requiert cinq mois de prison avec sursis et un stage de citoyenneté à l’encontre de Valentin ; 90 jours-amende contre Adham.

Défenseur de ce dernier, Me Quentin Guernigou, évoque « zéro élément dans le cas de mon client. Les seuls dont on dispose renvoient vers Rashka. Éventuellement, Adham pourrait être soupçonné de menaces, ce n’est pas la prévention retenue ! Il était au mauvais endroit, au mauvais moment, je demande donc sa relaxe ».

« Est-ce sa faute s’il habite le quartier ? » renchérit Me Caroline Desré, qui intervient pour Valentin. « Plusieurs fois, j’ai eu envie de lui reprocher son impolitesse envers votre tribunal ; que voulez-vous, il est ainsi. Mais il n’a rien fait, votre dossier ne tient pas la route ! Il est vide ! »

Me Desré sera entendue. Valentin est relaxé. Son confrère Guernigou aussi obtient un résultat satisfaisant : la prévention est abandonnée, requalifiée de « menace ». Adham écope de 105 heures de travail d’intérêt général et versera 300 € à Sébastien, qu’il n’a plus le droit d’approcher jusqu’en 2024. Satisfaits, ils quittent le tribunal. Le père de la victime s’engouffre à son tour dans la nuit, en espérant que Rashka réapparaîtra afin d’être jugé.

 

 

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