Tribunal de Meaux : « Dix-huit mois de prison ? C’est m’enterrer vivant ! »

Publié le 26/07/2023

Combien faut-il infliger de condamnations pour qu’un individu réalise que son existence de hors-la-loi le conduira forcément en prison ? Lors de sa 23e comparution devant le tribunal correctionnel, en l’espèce celui de Meaux (Seine-et-Marne), Younès a enfin compris qu’il ne peut pas se jouer indéfiniment de la justice.

Tribunal de Meaux : « Dix-huit mois de prison ? C’est m’enterrer vivant ! »
Salle d’audience au tribunal judiciaire de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 

Les sanctions prononcées depuis l’année 2007 contre Younès, 31 ans, l’ont été pour des délits extrêmement variés : violences, escroqueries, détention et cession de stupéfiants, recels, vols aggravés, apologie du terrorisme… Il en convient, « ça fait beaucoup ». « C’est difficile », ajoute-t-il pour excuser son parcours cahin-caha, jalonné de comparutions devant les juridictions de Soissons (Aisne), Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) et d’Île-de-France.

À Meaux, il est chez lui, et déjà connu comme le loup blanc. Aussi, lorsqu’il tente de faire accroire qu’il a « juste accompagné un ami » sur un chantier, à bord d’une luxueuse Audi, et qu’il n’avait nullement l’intention de voler les marchandises entreposées dans un conteneur, il avoisine le degré zéro sur l’échelle de crédibilité. Le jeune homme dégingandé dans son tee-shirt marine, entouré des policiers qui l’ont extrait de sa cellule pénitentiaire, dégringole même en dessous de zéro quand la présidente Verissimo met les points sur les i : « Grâce aux images de vidéosurveillance, on vous voit sectionner le cadenas du conteneur. » Du ton calme de qui a opté pour une réponse de berger à la bergère, Younès réplique : « Mais je n’ai jamais mis les pieds dans une Audi ! »

« C’est la policière qui n’a rien compris »

Soit. Il aurait donc rencontré, en pleine nuit secouée par les émeutes, « un ami qui ne savait pas où dormir » et l’aurait aimablement escorté jusqu’au chantier afin qu’il s’y revigore. Outre la vidéo qui le montre pince en main, un deuxième élément contrecarre sa version : « l’ami », mineur, également surpris en flagrant délit, a déjà tout avoué au juge des enfants. Le 3e larron, probablement au volant de la puissante cylindrée, s’est fait la belle. Younès est coincé. « Il m’a menti, je croyais vraiment qu’il voulait dormir, je l’ai dit à une policière, c’est elle qui n’a rien compris », s’enferre-t-il pourtant.

Au premier rang de la salle d’audience, les parents du prévenu s’agitent et secouent négativement la tête. Eux-mêmes ne le croient pas et en semblent désolés. On devine qu’ils aimeraient le réprimander. Younès, poursuivi pour tentative de vol aggravé par deux circonstances, en récidive, devrait faire amende honorable, ce serait tellement plus simple. Option qu’il finira par choisir après avoir assimilé qu’il tourne en rond dans son bocal.

L’examen de sa personnalité révèle le chaos de sa vie : les condamnations qui s’enchaînent de 2007 à 2022, des sursis révoqués, plusieurs citations à comparaître qu’il a traitées par le mépris…

« J’habite chez ma mère, ici présente, qui me surveille »

La juge : « – Comment expliquez-vous votre comportement ?

– J’ai toujours répondu à mes convocations ! Pour le reste, j’étais jeune…

– En 2022 ? À 30 ans ?

– Tout est difficile, redit Younès. Mais j’ai fait des formations, j’ai passé des CACES [Certificat d’aptitude pour la conduite en sécurité d’une catégorie d’engins, NDLR], j’ai travaillé. Là, avant mon arrestation le 2 juillet, j’avais été recruté pour faire le ménage à Disneyland.

– Où habitez-vous ?

– Chez ma mère, ici présente, qui me surveille. Elle m’oblige à travailler.

– Et vous avez un enfant âgé de 8 ans…

– Je suis sans nouvelles de lui depuis longtemps. J’ai déposé un dossier au JAF [juge aux affaires familiales]. J’attends…

– Comment se déroule votre suivi judiciaire ?

– Très bien ! La juge a mon numéro de téléphone, elle me fait confiance et moi, pareil. Je ne bois plus d’alcool, j’ai arrêté les stups. Là, forcément, elle va être déçue…

–  Vous avez envie de vous en sortir ?

– Oui. Franchement, je regrette tout. J’ai saisi que le droit chemin est le bon chemin », philosophe-t-il.

Le procureur déplore « des antécédents préoccupants » et un avenir « sans garanties » : « On a tout essayé, les mises à l’épreuve, les soins, etc. En vain. Je requiers dix mois de prison et le maintien en détention. » Dans son box, Younès bondit comme un écureuil. On comprendra plus tard pourquoi : il a mal entendu, s’est mépris sur le quantum de la peine.

Son avocat plaide vingt minutes pour demander « la relaxe au bénéfice du doute ». Laps de temps qui a permis au prévenu de réfléchir. Il anéantit la défense en une phrase : « Je reconnais être entré sur le chantier, j’ai commis une erreur. Ne me jugez pas pour mon passé mais pour ce que j’ai fait le 2 juillet. Là, c’est trop… 18 mois de prison, c’est m’enterrer vivant ! »

Finalement, le tribunal le condamne à six mois ferme avec un maintien en détention. Younès jette un regard sur la salle qui s’est vidée, il est tard, ses parents sont partis. Dos voûté, tête basse, comme « accablé par le fardeau entier de la loi* », il suit son escorte.

 

* Ernest Renan

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