Tribunal de Meaux : « Elle a chamboulé ma vie et m’a jeté aux loups »
Durant sept mois, Koffi* a traversé un enfer. Accusé de viol, d’agression sexuelle, de violence à l’encontre de sa femme Maria*, il a été éloigné de ses enfants, de son lieu de travail, jusqu’à perdre sa stabilité financière. Mais jeudi 21 mars, le tribunal judiciaire de Meaux (Seine-et-Marne) lui a rendu le goût de la vie et son sourire.
Même en chambre correctionnelle, il arrive que l’on ait envie d’applaudir une décision. Il en fut ainsi, hier soir, sur les coups de 20 heures, lorsque l’injustice faite à un homme de 37 ans a été réparée. Koffi* a retrouvé son honneur dans une espèce d’alignement des planètes passé d’improbable à favorable. En fin d’après-midi, à la lecture des infractions reprochées, sans connaissance des faits, on préférait se tenir à distance du prévenu pourtant élégant, à l’évidence bien éduqué, un cadre d’entreprise n’ayant jamais eu affaire à la police, à la justice.
Son avocate meldoise, Me Carine Chevalier-Kacprzak, avait beau dire que le dossier réservait des surprises, on s’en tenait aux préventions : agression sexuelle par conjoint le 21 août 2023 et, en 2021, un doigt cassé ayant valu à Maria* une incapacité pénale de travail de dix jours. Entre la garde à vue de Koffi et l’audiencement du procès, le parquet de Meaux avait toutefois abandonné les poursuites criminelles de viol. Restait cependant la menace d’une lourde condamnation.
Dans la salle, personne n’envisageait alors une relaxe générale.
« Il m’a violée, frappée, craché dessus ! »
Pour expliquer l’absence totale de sanction, il convient d’abord d’effectuer un bond en arrière. Ce 21 août, Maria lave la vaisselle. En compagnie de ses deux jeunes enfants, le couple a passé « une très bonne journée » – ils s’accordent sur ce détail. Ensemble depuis neuf ans, ils n’ont presque plus de relations sexuelles : « On n’était que des parents, j’en souffrais. » Alors, tout à la plénitude des moments partagés sous le soleil, il tente sa chance. S’approche, enlace sa femme. Caresse sa poitrine ; « elle me repousse. » Il touche « son postérieur ». « Elle dit “arrête”. Je m’en vais travailler. Au lit, je caresse son épaule, ses cheveux. Elle dit “non” puis s’endort ». C’est la version de Koffi. Le président Stéphane Léger insiste : « Vous ne l’avez pas forcée, n’avez pas mis la main dans son short ? » Rien de tout cela, jure Koffi qui espérait juste reconquérir son aimée : « Je voulais voir si c’était fini entre nous. Je ne concevais pas qu’on n’ait plus de relations… »
Dans la nuit, Maria compose le 3919, numéro destiné aux femmes victimes de violences. « Mon mari m’a violée, frappée, craché dessus », il la menace encore. L’interlocuteur : « Où sont les enfants ? Vous devez les récupérer ! Une pénétration, c’est un crime ! »
La police est alertée ; la machine judiciaire, enclenchée.
L’assistante sociale avait tout inventé
La déposition de Maria traduit une situation d’une extrême gravité, avec une foultitude de détails et de propos abjects, le moins sordide étant : « Je réessaierai jusqu’à ce que tu écartes les cuisses. » Me Chevalier-Kacprzak, défenseure de Koffi, évoque « une scène de viol effroyable ». La première audition de la victime, « une assistante sociale qui sait ce que signifient de telles accusations », fait voler en éclats l’univers de son client. Il échappe à la détention mais son contrôle judiciaire (CJ) est strict : il doit déménager en province, se faire soigner, suivre un stage, être expertisé, et n’a bien sûr plus droit au moindre contact avec son épouse. Sa sœur est autorisée à lui amener ses deux petits de temps en temps.
Et la justice découvre que Maria a tout inventé… Elle admet ses mensonges auprès des policiers, qui « lui feront entendre qu’elle risque des poursuites pour fausse déclaration », indique le procureur Alexandre Boulin. Malgré tout, le processus ira à son terme, procès il y aura. Le CJ n’est pas allégé et Koffi paie le loyer du logement où vit sa famille, qu’il entretient, débourse 40 € par jour de train pour rallier Paris où il travaille. « Maintenant, j’ai des problèmes financiers, je n’arrive même pas à payer mon avocate », dira-t-il en fin d’audience. Il a perdu tous ses repères, a découvert « une situation nouvelle, pour moi, dans un groupe de parole où des hommes battent les femmes. J’ai appris beaucoup de choses, je n’étais pas habitué à ce type de débats », souffle-t-il, toujours hébété.
« Elle-même reconnaît sa propre agressivité »
Maria est absente, ne s’est pas constituée partie civile. C’eût été sans doute une épreuve trop embarrassante. Et le doigt cassé en mars 2021 ? « Elle me l’a mis dans l’œil, j’ai simplement repoussé sa main. C’était accidentel. » Il s’est excusé, l’a conduite à l’hôpital ; les versions concordent. « Elle-même reconnaît sa propre agressivité », précisera le procureur.
L’homme en manteau noir, petite barbichette pointue, est très éprouvé. Il n’imagine pas l’alignement des astres qui se forment au-dessus de sa tête : face à lui, le président Léger et ses assesseurs, MM. Combes et Étienne, qui tous l’écoutent et l’entendent ; à sa droite, le jeune substitut Boulin au sens de l’honnêteté particulièrement développé ; à sa gauche, Me Chevalier-Kacprzak, précieuse avocate qui, payée ou pas, porte son histoire dans ses tripes et son cœur.
Koffi le répète à six reprises : « Je ne comprends pas ce que je fais là, je l’ai enlacée comme d’habitude… Je n’aurais pas dû insister. Pour moi, elle voulait me prendre les enfants. De toute ma vie, je n’ai jamais été violent. Elle a déclaré beaucoup de choses qui n’étaient pas vraies. » Les magistrats opinent. L’expert psychiatre n’a relevé « aucune anomalie, Monsieur n’est pas dangereux ». Il a scrupuleusement respecté son contrôle judiciaire, il vit désormais auprès de sa mère. Il n’a aucun antécédent, même prescrit.
Le juge assesseur Maxime Étienne : « Comment voyez-vous l’avenir ?
– Il me semble inenvisageable de reprendre la vie commune. Comment a-t-elle pu me faire une chose pareille ? » (Il s’étrangle).
« Les violence, menace, contrainte ou surprise non caractérisées »
Alexandre Boulin s’interroge sur les préventions, songe à les requalifier. Il ose un léger reproche en forme d’alerte pour le futur : « Ce n’est pas parce qu’on a passé une bonne journée qu’on est obligés de faire l’amour. » Pour le reste, il se réfère aux textes de loi : « La violence, la contrainte, la menace ou la surprise ne semblent pas caractérisées. » L’agression sexuelle n’existe pas. « Il faut être pragmatique : c’est une scène de relation de couple, il a tenté une approche, une seconde, il n’y a pas grand-chose…. Je considère qu’il y a un doute et celui-ci doit bénéficier au prévenu. » Relaxe requise.
« Quant au doigt cassé en 2021, j’ai scrupuleusement repris les dépositions de l’un et de l’autre. Je ne suis pas certain qu’il ait eu volonté d’être violent. On n’a pas d’éléments pour requérir une peine, surtout que Madame n’est pas là pour nous éclairer. » Relaxe requise.
Me Carine Chevalier-Kacprzak s’avoue « rassurée que le procureur ait une même grille de lecture des faits. Il n’y a pas eu de harcèlement mais trois épisodes espacés dans le temps, limités à des caresses. Maladroitement, il a voulu vérifier que leur relation était morte. Elle l’est. En revanche, je suis scandalisée par l’échange au 3919 : Madame, c’est grave, c’est un crime ! Ainsi le dénonce-t-elle et il arrive devant vous… Pour avoir manifesté son désir sexuel envers sa femme. Et le doigt cassé, parce qu’elle le lui a mis dans l’œil, cela peut nous arriver à tous. »
Koffi a la parole en dernier : « Cette situation dure depuis sept mois et elle a chamboulé ma vie, qui s’est arrêtée. Elle m’a jeté aux loups. »
Il suffit de dix minutes à la formation collégiale pour rendre son jugement. Koffi est libre, blanchi, son CJ est levé, il va reprendre le cours de sa vie et bénéficiera d’un retour à Chelles, chez lui. La garde des enfants sera fixée par le juge aux affaires familiales. Il quitte l’audience du pas assuré de qui a regagné sa dignité.
* Les prénoms ont été modifiés
Référence : AJU428635