Tribunal de Meaux : « En colère contre les chats, papa a tapé maman »

Publié le 24/10/2022

Les hommes finiront-ils par comprendre que battre une femme n’est pas tolérable ? Que la justice sanctionne désormais sévèrement les conjoints à la main leste, surtout si des mineurs assistent aux violences ? Morgan, hébété devant le tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), a paru intégrer les remontrances des magistrats.

Tribunal de Meaux : « En colère contre les chats, papa a tapé maman »
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 

Le prévenu en pull bleu roi jette des regards affolés à sa compagne Marie* au banc des parties civiles. La victime au visage d’adolescente a l’air triste. De ses mains, elle protège le bébé dans son ventre. Morgan se dit « encore amoureux » ; Marie ne veut plus partager sa vie. « J’ai porté plainte car les faits se sont produits devant mon fils de 7 ans qui a déjà vécu ça avec son père, indique-t-elle. Et notre fille de 15 mois était présente. Je ne supporte plus qu’il me frappe devant eux. »

Morgan, qui fut un enfant placé par la DDASS (Direction départementale des affaires sanitaires et sociales) après avoir reçu des coups, reproduit, à 26 ans, les agissements de son géniteur qui l’ont privé d’environnement stable. Ce 12 octobre, il a tiré les cheveux de Marie, tenté de l’étrangler, l’a aspergée de lait chaud, l’a attrapée par un bras jusqu’à y laisser des bleus. Il a aussi confisqué sa carte bancaire, puisqu’elle seule rapporte l’argent à la maison, et l’a empêchée de s’enfuir avec les petits.

« Elle l’insulte et l’humilie chaque jour »

Du box, entre les gendarmes qui l’ont arrêté à La Ferté-Gaucher, Morgan rencontre des difficultés à expliquer sa brutalité. Il souffre d’un handicap grave du langage, le surmonte pour livrer sa version : « Je reconnais tout, sauf d’avoir voulu l’étrangler. Je l’ai bousculée. Elle me criait dessus, je ne sais pas pourquoi on en est arrivés là. Elle me parle mal. » Me Mbarki vole à son secours : « Tous deux ont fait l’objet d’un rappel à la loi, elle l’insulte et l’humilie chaque jour. Elle le traite de bâtard, de bon à rien, ne réalisant pas qu’elle le blesse. »

Riposte de Me Maria Cuco : « Il tente de minimiser ses actes. Le médecin à l’Unité médico-judiciaire a constaté des lésions, a délivré une incapacité de travail de trois jours à ma cliente. Je vous rassure : elle n’est pas ici afin de vous envoyer en prison, ni ne réclame de compensation financière. »

L’origine de la dispute est affligeante de banalité. Kevin*7 ans, la résume : « En colère contre les chats, papa a tapé maman. » Morgan complète : « Il se lève, claque les portes, les chats font tomber des choses, ma fille me fait un câlin, tout va bien. J’étale du Nutella sur la tartine de Kevin, elle refuse que je la lui donne. Et ça part… »

Marie confirme avoir rouspété. « Maman crie toujours la première et après elle prend des coups, ajoute l’enfant. Ils se disputent souvent. »

« J’ai besoin d’aide, je veux m’en sortir »

 La présidente Verissimo : « – Pourquoi vous énerver ainsi ? Si quelqu’un vous agace dans la rue, vous lui tirez les cheveux ?

– Non.

– Vous êtes impulsif ?

– Oui. J’ai besoin d’aide, je veux m’en sortir, voir un psychologue.

– Quel est le degré de votre handicap ?

– C’est la parole… Mais j’ai progressé. La DDASS m’a bloqué à l’enfance. »

L’étude de sa personnalité révèle qu’il a cinq frères et sœurs auxquels il ne parle plus, à l’exception de l’aîné. Peintre sans travail depuis huit mois, il ne bénéficie pas de la Sécurité sociale, n’est pas inscrit à Pôle emploi et ne perçoit même pas l’allocation pour adulte handicapée.

« – Comment comptez-vous améliorer votre situation ?

– Je vais aller vivre chez ma mère, en province. J’y chercherai du boulot.

– Vous pensez à votre fille, à votre enfant à naître ?

– Oui. Tout le temps. Je voudrais continuer à les voir. »

Me Cuco précise que Marie « ne s’y oppose pas. En revanche, elle souhaite une ordonnance d’éloignement, y compris en faveur de son fils. C’est très dur pour eux deux, psychologiquement. Et du ventre, le bébé entend tout ».

« J’ai fait la boulette de dérailler »

 Le procureur Boulin : « – Voulez-vous un bracelet antirapprochement ?

– Non. Juste ne plus le voir, qu’il me laisse tranquille. »

Le parquet retient « qu’il y a eu des violences de part et d’autre. Mais c’est vous, Monsieur, qui êtes prévenu. Vous l’insultez aussi, pute, feignasse et j’en passe… Votre femme est enceinte de cinq mois ! Réalisez-vous son état de stress, qui se répercute sur le fœtus ? » Alexandre Boulin requiert huit mois de prison avec sursis probatoire de deux ans, les obligations de soins et de travailler, l’interdiction de contact avec son ex-compagne et Kevin.

Me Mbarki a obtenu de la mère de Morgan qu’elle le prenne en charge. Il pleure durant toute la plaidoirie de son avocat, axée sur les souffrances du passé, les blessures encore à vif du présent. « Ne l’empêchez pas de revoir ses enfants », conclut-il. Morgan essuie ses larmes : « J’ai fait la boulette de dérailler, ça ne se reproduira plus. Je vais tout faire correctement. Je sais qu’elle ne veut plus de moi mais je ne veux pas perdre ma fille, mon bébé. Je passerai par ma mère ou mon frère pour les voir. »

Dossier douloureux, mais la main des juges ne peut pas trembler : trop de violences envers les femmes (seuls 20 % d’hommes sont victimes de conflit conjugal), aggravées par les confinements, de directives ministérielles, de nouvelles dispositions pénales. Sans compter la proposition de loi que le Sénat a adoptée à l’unanimité le 20 octobre. Déposé par la vice-présidente Valérie Létard (centriste), le texte permettrait aux victimes d’accéder à des prêts à taux zéro auprès de la Caisse d’allocations familiales. Elles auraient ainsi la possibilité de quitter le conjoint dont elles sont dépendantes.

Morgan est donc condamné à six mois de prison avec sursis probatoire de deux ans, peine exécutoire qu’il fasse appel ou non. Toutes les obligations et interdictions requises par le ministère public sont prononcées. Il devra verser 200 euros à Kevin, 100 à Marie. Et il rendra visite à sa fille et au bébé par l’intermédiaire de sa mère.

*Prénoms modifiés

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