Tribunal de Meaux : En incendiant leur maison, il se débarrasse de ses locataires
A 72 ans, Serge s’est levé en pleine nuit, il a rallié Villeparisis (Seine-et-Marne), à 30 minutes de chez lui. Équipé d’un lampion, il a incendié la poubelle de ses locataires, qu’il ne supportait plus. Le feu s’est propagé jusqu’à la maison où dormaient cinq personnes, désormais à la rue.
Serge, un tout petit monsieur dont la tête dépasse à peine de la rambarde du box des prévenus, peine à réaliser qu’il a beaucoup de chance. « Vous comprenez que si la dame n’avait pas eu envie de pipi, vous comparaîtriez devant la cour d’assises ? », demande la présidente Verissimo. Il opine, la regarde intensément, concède du bout des lèvres « une erreur » : « C’était pas l’intention… », ajoute-t-il sans terminer sa phrase. On interprète : il ne souhaitait pas tuer la famille J., à qui il sous-louait l’habitation de son ami guadeloupéen.
Serge n’est poursuivi « que » pour les dégradations, le mot « destruction » serait d’ailleurs plus approprié puisque, du logement, il ne reste qu’un tas de cendres. En fait, il espérait « juste » décourager les occupants, estimés encombrants, les obliger à débarrasser le plancher. Aucun d’entre eux n’a été blessé mais tous sont parties civiles. Empêchés par leur travail, le père et la mère sont représentés par leurs enfants majeurs à la 1ère chambre du tribunal correctionnel de Meaux, ce vendredi 4 mars.
« Avec la chaleur, ils se seraient réveillés… »
La présidente rapporte les faits reprochés. Il est 3 heures passées, ce matin du 24 février, quand Serge se pique de mener son expédition. Il quitte le lit conjugal, s’habille, sort de la maison, se munit d’un petit lampion et de gants rouges, de torchons « qui sentent encore les hydrocarbures » lors de l’arrestation, six jours plus tard. A 4 heures, parvenu à destination, il met le feu à l’attirail et le jette dans une poubelle, hélas trop près du garage qui s’embrase. Au premier étage attenant, cinq adultes sont plongés dans leur sommeil. Hasard d’un besoin nocturne, la mère se lève, « sent la fumée », donne l’alerte. Ils fuient, rejoints dans la rue par les habitants des maisons mitoyennes. Quand les pompiers arrivent, Serge a détalé. Bien que gérant l’habitation depuis des lustres, il ignore qu’une caméra a été installée plus loin. « – Sur les images de vidéosurveillance, vous apparaissez avec votre petit lampion en train de mettre le feu, la famille vous a reconnu, indique la juge Isabelle Verissimo.
– Je sais, je reconnais les faits. Mais ce n’était pas le but du jeu.
– Vous pourriez avoir cinq morts sur la conscience !
– Avec la chaleur, ils se seraient réveillés…
– Ici, vous paraissez raisonnable. Pourquoi avoir fait cela ?
– Même moi, je ne saisis pas. Mais ça fait si longtemps que ça dure ! »
Ainsi remonte-t-on à la genèse du conflit, dont la justice civile a été saisie. L’aînée des enfants expose à la barre les désagréments subis au fil des ans : projections de peinture sur les murs extérieurs, vol de la boîte aux lettres, menaces, harcèlement, coupures d’eau.
« Ils me doivent 42 000 euros »
« Il avait le double des clés, poursuit la jeune fille. Il entrait chez nous à sa guise. On a dû changer les serrures. Il disait “c’est chez moi”, alors qu’on sous-louait. On n’imaginait pas en arriver là… Tout aurait pu exploser, on avait le gaz… » Depuis, sa mère dort sur son lieu de travail, le père dans la rue, les jeunes chez des amis. Et leur situation ne s’améliorera pas de sitôt : Serge leur avait dit être assuré pour eux et leur mobilier ; c’était faux.
Il minimise : « J’allais chez eux mais je ne montais jamais à l’étage ! » Piètre argument, doublé d’une « excuse » qui fait sursauter les victimes : « Ils me doivent 42 000 € de loyers. Ils ne me versent que 800 € pour quatre pièces, en espèce. » Sous-entendu : c’est louche. « Faux ! », perçoit-on du banc de la partie civile. Serge ne fournit aucune preuve de ses assertions, il faut le croire sur parole. Le tribunal civil l’a débouté de son action contre les J. le 4 février, l’obligeant à verser 200 € en réparation du préjudice. La goutte d’eau. « Il a ruminé 20 jours », plaidera Me Jean-Christophe Ramadier, son avocat, « et il a pété un câble ».
La patience du procureur Marc Lifchitz a ses limites. Il rappelle que Serge est plombier-chauffagiste : « – Vous êtes donc un professionnel ?
– Oui, depuis 50 ans !
– Vous saviez que la maison, qui date de 1980, a été bâtie avec du matériau inflammable ?
– Oui.
– Alors si ce n’était qu’un acte de malveillance, pourquoi n’être pas venu dans la journée ?
– … »
« Son but est atteint : les nuisibles sont partis ! »
Que répondre ? Serge l’ignore. Il jette un regard affolé à sa femme, austère, coiffée comme Lucille Ball dans I Love Lucy, la célèbre série américaine des années 1950. Elle est furieuse : il a effectué sa folle virée avec sa Mercedes, la police l’a saisie, la voici à pied. L’examen de la personnalité du prévenu révèle qu’il a été sanctionné cinq fois pour conduite sans permis, qu’il a renversé son épouse en 2018, et failli faire exploser une voiture mal garée devant chez lui.
Me Laurence Hubert intervient pour le propriétaire qui a confié la gestion de son bien au septuagénaire, et l’assureur de la construction. Elle sollicite le renvoi sur intérêts civils, le temps d’évaluer le coût des réparations. Aux côtés des victimes, Me Natacha Haleblian est en colère : « Il les a vus tels des parasites. Eh bien, son but est atteint : les nuisibles sont partis ! » Elle considère le profil de Serge « inquiétant, déconcertant de décontraction : il a juste regretté d’être devant le tribunal ». Incapable de déterminer « le retentissement psychologique » sur ses clients, Me Haleblian demande un délai afin de chiffrer le préjudice.
Le procureur Lifchitz insiste sur « les misères infligées qui vont crescendo, par un homme qui a sciemment mis en danger la vie de cinq personnes ». Il requiert deux ans de prison, dont moitié de sursis, un mandat de dépôt à l’audience et l’obligation de se soigner. Il préconise que soit conservée la Mercedes ; l’épouse grimace.
Me Ramadier entend « la famille », comprend « son choc ». Cependant, il rejette les hypothèses : « Peut-être l’a-t-elle échappé belle, on peut toujours envisager le pire, mais jugeons le dossier que l’on a ! » Revenant sur « la rumination » « le trop-plein », « les digues qui ont cédé », il traduit l’état d’esprit de Serge. « C’est : “je vais les emmerder”, rien d’autre. Il n’a pas réfléchi ! » L’avocat insiste sur la détention : quel intérêt d’incarcérer « un homme qui travaille encore pour payer les études de sa fille ? ».
Les juges couperont la poire en deux : six mois de détention plus deux ans de sursis. Il sera suivi par un psychologue, devra indemniser les victimes, ne les contactera plus et ne remettra pas les pieds à Villeparisis avant 2025. La Mercedes est restituée à sa femme. Elle soupire et dit au revoir à Serge, interloqué d’être emprisonné à 72 ans. Le 15 novembre, les parties civiles lui présenteront la facture de son coup de sang.
Référence : AJU279556