Tribunal de Meaux : en Seine-et-Marne, la lutte contre les fraudes s’intensifie

Publié le 17/05/2023

Ce mardi 16 mai 2023, la 3e chambre du tribunal correctionnel de Meaux (Seine-et-Marne) affichait complet. Impatients derrière les avocats, une trentaine de collégiens attendaient les cinq prévenus de fraudes fiscale et sociale, de blanchiment, travail dissimulé, d’escroquerie. Mais aucun d’entre eux ne s’est présenté.

Tribunal de Meaux : en Seine-et-Marne, la lutte contre les fraudes s’intensifie
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 Le vice-procureur Pierre-Yves Biet goûte peu la plaisanterie. La présidente Françoise Catton et ses juges assesseures n’apprécient pas plus qu’on leur fasse faux bond, elles qui devaient initialement consacrer tout l’après-midi à juger cinq hommes soupçonnés d’avoir roulé l’État. Les représentants de l’Urssaf et de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) qui se sont constitués parties civiles affichent un relatif stoïcisme, même s’ils ont affronté les embouteillages en Île-de-France pour se présenter à Meaux. Et les avocats, l’une venue de Paris, l’autre de Bobigny, en Seine-Saint-Denis, espèrent que leurs clients ne seront pas jugés en leur absence. Notamment parce que les deux dossiers apparaissent particulièrement graves et qu’ils savent qu’en Seine-et-Marne, la justice n’a guère de mansuétude envers les combinards.

Le récent bilan du Comité opérationnel départemental anti-fraude en fait la percutante démonstration. En 2022, le Codaf a identifié un préjudice de 31,6 millions d’euros, dont 26 sur la base de ses seuls contrôles, au nombre de 290. Soit 40 de plus qu’en 2021, la pandémie de Covid expliquant cette différence. Ce travail collectif, notamment mené par les douanes, le fisc, la police, la gendarmerie, les caisses d’assurance-maladie et d’allocations, est placé sous l’autorité du préfet et des parquets, qui poursuivent lorsque la mauvaise foi est manifeste.

« Comme si l’on avait versé un produit toxique dans du lait »

Les collégiens patientent, donc, tout comme le vice-procureur Biet chargé de l’accusation contre trois Turcs, des frères suspects de banqueroute, de la tenue d’une comptabilité irrégulière, dissimulation d’actifs, escroquerie, abus de biens sociaux de 2017 à 2022. Non seulement ils sont absents mais leur conseil a délégué Me Thierry Benkimoun, du barreau de Meaux, pour solliciter le renvoi du procès. Motif invoqué : l’avocat désigné par le trio n’a pas eu le temps de lire la procédure. « Effectivement, grince M. Biet, il a retiré le dossier à 13h06 hier alors que la convocation a été envoyée le 23 novembre 2022… » À leurs côtés, aurait dû figurer Elie, un Marocain de 49 ans, poursuivi pour complicité d’escroquerie. Il ne s’est pas déplacé, à la différence de Me Eugénie Trapp, venue de Paris pour l’excuser…

La présidente Catton accorde finalement un délai de six mois, qui devrait suffire à préparer la défense des quatre.

A tout hasard, Mohamed serait-il dans la salle ? Que nenni. Le serrurier a été hospitalisé à 10 heures, le matin même. Les cadres de l’Urssaf et de la DGFiP, assis au premier rang, referment leur dossier respectif qui contient « l’ardoise ». La juge énumère les sommes dues au titre de l’impôt et de la TVA dont l’artisan ne s’est pas acquitté. On les saisit au vol ; c’est difficile, il y en a tant : 401 274 euros, 143 131 €, 97 000 €, 126 780 €, 29 482 €, 24 000 € et quelques (on sèche). La prévention pour blanchiment, fraude fiscale, travail dissimulé s’étale des années 2017 à 2022. En outre, Mohamed a des comptes bancaires à l’étranger sur lesquels il semble déposer ses gains non déclarés. Son défenseur, Me Hatem Hsaini, explique qu’il doit être opéré mais, promis, il viendra une fois rétabli répondre « de ce dossier ambigu : si je peux me permettre, c’est comme si l’on avait versé un produit toxique dans du lait », image-t-il, précisant qu’à la base, « le lait était bon ».

Il faudra patienter jusqu’au 10 octobre pour comprendre la métaphore. Le contrôle judiciaire de Mohamed est maintenu.

Près de 20 millions d’euros de fraude sociale en 2022

 Les élèves et leurs professeurs quittent la salle sans avoir pu profiter d’un cours sur l’économie souterraine qui, en France, a coûté l’an dernier entre 17 et 20 milliards d’euros aux administrations. Au regard d’un tel montant, les 31,6 millions ayant échappé à l’État en Seine-et-Marne peuvent paraître dérisoires, bien que préoccupants : à titre de comparaison, dans le Val-de-Marne, le Codaf n’a recensé « que » 19 millions de préjudice.

Dans le ressort des juridictions de Meaux, Melun et Fontainebleau, ce sont les patrons de l’hôtellerie-restauration, du bâtiment, des auto-écoles et des salons de coiffure ou massage qui ont le plus enfreint la loi. Une vingtaine d’établissements ont du reste été fermés. Le pôle social du Codaf estime le préjudice à 20 millions, la caisse d’allocations familiales a comptabilisé 925 dossiers litigieux. La fraude aux documents, dont 1 111 titres de séjour ou permis de conduire « complaisants », a fait l’objet de 450 signalements aux parquets. Les infractions constatées par le pôle travail (560 interventions) sont également en hausse. Les douanes ont infligé 634 000 € de pénalités, saisi plus de quatre tonnes de tabac. Enfin, le coup de filet dans une école talmudique privée de Bussières a permis de confisquer 430 000 € en cash et 1,3 million sur 15 comptes bancaires. Plusieurs employés n’étaient pas déclarés.

Cette année, le Codaf se concentre particulièrement sur la préparation des Jeux olympiques et l’inévitable fausse billetterie, sur les centres de soins et les hébergements.

 

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