Tribunal de Meaux : Escroc en Louboutin, elle a ruiné une société d’ingénierie nucléaire

Publié le 21/06/2023

En deux ans, la responsable financière d’une entreprise intervenant sur des « sites sensibles » a détourné 356 694 €, en récidive. Elle a provoqué son démantèlement et le patron a revendu à perte, subissant une décote de plusieurs millions. Julie a été jugée par le tribunal de Meaux (Seine-et-Marne) avec son ex-conjoint qui a profité du fastueux train de vie.

Tribunal de Meaux : Escroc en Louboutin, elle a ruiné une société d’ingénierie nucléaire
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

Julie, 42 ans, se présente à la barre en chemise bleu ciel, pantalon beige ; la mise est sobre, à l’opposé des tenues ostentatoires qu’elle affectionnait il y a six ans, avant son placement en détention provisoire le 4 octobre 2017. À l’époque, elle roulait en Mini Cooper ou Audi Q7, disposait de lingerie fine d’une valeur de 8 500 €, de tenues chics accompagnées d’une des 14 paires d’escarpins de marque Louboutin (695 € les moins chers), préférés à ses 90 autres modèles, et de l’un de ses 19 sacs de luxe. À 2 ans, sa fille bénéficiait de 17 paires de sandalettes. En perquisition, la police a battu « un record » de saisie, selon le président de la chambre correctionnelle, jusqu’à trouver 50 lunettes de soleil et assez de produits de beauté pour achalander une parfumerie de quartier.

Ce jeudi 15 juin 2023, Julie doit donc expliquer pourquoi elle a mené grand train au préjudice de la société d’ingénierie nucléaire qui l’employait (nous tairons sa dénomination par discrétion pour un secteur « sensible », même si elle a été modifiée). Il faudra dire pourquoi elle a roulé un homme qui l’a embauchée en dépit de son passé : alors qu’elle travaillait pour lui, elle a été condamnée en 2016 à trois ans de prison, deux avec sursis probatoire, pour une escroquerie de 250 000 € et un faux acte notarié. Julie avait aussi interdiction d’exercer dans la comptabilité. À son juge de l’application des peines, qui lui avait accordé une semi-liberté, elle avait remis un contrat trafiqué. Aussi comparaît-elle pour escroquerie et abus de confiance, deux préventions en récidive, et exercice illégal d’activité commerciale.

« Quand j’ai découvert le pot aux roses, j’ai pris mes jambes à mon cou »

 À sa droite, Frédéric, 58 ans, répond de recel des biens et d’usage de faux, en l’occurrence des fiches de paie et un contrat pour louer un appartement après leur séparation, en mai 2017. Jean bleu et chemise blanche, caressant sa barbe poivre et sel, ce père de deux filles, dont celle aux sandalettes, nie le recel, bien qu’il ait vécu comme un roi durant huit ans sans en avoir les moyens. Au chômage depuis 2011, il percevait 486 € d’allocation. Si Julie avoue les faits, lui jure avoir cru qu’elle gagnait honnêtement sa vie, leur permettant de parader en Q7 à 88 000 € (premier prix), voyager, sortir un soir sur deux, acheter des ordinateurs, tapis de course et vélo d’intérieur, appareils ménagers, etc.

« J’ai eu un doute quand elle a ramené l’Audi mais elle a dit que c’était une voiture de société, développe-t-il. Et lorsque ma fille aînée a découvert les produits de beauté, ça m’a mis la puce à l’oreille. » Il l’aurait questionnée ; elle aurait esquivé. Le président Servant : « – Et les vêtements de luxe, tout ce que contenait la maison ? Vous ne vous interrogiez pas ?

– J’ignorais combien elle gagnait… Madame savait parfaitement cacher les choses.

– Pendant huit ans ? Vous êtes le premier couple qui ne parle pas d’argent, ne serait-ce que pour planifier les dépenses…

– Je ne pouvais pas imaginer qu’en semi-liberté, elle recommence ! C’était inconcevable.

– Mais vous deviniez qu’il y avait un loup, comme dirait un édile du Nord [NDLR, la maire de Lille, Martine Aubry] ?

– Quand j’ai découvert le pot aux roses, j’ai pris mes jambes à mon cou !

– Grâce à de faux bulletins de salaire… Très bien faits, d’ailleurs…

– Oui, je n’ai pas vu le mal, c’est ma seule erreur. »

« J’étais sous son emprise, je ne cachais rien »

 La version de Julie contredit le titulaire d’un bac gestion, qui se donne du mal pour se peindre en benêt de service. Elle certifie « l’avoir chassé » – il n’a pas pris la poudre d’escampette. « Je voulais être jolie, le contenter, son confort passait avant tout, même si je connaissais le risque », poursuit-elle, évoquant son effroi « en le voyant en garde à vue. J’aurais pu mourir pour qu’il ne lui arrive rien ! ». Raison qui l’aurait conduite à le couvrir durant cinq ans d’instruction. « J’étais sous son emprise, je ne cachais rien. Il était à la maison chaque jour, il avait le temps de fouiller de fond en comble. »

Si désireuse de l’entraîner dans sa chute, elle finit par ne plus être crédible. La voici qui soutient soudain avoir été battue. Me Carine Fontaine, avocate de Frédéric : « – Cela n’est jamais apparu en procédure…

– Je n’en ai pas parlé car j’étais incapable de me détacher de lui.

– Il serait donc responsable des faits que vous avez commis ?

– Oui ! Même si c’est moi qui étais devant l’ordinateur ! »

Au bureau, face à son PC, Julie s’est livrée à « de la cavalerie », selon le mot de Me Badia Brick, qui représente la partie civile. Parlant de « délinquance astucieuse », elle détaille les dommages. Pour payer la Mini Cooper, le Q7, le Qashqai à ses parents jouissant par ailleurs d’une rente mensuelle, trois Citroën C3, le loyer de sa maison, les meubles, articles de luxe, factures, la responsable financière chargée de 300 salariés a puisé dans les comptes de la société, falsifié les notes de frais, augmenté son salaire de 1 200 €, inventé « des heures supplémentaires en masse », détourné à son profit les charges dues à l’Urssaf, laissant une ardoise sociale qui a plongé l’entreprise dans « un chaos administratif pendant deux ans. Et tout s’est écroulé ».

Au passage, il est précisé que Julie perçoit désormais 2 500 € en CDI et ne rembourse que 80 € par mois à sa première victime : « Cela représente 250 ans et 3 000 mensualités pour solder le préjudice », calcule le président.

« Elle persiste dans son délire consumériste »

 Consciente de l’insolvabilité de Julie, et de Frédéric « solidaire car n’ayant pas pu vivre huit ans avec elle sans s’interroger », Me Badia Brick sollicite que « soit acté dans un document le montant des dédommagements même si c’est pour l’encadrer dans une cuisine ». Elle l’estime à 500 000 €.

Pour la procureure Zoé Debuse, le duo est « coupable ». Elle « regrette que les parents de Madame n’aient pas été poursuivis », ayant tiré avantage du « système mis en place », des « stratagèmes ». « Prête à tout pour plaire en violation de son sursis », Julie « a persisté dans son délire consumériste ». Elle requiert cinq ans de prison, dont deux ferme et une mise à l’épreuve jusqu’en 2026, des soins et une interdiction définitive d’exercer une activité commerciale. Et, bien entendu, le remboursement des fonds soustraits.

Quant à Frédéric, « qui a opportunément fermé les yeux » sur « le nombre d’achats stockés dans une maison de 90 m2, qui nous affirme n’avoir jamais ouvert les placards, vous considérerez qu’il ment, évidemment ! » À cause d’une peine pour abandon de famille, il n’est pas accessible au sursis. Elle suggère une amende de 6 500 €.

Me Carine Fontaine, intervenant à son côté, plaide « les explications qu’il a demandées sans obtenir de réponses », espère qu’il sera sanctionné pour le seul usage des faux. Au soutien de Julie, Me Fabrice Decrock insiste sur « l’aspect maladif de son comportement », « une accumulation d’objets qui n’étaient pas revendus, que parfois même elle ne portait pas ». Soulignant « sa parfaite réinsertion », il supplie les juges de « ne pas la réincarcérer » (elle a été détenue quatre mois pour la seconde escroquerie). Julie rappelle qu’elle a une fille de 7 ans.

À la nuit tombée, le tribunal rend un jugement conforme au réquisitoire contre Julie : cinq ans, dont deux ferme aménageables. Durant trois ans, le JAP s’assurera qu’elle se soigne, travaille, indemnise la société ruinée et ne s’approche plus d’un service comptable. Pour Frédéric : 300 jours-amendes à 22 € chacun, et il paiera la moitié des 282 734 €, le préjudice retenu. Les peines sont exécutoires, peu importe qu’ils fassent appel. Et les scellés sont confisqués. Jusqu’aux 14 paires de Louboutin.

Tribunal de Meaux : Escroc en Louboutin, elle a ruiné une société d’ingénierie nucléaire
Me Badia Brick, avocate au barreau de Paris, à la 3e chambre correctionnelle de Meaux jeudi 15 juin 2023 (Photo : ©I. Horlans)
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