Tribunal de Meaux : « Et les coups dans le dos, c’est aussi la faute du chien ? »
Jean, petit bonhomme haut comme trois pommes, répond de violences envers sa femme et sa fille. À l’origine de son alcoolisme ? Sa retraite. Et de ses accès de rage ? Un pauvre chien qui l’importunait chez lui. À son procès, il a accablé l’animal au point que le tribunal de Meaux a dû lui rappeler que celui-ci n’était pas jugé.

Jean, 62 ans, entre dans le box des prévenus de la chambre correctionnelle du tribunal seine-et-marnais comme on marche vers la potence. Chétif et petit, il avance à pas de tortue jusqu’au micro placé trop haut et commence à mâchouiller les bouts de doigts de sa main gauche. Sans sa calvitie et ses rares cheveux gris, son visage fripé et ses yeux chassieux, on croirait voir un enfant pris en faute. Prévenu de violences en état d’ivresse sur sa fille et son épouse, présentes à l’audience, il a été emprisonné le 17 avril après avoir enfreint son contrôle judiciaire. Il lui était interdit de rentrer chez lui, où les gendarmes l’ont trouvé caché. Avant cela, il s’était aussi présenté à son contrôleur judiciaire en compagnie de sa femme, qui l’a pardonné. Et il avait manqué deux rendez-vous. Trop c’est trop, Jean a été écroué.
Ce 11 juin, cela fait donc 56 jours qu’il vit en cellule, une première dans sa vie de manutentionnaire aéroportuaire. Mais plus que l’enfermement et la promiscuité, c’est la séparation d’avec Brigitte*, épousée dans sa jeunesse, qui le mine : « Je l’aime, je m’ennuie d’elle. Je veux rentrer à la maison et y vivre heureux jusqu’à mon dernier souffle », dira-t-il, en larmes, au cours des débats qu’il subit sans avocat.
« Le chien, j’en peux plus, il dégueulasse tout ! »
Au large dans son teeshirt orange aux inscriptions délavées, Jean reconnaît avoir frappé Brigitte et Sophie*, faits jusqu’alors démentis. La première, en mai 2024 : « On s’est embrouillés car elle voulait partir cinq jours avec ses filles. » Les coups dans le dos, c’était pour l’empêcher de profiter de la vie sans lui.
La présidente Isabelle Verissimo : « C’est pourtant son droit le plus strict.
– Et moi, j’aurais fait quoi ? C’est ma femme, quand même !
– Vous êtes un adulte, vous pouviez vous débrouiller.
– Et si elle me trompe, c’est aussi permis ?
– Oui. L’adultère n’est plus un délit. »
Sophie, qui vit avec ses trois enfants chez ses parents depuis son divorce, a également pris des coups dans le dos le 30 décembre. Jean a été interpellé le jour même. « C’était pour quoi, cette fois-ci ?
– Elle est arrivée chez nous avec son chien. Moi, j’en ai marre, je veux être tranquille. Le chien, j’en peux plus, il dégueulasse tout ! Elle voudrait que je le sorte, ce n’est pas à moi de le faire !
– C’est une raison pour la déséquilibrer ? Les coups dans le dos, c’est aussi la faute du chien ?
– Une tape dans le dos, c’est rien ! Dans le temps, on tapait, c’était normal.
– Non ! Cela n’a jamais été normal et ce n’est pas acceptable. »
Doigts dans la bouche, Jean pleure et grimace. De son temps, comprend-on grâce à ses explications, le père battait les enfants et la mère s’occupait des tâches ménagères. « C’était comme ça », regrette le sexagénaire auquel un expert prête « une fragilité psychologique manifeste » que sa mise à la retraite a accentuée. Il noie son désœuvrement dans l’alcool. De la bière et quatre bouteilles de rosé vidées à 11h15 lors de son interpellation, selon le rapport des gendarmes.
« Qu’on me mette dans un cercueil, et puis c’est tout ! »
Jean admet boire « trop, pas tout le temps ». Il est d’accord pour se soigner. À condition que le chien « dégage » de chez lui. On en revient à la bête qui l’obsède. Deux minutes de digression autour des crottes et des balades. À la barre, sa fille le rassure : « Il n’est plus là. » On ne saura rien du sort qui lui a été réservé. Partie civile, Sophie ne demande qu’une chose : « Je veux qu’il arrête de boire. » L’épouse souhaite « juste qu’il rentre chez nous ».
Toutefois, les témoignages de trois voisins ne rassurent pas le tribunal. Ils dénoncent les cris, les insultes, les coups contre la cloison : « Un macho », estiment-ils. « Ah bon ? Ah bon ? », s’étonne Jean, prêt à en découdre avec les rapporteurs. L’occasion de ramener le chien au centre du procès : c’est après lui qu’il criait. Nouvelle digression.
Alexandre Boulin, substitut du procureur, coupe court : « Monsieur, c’est votre procès, pas celui du chien ! Ce n’est pas la faute du chien ! » Compte tenu de « la possible gradation de la violence », il requiert huit mois avec sursis probatoire de deux ans, l’obligation de soins, l’interdiction de vivre au domicile conjugal durant un an, « mais vous aurez la possibilité d’avoir des contacts avec votre épouse ». Le tout avec exécution provisoire.
Le prévenu, en larmes, n’a retenu que « huit mois de prison », le mot sursis lui a échappé : « Qu’on me mette dans un cercueil, et puis c’est tout ! » Et, c’est plus fort que lui, il accable de nouveau le chien. Il aurait vraiment dû solliciter la présence d’un avocat.
Le tribunal suit l’intégralité des réquisitions. « Vous allez sortir de prison ce soir, lui explique Mme Verissimo, mais vous devrez habiter ailleurs.
– Ah bon ? Ben, je vais aller où ? », répond l’homme hébété, fixant Brigitte, aussi sonnée que lui.
* Les deux prénoms ont été modifiés
Référence : AJU499672
