Tribunal de Meaux : « Êtes-vous conscients que, sur le papier, vous encourez 20 ans ? »

Publié le 20/04/2022

Louer une BMW durant un mois. La charger de pieds-de-biche, gants et lampes frontales. Cambrioler un pavillon vide. Se faire arrêter sur l’A4 à cause d’un embouteillage et se présenter, penauds, devant le tribunal de Meaux (Seine-et-Marne). Qu’est-il passé par la tête des quatre jeunes gens qui se disent « désolés » ?

Tribunal de Meaux : « Êtes-vous conscients que, sur le papier, vous encourez 20 ans ? »
Intérieur du TJ de Meaux ©I. Horlans

 Me Samir Idir, avocat au Barreau de Paris, intervient en défense des quatre garçons. Pour les tirer du mauvais pas qui les a fait trébucher, il en appelle à Auguste, le premier empereur romain, fils adoptif de Jules César. Et plus précisément aux quatre vertus que le Sénat reconnut au chef suprême du principat : le courage, le sens du devoir, la justice, la clémence. Pas certain, à ce stade des débats, que les prévenus en jean troué et blouson perçoivent l’intérêt d’exhumer le bouclier d’or gravé en l’an 27 avant Jésus-Christ. Il n’empêche, les juges de la 3e chambre correctionnelle de Meaux, intrigués, suivent la démonstration avec curiosité. Finalement, Me Idir les conduira à se montrer partiellement indulgents.

« Je croyais qu’il y avait un peu d’argent à se faire »

L’issue du procès n’était pas écrite, loin de là. Poursuivis pour un vol par effraction aussi pitoyable qu’une aventure des Pieds nickelés en début de carrière, Sami, Basu, Ryan et Boubacar avaient contre eux une circonstance aggravante, la commission des faits en réunion, assortie pour deux d’entre eux d’un état de récidive légale. Sami et Basu ont été incarcérés à l’issue de leur garde à vue, notifiée le 25 janvier dernier. Respectivement âgés de 23 et 25 ans, ils n’en mènent pas large dans le box. Surtout Sami, à qui un juge a accordé la mise en liberté sous bracelet électronique dès le 28 avril. Il purge sa peine pour conduite de voiture sans permis. Son copain Basu, lui, enchaîne depuis 2017 les sanctions pour trafic de drogue, la dernière a été infligée à Bobigny (Seine-Saint-Denis) en septembre 2021.

Ryan et Boubacar, 24 ans, comparaissent libres. Ils se tiennent à la barre, au sens propre et figuré. Ce qui leur évite de chanceler lorsque le président Servant leur assène un coup de boutoir en début d’audience : « Êtes-vous conscients que, sur le papier, vous encourez 20 ans de prison ? » demande-t-il aux récidivistes Basu et Boubacar, lequel risque une 7e condamnation. Puis, à l’adresse de Ryan et Sami : « Et vous, vous risquez 10 ans ! »

Les quatre baissent la tête. Ryan endosse la responsabilité de la virée dans un quartier d’Émerainville : « Je croyais qu’il y avait un peu d’argent à se faire », explique-t-il. Ce mardi 25 janvier, vers 21 heures, il entraîne donc ses amis dans une maison qu’il ignorait vidée de son mobilier. Leur butin s’est limité à un casque de moto et deux câbles. Il jure que « s’il y avait eu des gens à l’intérieur, [on aurait] pris la fuite ».

« Une équipe chevronnée disposant du matériel de cambrioleurs »

 Ryan ne savait pas que le propriétaire du pavillon disposait d’un système d’alarme, qui s’est déclenché. Assistant en direct à l’incursion, il a prévenu la police. La brigade anticriminalité prend aussitôt en chasse la BMW et la retrouve immobilisée dans les bouchons de l’autoroute A4. « Elle n’est pas claire, votre voiture », euphémise le juge Servant. Dans le coffre, il y avait de quoi opérer une razzia.

« C’était quoi, l’idée ? questionne l’assesseure Sarah Dos Santos. D’autres maisons étaient-elles visées ? Pourquoi louer une BMW durant un mois ? Et comment vous la payez ? » Les quatre regardent leurs chaussures.

« C’était une mauvaise idée », tente Boubacar, qui veut être machiniste à la RATP. « Je pense pareil », dit Sami, poseur de fibre Internet. « Moi aussi. On a suivi, on est tous fautifs », ajoute Basu, électricien. Ryan, magasinier une seule fois condamné, s’avoue « désolé ». Les trois enchérissent : « Oui, on est désolés. » L’impression laissée par ces quatre célibataires hébergés chez leurs parents est mitigée : les excuses semblent de circonstance.

Le procureur de Valroger voit en eux « une équipe chevronnée disposant du matériel de cambrioleurs ». Selon lui, « ils ont l’intelligence d’écouter les conseils de leur avocat. » Contre Basu et Boubacar, il requiert six mois de prison. Même peine, mais avec sursis et mise à l’épreuve, à l’encontre de Sami. Et enfin, pour Ryan, quatre mois de détention « aménageable ». Il sollicite l’interdiction de séjour en Seine-et-Marne de la bande jusqu’en 2027.

Me Samir Idir brandit alors le bouclier d’or d’Auguste. Il décline les quatre vertus pour souligner que, « de l’abîme et l’obscurité », peuvent ressortir de bonnes choses. Le courage : « Ils l’ont de reconnaître les faits, premier pas vers la citoyenneté. » Le sens du devoir : « Ils travaillent, ils offrent des garanties. » La justice : repentants, ils en acceptent l’augure. La clémence : le défenseur l’implore « car c’est la meilleure solution pour ne plus les voir ici », soit dans un prétoire.

Seul Basu ne l’obtient pas, tant il a fait « n’importe quoi ». Il est condamné à neuf mois de détention, dont deux tiers avec sursis. Son mandat de dépôt est décerné à l’audience. Ses amis écopent de six mois assortis d’un sursis probatoire de deux ans. Sami repart en cellule jusqu’au 28 avril, la pose de son bracelet n’est pas annulée. Il remercie les magistrats. Ryan et Boubacar également. Ils s’en vont, satisfaits, tandis que Me Idir et le procureur Éric de Valroger dissertent sur l’empereur Auguste.

Tribunal de Meaux : « Êtes-vous conscients que, sur le papier, vous encourez 20 ans ? »
Me Samir Idir, du barreau de Paris. (Photo : ©I. Horlans)
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