Tribunal de Meaux : « Il a perdu deux litres de sang et l’usage de ses doigts ! »

Publié le 14/09/2023

Pour un peu, Florian et Jean-Prince seraient les gentils de l’histoire : ils auraient voulu empêcher la vente de cocaïne par Alex, qui se serait auto- sectionné au cutter l’artère et le nerf axillaires gauches. Au tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), leurs boniments ont fait long feu.

Tribunal de Meaux : « Il a perdu deux litres de sang et l’usage de ses doigts ! »
Intérieur du TJ de Meaux ©I. Horlans

Prisonnier depuis décembre 2022 après des mois de cavale, l’Ivoirien Jean-Prince, 35 ans, pourrait boxer dans la catégorie poids lourds. À la barre de la 3e chambre correctionnelle, Florian, 27 ans, libéré en février, est petit et délicat. Son style « verbeux, horripilant », selon le procureur, n’aide pas à gober ses fariboles. Ils sont soupçonnés de « violence suivie de mutilation ou infirmité permanente » contre Alex, qui ne recouvrera pas l’usage des doigts gauches, peut-être même pas de son bras. De plus, Jean-Prince a agi en récidive.

L’agression, le 7 mars 2022, s’est déroulée sur une place centrale à La Ferté-sous-Jouarre. Selon la victime, ni présente ni représentée, la rixe a eu pour origine une critique à la caisse de l’épicerie voisine : Jean-Prince mettait du temps à payer, Alex lui aurait reproché de l’obliger à patienter. L’Ivoirien serait revenu peu après, en compagnie de Florian, pour régler son compte au grincheux. De la manière forte : un coup de cutter sous l’aisselle, artère et nerf axillaires coupés, 17 points de suture, 45 jours d’arrêt de travail.

« Il a tenté de me planter, j’ai esquivé, il s’est touché lui-même »

 L’expert, qui a examiné Alex en janvier et avril, prédit « une récupération neurologique incertaine, très peu probable », évoque « un déficit complet de la main gauche ». « Les faits sont graves ! » insiste la présidente Isabelle Florentin-Dombre. Aphorisme utile : les prévenus n’ont pas l’air secoué.

Ils ont accordé leurs violons. Ils ont cueilli Alex pour lui reprocher d’avoir essayé « de vendre de la coke devant des mamans » dans la boutique. Coke que, soit dit en passant, la police n’a pas trouvée sur le blessé. Oui, Florian, dit « Chouk », a riposté « à un coup » porté par Alex.

« – Pourquoi vous aurait-il frappé ?

– Allez savoir ! Je me mets à sa place, il a eu peur en voyant deux Africains arriver sur lui. »

Oui, Jean-Prince, alias « Bobby », « s’est empoigné » avec Alex « quand ses amis s’apprêtaient à nous assaillir ». Il fallait montrer ce qu’il en coûterait d’aller au combat : « Il a sorti une lame, a tenté de me planter, j’ai esquivé, il s’est touché lui-même. »

Chouk et Bobby s’en tiennent à la version de « l’automutilation », en dépit de la vidéosurveillance et des quatre témoins. Tous marqués « par le sang qui s’écoulait sans s’arrêter », « des giclées » difficiles à juguler.

« Le grand a sorti un cutter ou un couteau de sa chaussette »

 Ces témoins sont unanimes. Synthèse : « Le grand a sorti un cutter ou un couteau de sa chaussette. Il lui a mis un coup avec l’objet tranchant. » Qui, pas plus que la dope, n’a été saisi sur Alex. Tandis que les amis cherchaient à stopper l’hémorragie, Bobby et Chouk se faisaient la belle. Le second a été arrêté cinq mois après l’infraction, et a inventé plusieurs versions pour « protéger [son] ami ». Il jure de livrer « cette fois, la très bonne version ». La juge : « Vous saviez qu’un homme avait été accusé à tort ? » « Je voulais protéger Jean-Prince », redit Florian. Identifié le 4 octobre, le comparse est interpellé deux mois plus tard. « Vous réalisez qu’il a perdu deux litres de sang et l’usage de ses doigts ? Que sa blessure aurait pu être fatale ? » Pas de réponse.

Le procureur Éric de Valroger fustige « le feuilleton, les fables » servis par Florian « qui parle pour ne rien dire, avec ses “allez savoir» qu’il adore », « constant dans ses errements », et par Jean-Prince, « un sacré menteur ». Déjà condamné pour violence, proxénétisme, il est l’objet d’une obligation de quitter le territoire (OQTF). À son encontre, il requiert trois ans ferme, le maintien en détention, l’interdiction de revenir en France jusqu’en 2033. Et quinze mois contre Florian qui en a purgé sept en cellule. Il suggère une détention sous surveillance électronique (DDSE) pour le reliquat des neuf mois.

En défense, Me Audrey Zagory souligne qu’Alex « n’accuse pas Florian de l’avoir mutilé. “On s’est juste chamaillés”, l’a-t-il exonéré ». Elle voudrait que soit faite « la part des choses ». Pour Jean-Prince-Bobby, Me Clothilde Brémond estime « manquer de certitude sur l’origine de la blessure », elle espère une requalification en violence involontaire.

Convaincu par le dossier, le tribunal suit les réquisitions, à ceci près : Jean-Prince est interdit de territoire durant trois ans, Florian échappe à la DDSE au profit d’un sursis. Le préjudice d’Alex sera déterminé dans un an.

 

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