Tribunal de Meaux : « Il était de type africain, donc j’ai cru qu’il aurait moins peur de moi »
Ivre à 7 h 30 du matin, Mohamed avait besoin de téléphoner. Il a d’abord coursé une adolescente pour s’emparer de son portable. Puis, il a attaqué un passant, le frappant à coups de poings et de trottinette. À son procès, l’Algérien a estimé que la victime, un Africain, aurait dû faire preuve de solidarité, puisque originaire du même continent que lui.

Laissé libre à l’issue de sa garde à vue le 19 avril dernier, néanmoins placé sous contrôle judiciaire, Mohamed comparaît détenu. Car, entre-temps, il a été condamné à sept mois de prison ferme pour rébellion et dégradations de biens. Auparavant, il avait été déclaré coupable de violences envers son épouse : huit mois sous surveillance électronique chez sa mère. Enfin, son casier mentionne deux conduites en état d’ivresse. Tout cela depuis 2022 : « Cette année-là, dit-il, j’ai commencé à vriller. »
En cause, sa dépression carabinée à la suite d’un incendie criminel à Saint-Laurent-de-la-Salanque (Pyrénées-Orientales) où huit personnes ont péri, dont le frère de Mohamed. Trois accusés viennent d’être renvoyés devant la cour d’assises. « Il faut être très costaud pour supporter ce que je vis. Moi, j’ai perdu les pédales », explique-t-il, mercredi 11 juin, aux magistrats du tribunal de Meaux (Seine-et-Marne). A fortiori parce qu’il fut « pompier dans le secteur du bâtiment » pendant 19 ans.
« File-moi ton téléphone sale pute, c’est urgent ! »
Si son drame familial permet de comprendre sa neurasthénie, il n’explique en rien son comportement du 18 avril au matin, à Coulommiers. Dans un premier temps, parce qu’il a oublié son portable chez ses amis de beuverie, qui a duré toute la nuit, il apostrophe une adolescente qui, terrorisée, court se réfugier dans une boulangerie. Mohamed, « très excité », tente de forcer le passage entre les clients, avant d’y renoncer. À l’audience, il s’inscrit en faux : « J’ai demandé avec politesse à la jeune fille de passer un coup de fil. J’ai reçu une bonne éducation. Je suis quelqu’un de respectueux. »
La présidente Isabelle Verissimo : « “File-moi ton téléphone sale pute, c’est urgent, reviens là !”, vous trouvez cela poli ? Et courir après elle ?…
– Je l’ai suivie pour justifier mon attitude.
– Elle a eu très peur.
– C’est sa perception.
– Elle était en pleurs !
– …
– Et avec monsieur B., comment ça s’est passé ?
– Il était de type africain, donc j’ai cru qu’il aurait moins peur de moi.
– Ah bon, parce que les Africains ne peuvent pas avoir peur ?
– Ben non ! »
L’Algérien de 41 ans sous-entend qu’entre supposés « pays », du moins a priori originaires du même continent, une prise à partie agressive en pleine rue relève de la démarche naturelle.
« Vu son état, je ne voulais pas m’embrouiller avec lui »
Appelé à la barre, Saïd raconte comment il a été interpellé par Mohamed : « J’allais chercher mes enfants quand il a voulu mon téléphone. Il a essayé de me l’arracher des mains. Je l’ai repoussé. On s’est agrippés. Il m’a donné des coups de poing et m’a frappé les genoux avec sa trottinette. » Six jours d’incapacité de travail. « Faux, crie le prévenu. J’ai demandé son téléphone poliment, il m’a rejeté », soulignant son absence de solidarité. « Il a tapé le premier, je me suis juste défendu ! »
Calmement, le quadragénaire blessé objecte : « Vu son état, je ne voulais pas m’embrouiller avec lui. » L’avocate de la défense le contredit d’un ton sec : « Vous avez violenté mon client ! » Las, la vidéosurveillance fait foi : les images montrent Mohamed qui colle son visage à celui de Saïd, lequel s’écarte et, poursuivi, prend des coups puis effectue des gestes de défense. Preuve irréfutable. Son attitude au commissariat et à l’hôpital, « agressive, provocante, virulente », selon le rapport, ne plaide pas en faveur de celui qui a renoncé à sa carrière de pompier et suit désormais une formation de soigneur animalier.
Le substitut du procureur considère que son alcoolisme, associé à un excès de cannabis (il en détenait lors de son arrestation), accentuent ses accès de colère, le rendent dangereux. Alexandre Boulin requiert huit mois de prison, le mandat de dépôt, l’interdiction de paraître à Coulommiers. La défense plaide « la violence de la société » qui voit les gens « tenir bien plus à leur portable qu’à prendre en pitié un homme ayant besoin de passer un appel urgent ».
Mohamed sollicite « l’indulgence » : « Je veux être auprès de ma mère, elle est là et me soutient. Je présente mes excuses à monsieur B. »
Le tribunal va au-delà des réquisitions : un an de prison, dont moitié avec sursis probatoire d’une durée de deux ans. Il devra indemniser la victime, se soigner, ne plus aller à Coulommiers pendant trois ans.
Mohamed envoie un baiser à sa mère et regagne sa cellule.
Référence : AJU499751
