Tribunal de Meaux : Il grille un feu rouge en transportant 3 600 cigarettes de contrebande
Arrêté par la police après une infraction routière, Paul* veut faire croire aux magistrats que les 18 cartouches de tabac, soit 3 600 cigarettes, qu’il transportait devaient servir à sa consommation personnelle, et à celle de sa mère. « La présomption de contrebande » dont il répond aurait pu lui coûter très cher s’il avait été intercepté par les douaniers.
Il est précisément 15 h 06, ce mardi 12 novembre, lorsque Paul* s’approche de la barre de la 1ère chambre correctionnelle du tribunal de Meaux (Seine-et-Marne). Derrière son dos, une vingtaine de collégiens âgés de 12 ou 13 ans bâillent ou regardent le sol. Ils n’ont pas de chance : Isabelle Florentin-Dombre préside une audience « TUC », c’est-à-dire consacrée au travail, à l’urbanisme, à la construction. Le dossier précédent, durant lequel l’Urssaf a évalué son préjudice à 1,6 million d’euros, a sapé leur enthousiasme. Les histoires d’employés non déclarés ne passionnent pas, à cet âge-là.
Mais voici Paul, jeune homme au look de hipster, barbe pointue et mèches rebelles, qui fêtera ses 26 ans le lendemain de sa comparution. Durant les débats, il dira que « c’est dur, un anniversaire le 13 novembre, à cause des événements passés ». Allusion aux attentats à Saint-Denis, sur les terrasses des cafés parisiens et au Bataclan en 2015. Parenthèse qui démontre, d’une certaine façon, sa sensibilité et son degré de réflexion.
Toutefois, il va dérouler un récit quelque peu tiré par les cheveux.
« Depuis les faits, ma mère et moi avons arrêté de fumer »
D’abord le contexte, rapporté par la présidente. Le 15 juin en matinée, Paul grille un feu rouge. La police municipale de Pomponne, petite ville proche de Disneyland, l’oblige à se garer. Sur la banquette, les agents repèrent un carton ouvert qui contient des cartouches de Marlboro®. Visiblement, les 180 paquets n’ont pas été achetés au bureau de tabac. L’énorme “Smoking Kills” (fumer tue) qui y est inscrit trahit la provenance douteuse. Comme le “Made in Switzerland” et l’absence de poinçon, le code de traçabilité qui est obligatoire, même en Suisse. Les policiers de Serris sont prévenus. Eux seuls peuvent enquêter. « Ils m’ont sermonné 45 minutes », confiera-t-il en salle des pas perdus.
Et pour cause. Paul raconte que, dans les cigarettes, il a vu « des branches. Je me suis fait avoir ». Il explique comment et pourquoi il les a achetées : « J’étais au marché Porte de Clignancourt, un vendeur me les a proposées. C’était un bon plan. J’essaie de m’en sortir, c’est pas facile. C’était pour ma consommation personnelle et celle de ma mère. Depuis les faits, on a arrêté de fumer. »
Le « bon plan » intrigue la juge : « Combien avez-vous payé le paquet ?
– Le tout m’a coûté 320 euros…
– 1,77 € le paquet ? C’est moins cher qu’à Barbès ! »
À force de voir défiler les vendeurs à la sauvette, la magistrate connaît les tarifs pratiqués dans le XVIIIe arrondissement de la capitale.
« Au-delà de 800 cigarettes, il y a présomption de contrebande »
Les collégiens sont tout ouïe, même s’ils ignorent le montant du bénéfice : dans le commerce, Paul aurait dû débourser 2 160 €. Ils ne savent pas non plus que la « plus-value » qui aurait mis du beurre dans les épinards de la famille est interdite par le Code des douanes. Au-delà de 800 cigarettes, sous réserve d’en justifier l’origine, « il y a présomption de contrebande et c’est un délit au regard du droit douanier », explique la présidente à Paul, tout contrit et sans avocat.
S’il avait été interpellé par les fonctionnaires de Bercy, il risquait trois ans de prison et, outre la confiscation de l’objet de la fraude (en l’espèce détruit par la police), il encourait une amende du double de sa valeur. « Je vous assure que c’était pour nous, insiste le prévenu. Je m’excuse des actes que j’ai commis. »
Accablé à l’idée d’être lourdement sanctionné, il en oublie que fumer n’est pas interdit : « J’ai arrêté, ma mère aussi, on s’est mis au sport », répète-t-il trois fois. « Je voulais apporter des analyses de sang et vous prouver qu’il n’y a plus de nicotine. »
Son casier comporte trois condamnations : deux pour délits routiers, une pour détention d’arme de catégorie B. La juge : « C’était quoi ?
– Une arme blanche.
– Ah non, impossible ! Dans ce cas, ce serait catégorie D.
– Je ne me rappelle plus… Peut-être un pistolet ?
– Un revolver de calibre 22, précise le procureur Alexandre Verney.
– J’étais jeune. Je n’étais pas très sage », répond celui qui aura donc 26 ans ce 13 novembre.
« Il y a des risques pour la santé, c’est un poison ! »
Après avoir rappelé que le jeu n’en vaut pas la chandelle, que ces produits « fortement taxés » rapportent de l’argent à l’État et qu’en conséquence ils sont particulièrement surveillés, le parquetier insiste sur l’essentiel : « Que ce soit pour vous ou pour vendre, il y a des risques pour la santé, c’est un poison ! » Les études réalisées au laboratoire de la Douane ont révélé que ces contrefaçons renferment trois à huit fois plus de cadmium, d’arsenic, de mercure, de plomb ; voire des poils, de la sciure ou du plastique. Paul n’étant plus éligible au sursis simple, M. Verney requiert 100 jours amende de 6 € « qui se transformeront en jours de prison si vous ne payez pas ».
Au total, comprennent les collégiens, si le tribunal suit les réquisitions, le prévenu sera « refait » de 320 € dépensés pour rien, de 600 € à verser au Trésor public et de 127 € de droit fixe de procédure. L’équivalent de neuf cartouches de cigarettes au bureau de tabac.
Paul assure sa défense : « Je comprends, mais j’ai évolué. C’est une grosse somme pour moi qui touche le Smic… »
Les professeurs et leur classe sont partis quand tombe le jugement. Les 100 jours amende sont portés à 7 €.
* Prénom modifié
Référence : AJU481968