Tribunal de Meaux : Ils fracassent le crâne d’un gardien pour voler du rouge à lèvres

Publié le 12/09/2024

Le dossier est si volumineux qu’il a fallu scinder le procès. On ignore si les six prévenus, qui comparaissaient le 4 septembre devant le tribunal de Meaux (Seine-et-Marne) et reviennent cette semaine, seront déclarés coupables de braquages d’un entrepôt de produits cosmétiques, dont un particulièrement violent. Ils sont suspectés d’avoir dérobé des palettes de rouge à lèvres Givenchy à la société LVMH pour un montant total, à la revente, de cinq millions d’euros.

Tribunal de Meaux : Ils fracassent le crâne d’un gardien pour voler du rouge à lèvres
Salle d’audience au Tribunal judiciaire de Meaux (Photo : I. Horlans)

 Les six hommes, qui affichent des mines patibulaires, comparaissent libres et se regardent en chiens de faïence. D’un côté deux frères âgés de 40 et 31 ans, de l’autre leurs quatre supposés comparses âgés de 45, 42 et 25 ans. À la barre, H. et S. répondent d’enlèvement et séquestration, d’association de malfaiteurs et vol avec violence ayant entraîné une incapacité pénale totale de travail de 45 jours ; F. et B. de complicité des mêmes infractions. Enfin, R. est soupçonné de blanchiment aggravé et A. d’avoir fourni les moyens des délits en bande organisée. Ils ont précisé à la presse qu’il n’est pas dans son intérêt de permettre leur identification. Le message est clair.

La victime, absente, est représentée par Me Jean-Christophe Ramadier. Ce chef d’équipe, que l’on appellera Jean, a été enlevé le 12 mai 2022 à Meaux, alors qu’il regagnait son domicile vers 21h30. Quatre individus encagoulés aux mains gantés l’ont forcé à remonter à l’arrière de sa voiture, le battant au point qu’il a perdu connaissance. Chez Pascual Cosmétiques, sa société de conditionnement de produits de maquillage pour de grandes marques, à Ferrières-en-Brie, ils l’ont obligé à convoyer par élévateur quinze palettes de rouge à lèvres Givenchy vers deux Renault Master aux fausses plaques d’immatriculation. Préjudice en valeur marchande : deux millions d’euros.

Les malfaiteurs connaissaient jusqu’aux prénoms de ses enfants

 Ce n’était pas le premier vol mais ce fut le plus violent. Jean a raconté à la police judiciaire de Versailles (Yvelines) chargée des investigations que la bande l’avait menacé de s’en prendre à sa famille s’il ne coopérait pas. Les gangsters qui l’avaient surpris chez lui disposaient déjà de son identité et de son adresse. Pire : ils connaissaient jusqu’aux prénoms de ses enfants ! Sur place, il a noté des détails troublants : ses ravisseurs étaient « très bien renseignés sur les quantités et la nature des marchandises stockées », se montraient « méthodiques, calmes ». Tandis qu’ils chargeaient leur butin dans les camionnettes, Jean est resté sous la garde d’un des agresseurs. Il a remarqué un homme de type caucasien, un autre de type africain, sans plus. Il a été abandonné sur place quand le gang a quitté l’entreprise, après avoir aspergé de poudre d’extincteur, corrosive, les lieux contaminés ainsi que l’habitacle de sa voiture. Aucune empreinte exploitable.

Jean a été pris en charge à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Souffrant d’une fissure et d’un enfoncement de la boîte crânienne, occasionnés par une crosse d’arme ou une matraque, il a dû être opéré. L’expertise médico-légale note des troubles anxio-dépressifs avec syndrome post-traumatique d’intensité importante.

Une Peugeot 208 blanche facilite le travail des enquêteurs

 Si l’expédition a été rondement menée, un élément a échappé au gang : les images de vidéosurveillance de la ville de Meaux, de l’entreprise Pascual, d’un voisin de Jean, ont révélé la présence d’une Peugeot 208 blanche : on la voit suivre la victime jusque chez elle, stationner sur le lieu de l’attaque. En visionnant les séquences, la PJ de Versailles a reconstitué la scène telle que décrite par le chef d’équipe séquestré. Quatre individus camouflés en position de guet-apens dissimulés derrière du mobilier urbain avant de se précipiter sur Jean.

La Peugeot 208 est également filmée au péage de Coutevroult, sur l’A4, en direction de Ferrières-en-Brie où siège Pascual Cosmétiques. Elle précède la voiture de l’homme kidnappé et jeté sur la banquette arrière. Problème, pour les ravisseurs : la 208 ne portant pas de fausses plaques, elle mène les enquêteurs à son propriétaire : B., gérant de bar à chicha. Lequel, à la barre ce 4 septembre, n’en démord pas : il a prêté sa Peugeot à un certain Mody, que ses coprévenus ne connaissent pas et qui, vraisemblablement, n’existe que dans sa tête. Manteau noir et pantalon assorti, le jeune de 25 ans admet qu’il s’agit de sa 208 : « Je ne m’attendais pas [en la prêtant] à une chose aussi grave, dit-il au président Stéphane Léger.

– Qu’est-ce qui est “aussi grave” ?

– Ben, un enlèvement, une séquestration. Je pensais à un truc plus simple, sans vol ni violence.

– Le fameux Mody demande votre voiture prétendument pour un contrôle technique et vous remet “un téléphone de guerre”, selon votre expression. Cela n’augmente pas vos suspicions ?

– Oui, je sais, je me suis retrouvé dans une affaire qui me dépasse… »

Des palettes de rouge à lèvres Givenchy déjà subtilisées en 2021

B. n’est guère crédible, d’autant moins que sa 208 apparaît avec les Renault Master avant et après les faits (filmés à Coutevroult) et que l’analyse des bornes déclenchées le 12 mai 2022, entre 20h30 et 23h30, semble situer son téléphone dans trois communes de repli des malfaiteurs. Deux d’entre eux activent les cellules en zone industrielle à Saint-Ouen-l’Aumône, dans le Val-d’Oise, où la marchandise a sans doute été entreposée.

L’examen de la ligne de B. et la géolocalisation de l’Alfa Roméo Giulietta qu’il conduit en plus de la 208 mènent les officiers à H., un des deux frères à l’audience. La sonorisation de l’Alfa semble indiquer que B. envisage « la séquestration d’individus en raison de dettes financières ». Il précise qu’il n’a « pas peur », qu’il l’a « déjà fait avec son pote ». Quel pote ? Mystère. Il nie les propos rapportés.

Les investigations se poursuivent, aboutissent à l’identification d’un gars « de corpulence fine à la peau claire, porteur d’un bonnet vu sur des faits » antérieurs. Il s’agit de vols perpétrés les 7 février et 12 novembre 2021 chez Pascual : 23 palettes de rouge à lèvres dérobées, valeur marchande de trois millions. L’homme au bonnet était avec les voyous du 12 mai 2022.

Un réquisitoire supplétif étend l’information judiciaire aux trois délits.

Les longues surveillances techniques et physiques permettent d’arrêter B., les frères H. et F. (ce dernier faisait convoyer des Range Rover et BMW en provenance de Belgique), puis A., gérant d’un garage par lequel les Master Renault, notamment, sont passés, R., ancien employé de Pascual, possible « blanchisseur » du butin, et par la suite S., soupçonné du braquage en mai 2022.

Le 4 septembre, tous ont fermement nié les actes reprochés. Cette semaine, à l’issue des plaidoiries du vice-bâtonnier pour le blessé et des conseils de LVMH et Pascual, parties civiles, du réquisitoire de Léa Dreyfus, substitut du procureur, six avocats parisiens et meldois en défense s’emploieront à démontrer que la police judiciaire s’est fourvoyée.

 

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