Tribunal de Meaux : « J’ai eu très peur de mourir, peur pour mes enfants… »
Dylan voulait violer son infirmière. Il le reconnaît. Alors, par un matin de janvier, il s’est jeté sur elle. Dotée d’un sang-froid inouï, Anne* s’est battue, a échappé au pire. Le 8 mars 2023, 58 jours après les faits, cette femme traumatisée lui fait face au tribunal de Meaux (Seine-et-Marne). Et l’homme de 26 ans dit qu’il n’en a « rien à foutre ».
Sur l’écran de la télé installée en salle d’audience, on découvre un couloir d’hôtel. Assise derrière l’appareil, Anne* se blottit contre son époux. Hors de question de revoir la scène. Dans le box, Dylan s’enfonce sur son banc ; on ne distingue plus qu’une touffe de cheveux blond vénitien. Il refuse de regarder, de se confronter à ses actes en partie filmés. La présidente lance la vidéo. Il est 7 h 30, ce mercredi 13 janvier 2023. L’infirmière apparaît dans le champ de la caméra de surveillance. Elle toque à la porte de la chambre où le Samu social a installé Dylan. Il ouvre.
Trois minutes s’écoulent. Souffle court, on fixe le couloir vide. Et soudain, un hurlement. Le premier. Anne serre la main de son mari. Elle sait que le son, dans la télé, sera bientôt insupportable. Dans le huis clos de la pièce exiguë, elle se débat pour ne pas être violée. Pour ne pas être tuée. La porte est rouverte. L’infirmière lutte, tente de fuir, pousse des cris stridents. Il la plaque au mur, attrape sa gorge, ils se battent. Figée, l’assistance n’entend plus que les « au secours ! ». Une douzaine d’appels à l’aide. Anne court, sort du champ de la caméra. Dylan est nu, son slip à hauteur des genoux.
« Les faits ? Je m’en bats les couilles ! »
La présidente Emmanuelle Teyssandier expose ce que l’on n’a pas vu. Ce matin-là, comme les lundi et mardi précédents, Anne se présente à l’hôtel pour vérifier les constantes de Dylan et lui faire prendre ses médicaments « à visée psychiatrique ». Matin et soir, l’infirmière libérale d’une trentaine d’années veille à la prise des pilules qui l’apaisent. Depuis ses 3 ans, Dylan souffre de « troubles dysharmoniques », liés à « une enfance carentielle » et « une hyperactivité ». La veille, il a paru agité. Il voulait qu’elle examine « un bouton sur son sexe ». Mercredi, quand il a ouvert, il était en caleçon. Il a de nouveau évoqué ses « irritations ». Et tout a basculé.
Alors qu’elle regroupe ses affaires, il la saisit, l’enlace et la bloque. Premier hurlement. Il pose une main sur sa bouche, « tais-toi, je vais te baiser », la précipite au sol. Il l’écrase de tout son poids, fouille les sous-vêtements, la culotte, atteint le sexe. L’infirmière rapporte la suite : « J’ai décidé d’entrer dans son jeu sinon soit il me violait, soit il me tuait. J’ai proposé d’aller sur le lit. Il s’est relevé. J’en ai profité pour sortir. Dans le couloir, face à face, il me serrait. J’ai enfoncé un stylo dans son torse. Et j’ai couru… »
Dylan, grand, puissant, a reconnu la tentative de viol, correctionnalisée et requalifiée d’agression sexuelle aggravée par des blessures, en récidive. À l’ouverture d’audience, il a dit vouloir garder le silence. Mais le voilà qui exige de parler de lui. Il vocifère : « Les faits, je m’en bats les couilles ! Rien à foutre ! De toute façon, je vais prendre perpète… » La juge le somme de baisser d’un ton. « Vous chiez dans votre froc », rétorque-t-il.
« Il m’a mis un coup de genou très violent dans le ventre »
À la barre, Anne réprime ses sanglots. Son mari tient son dos. « J’ai eu très, très peur… Sa taille, sa corpulence, l’exiguïté de la chambre… J’essayais de faire au mieux pour m’en sortir. J’ai eu très peur de mourir, peur pour mes enfants », dit-elle d’une voix aux sons filés, comme produits par un archet. Son époux témoigne de l’après, « difficile » : insomnies, irritabilité envers leurs trois petits, psychothérapie, incapacité à « reprendre son travail par crainte de se retrouver dans la même situation ».
Claquemuré dans son silence, cou engoncé dans son épais blouson, Dylan est aussi poursuivi, encore en récidive, pour outrage envers des policiers, menaces de mort, violence à l’encontre d’un ambulancier qui raconte leur arrivée à l’hôtel. Les pompiers, le SMUR, la vision d’un gars « qui simule un malaise », leurs efforts pour le « stimuler », la bagarre, les « je vais vous crever » : « Il m’a mis un coup de genou très violent dans le ventre, je ne retrouvais plus mon souffle. » Ils le sédatent pour l’emmener à l’hôpital.
Le prévenu souhaite-t-il s’exprimer sur ces faits ? « Rien à foutre ! J’ai plus rien à perdre. » Transition idéale pour aborder sa personnalité. En effet, il a l’horizon bouché. Huit mentions à son casier, en majorité des violences à l’endroit des personnels soignants. Sept condamnations, un suivi sociojudiciaire non respecté. Enfance sans père, carences en pagaille. L’expert psychiatre parle d’un être « caractériel, immature, frustré au discernement légèrement altéré mais pas aboli ».
« Eh, parle dans ton micro, toi ! »
À peine l’avocat d’Anne a-t-il indiqué se poser « quatre questions » que le jeune homme tonitrue : « Eh, parle dans ton micro, toi ! » L’apostrophe est sanctionnée d’une évacuation du box. Me François La Burthe reprend. Un, comment appréhender de tels faits « commis contre ceux qui lui tendent la main et reçoivent en retour un poing dans la gueule » ? Deux, « à qui le tour ? Il récidivera forcément si on lui livre en pâture un autre soignant ». Troisième réflexion, relative à la conscience « d’une infraction préparée » : « Il donne l’impression d’un ours dans sa caverne mais il est responsable et d’une extrême dangerosité. » Dernière interrogation : comment réparer le préjudice ? Anne porte encore des blessures sur le corps, elle ne travaille plus, n’est pas indemnisée puisque libérale, paie sa kinésithérapie, « et lui est entièrement à la charge de la société ». Il sollicite une expertise par des médecins du travail. Il l’obtiendra.
Me Brigitte Venade, qui intervient pour les deux policiers, estime « qu’il y a des limites à vouloir à tout prix sauver quelqu’un du système carcéral ». Dylan « représente un danger », il est « ingérable, son attitude aujourd’hui l’a démontré ». L’ambulancier, sans avocat, se constitue partie civile.
La présidente propose de « faire revenir Monsieur G. afin qu’il entende les réquisitions ». Calmé, il se rassoit.
« Femme, Vie, Liberté. » Ainsi la procureure débute-t-elle son réquisitoire. Par le slogan, à l’origine kurde, repris par les Iraniens depuis la mort de la jeune Jina Masha Amini à Téhéran, en septembre 2022.
« Il faut l’incarcérer longtemps, et le soigner toujours »
En ce 8 mars, Journée internationale pour les droits des femmes, elle pense en priorité à l’infirmière « qui a perdu sa liberté d’exercer et sa tranquillité d’esprit ». Et à « toutes celles qui ne meurent pas pour avoir exposé leurs cheveux mais sous les coups de leurs maris. Peut-on réellement dire qu’en 2023, en France, être une femme est une chance ? » La correctionnalisation n’empêche pas de mettre les mots sur la réalité du dossier, « une tentative de viol » par « une personne discernante, qui connaît les interdits ». Pour « protéger les autres, il faut l’incarcérer longtemps, et le soigner toujours ». La représentante du parquet requiert neuf ans de prison, un suivi sociojudiciaire jusqu’en 2043 et l’inscription au Fijais, fichier des délinquants et criminels sexuels. « Madame, conclut-elle, je tiens à vous faire part de mon admiration. Vous vous êtes sauvée seule, vous avez trouvé la faille. Je suis ébahie. » Anne pleure, son époux entoure ses épaules d’un bras.
En défense, Me Quentin Guernigou loue aussi son courage. Il doit plaider « une affaire difficile », tant les actes commis et l’audience ont prouvé que son client « a besoin de soins psychiatriques ». Confronté à une alternative – « l’hospitalisation d’office ou la détention » –, il s’avoue « contrarié ». A fortiori « parce que s’il récidive, la société vous accusera, vous, ses juges ». Alors que faire ? « Comment juger quelqu’un comme lui ? »
À l’issue de 30 minutes de délibéré, les magistrats lui répondent en suivant toutes les réquisitions. Maintien en détention ordonné pour neuf ans. Les policiers et l’ambulancier seront indemnisés. Anne le sera en janvier 2024, une fois connues les conclusions des experts. Une fois rétablie. Ce qui, en l’état, apparaît incertain.
* Prénom modifié
Référence : AJU355448