Tribunal de Meaux : « J’ai l’impression d’être un monstre aux yeux de tous, ici ! »

Publié le 20/10/2022

Ahmed a difficilement supporté le regard des sept adolescentes assises au fond de la 1re chambre correctionnelle du tribunal de Meaux (Seine-et-Marne). Elles l’accusent d’agression sexuelle. Deux hommes ont porté plainte pour violence. « Vous êtes un danger pour la société », a déploré le représentant du parquet.

Tribunal de Meaux : « J’ai l’impression d’être un monstre aux yeux de tous, ici ! »
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 Il a été besoin d’une page pour inscrire, au rôle d’audience du 14 octobre, les chefs de prévention retenus contre Ahmed ainsi que les noms des neuf plaignants, dont cinq mineures. Âgé de 31 ans, d’aspect chétif dans un tee-shirt marine barré d’une fine bande rouge, semblable à celui des sapeurs-pompiers, le prévenu observe les juges de ses yeux tombants de Droopy, le chien anthropomorphe créé par Tex Avery au siècle dernier. On le sent désarçonné, instable, inquiet.

À son entrée dans le box des détenus, il paraissait plus vaillant, combatif, posant ses coudes sur la rambarde comme on s’étale au zinc d’un bistrot. Seulement, Ahmed n’avait pas encore vu les filles collées-serrées contre le mur de la chambre des comparutions immédiates. Croiser le regard de ses accusatrices, installées au fond, près des portes, en somme prêtes à fuir, a provoqué un choc. Le voici donc blafard, à l’écoute de l’énumération des charges.

« Que je sache, l’alcool n’est pas interdit, en France ? »

 Agression sexuelle sur mineure de plus de 15 ans – en l’espèce elles en ont 17. Menaces réitérées de mort et de délit. Violence en état d’ivresse sur un chargé de mission de service public et sur deux autres personnes. Ahmed est également poursuivi pour évasion du centre de semi-liberté où il loge depuis janvier. « Entre le mois d’avril et votre arrestation lundi 10 octobre, on dénombre 32 incidents ! », révèle le substitut du procureur, Alexandre Boulin. Dont la présence d’un « téléphone portable dans ses fesses ».

Convoqué par le juge de l’application des peines en septembre dernier, il a reçu « un ultime avertissement », ce qui ne l’a pas empêché de « déraper à nouveau ». La présidente Isabelle Verissimo pose la question obligatoire en comparution immédiate : accepte-t-il un procès aujourd’hui ou veut-il un délai afin de préparer sa défense ? Ahmed, et son avocat avisé la veille, préfèrent un renvoi du dossier. Les faits ne seront donc pas abordés. Juste sa personnalité qui permettra de déterminer s’il doit être ou non maintenu en détention.

Ainsi apprend-on que le suspect a déjà été condamné pour des infractions similaires en août 2021, au tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Qu’il cumule dix mentions à son casier judiciaire. Et qu’il a un sérieux problème avec les abus répétitifs de boisson, qui le rendent agressif : « Que je sache, l’alcool n’est pas interdit, en France ? », riposte-t-il aux magistrats inquiets de son comportement passé et futur. « L’alcoolisation sur la voie publique, si ! », répond du tac au tac Madame Verissimo.

« Avant, j’étais un petit con. J’ai beaucoup appris »

 Les adolescentes présentes se constituent parties civiles, mais ne sont pas toutes accompagnées d’un majeur responsable. Il est convenu que, lors du procès au fond, un administrateur ad hoc les représentera. Les sept jeunes filles fixent Ahmed et ne cillent pas lorsqu’il se tourne vers leur banc. Il se dit innocent : « Je ne reconnais aucune agression sexuelle ! Juste l’histoire d’alcool et les retards au centre de semi-liberté. Le jour où on dit que je me suis évadé, j’enterrais ma mère. Et je m’occupe de mon petit frère qui a la sclérose en plaques. Alors parfois, oui, je ne respecte pas les horaires… »

Les plaignantes, qui ne se connaissent pas, ont évoqué des agressions par « un homme muni de béquilles ». Était-ce une façon de les attirer dans ses rets à l’image, toutes proportions gardées, de Ted Bundy, le tueur en série au bras plâtré ? Il s’expliquera le 14 novembre prochain.

En attendant l’audience, que faire ? « Vous êtes un danger pour la société ! Il faut obligatoirement le maintenir en prison », estime le substitut Boulin. « On ne peut pas vous faire confiance », ajoute la présidente. « Mais si, j’ai un travail, je ne recommencerai pas, je ne bois plus, assure Ahmed. Avant, j’étais un petit con. J’ai beaucoup appris. » Son visage triste se détourne : « J’ai l’impression d’être un monstre aux yeux de tous, ici ! », lance-t-il aux parties civiles et à l’assistance.

Me Samir Mbarki, commis d’office 24 heures plus tôt, veut croire que son client « a aussi des qualités. Le JAP ne lui a pas laissé une dernière chance pour rien ! Ces éléments positifs, je ne les ai pas mais ils existent forcément. Sa peine se termine demain, il sera hébergé par une association. Placez-le sous contrôle judiciaire strict pour dissiper vos inquiétudes, interdisez-lui d’approcher le lycée et la gare de Meaux ».

Ahmed insiste : « Les victimes, je ne les ai jamais vues. Si je leur ai fait ça, j’en suis désolé, c’est à cause de l’alcool. Les filles de 17 ans ? Ah non, c’est marche arrière à reculons (sic). Je préfère les femmes de 23 ans. »

À raison, les trois juges n’ont pas voulu prendre le risque de voir d’autres mineures allonger la liste des plaignantes. Jusqu’au 14 novembre, Ahmed restera en cellule bouclée à double tour.

« D’accord. Merci et bon week-end », dit-il au tribunal, ce vendredi soir. Il a toujours l’air malheureux de Droopy mais paraît curieusement soulagé à l’idée d’être encadré, et sevré d’alcool.

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