Tribunal de Meaux : « J’ai pas le droit d’être jaloux de la femme que j’aime ? »

Publié le 26/04/2023

« La violence, cela passe aussi par le contrôle de l’autre ! » Ainsi une juge du tribunal de Meaux (Seine-et-Marne) tente-t-elle de faire comprendre à Youssef, 19 ans, que traquer son ex-petite amie n’est pas autorisé. Que l’enlever, la séquestrer, la frapper est illégal et insupportable. Cinq mois après sa nuit cauchemardesque, la jeune fille reste traumatisée.

Tribunal de Meaux : « J’ai pas le droit d’être jaloux de la femme que j’aime ? »
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 Ils sont beaux. On dirait de tout jeunes adolescents. Emma*, longue et fine dans sa gabardine couleur coquille d’œuf, cheveux noués sur la nuque, est assise près de sa mère. A l’autre bout de la 4e chambre, petite salle exiguë à juge unique, Youssef ne maîtrise pas sa montre Apple Watch qui retentit pour la troisième fois. Sweat et pantalon gris, affalé sur son banc, le jeune Italien aux boucles brunes a le visage des icônes de Michel-Ange. Les traits délicats révèlent moins son tempérament que son regard sombre lorsqu’il croise celui d’un policier alerté par les sonneries. Là, ses yeux donnent le sentiment que ses poings pourraient cogner. A la barre, il n’arrivera pas à maîtriser son caractère impétueux.

« J’ai essayé de me calmer, de jouer le jeu »

 Youssef est poursuivi pour violence sur son ancienne compagne, suivie de 20 jours d’incapacité temporaire de travail (ITT). La prévention aurait été plus grave si Emma n’avait pas été libérée le lendemain de l’enfermement. Youssef le sait : en 2021, alors mineur, il a été condamné pour enlèvement et séquestration pendant plus de sept jours. Il a bénéficié d’une peine avec sursis accompagnée d’une mise sous protection judiciaire durant trois ans. Il réside dans un foyer, faute d’avoir de la famille en France ; seul son père y vit mais il ne le voit plus.

La juge Amandine Retourné rapporte les faits. Le 26 novembre dernier, le jeune Italien voit Emma sur un parking. Ils ont rompu en mars après deux années d’idylle. Youssef voulait la convaincre de renouer. Dans la voiture, il la gifle, confisque son téléphone, la conduit de force à Meaux où il habite, l’oblige à monter dans sa chambre, la jette sur le canapé. Il la libèrera dans la matinée du 27. Emma appelle à l’aide et rentre chez elle.

Également âgée de 19 ans, la jeune fille précise le choc subi : « J’ai encore beaucoup de séquelles. Je n’ai pas dormi pendant un mois… Je ne voulais plus sortir. » La procureure : « – Avez-vous craint ce qu’il pouvait arriver ?

– Sincèrement, je ne sais pas… J’ai essayé de me calmer, de jouer le jeu.

– S’était-il déjà montré violent envers vous ?

– Non.

– Que souhaitez-vous, aujourd’hui ?

– J’avais surtout besoin qu’on m’entende. Une mesure d’éloignement, c’est possible ? »

Elle se constitue partie civile, ne désire aucun dédommagement.

« Je suis désolé d’avoir merdé à ce point »

 Youssef lui succède à la barre. Sa version diffère un peu : « Je l’avais revue deux ou trois jours plus tôt. Ça paraissait positif, on voulait repartir sur de bonnes bases. Je l’aimais. Et le 26 elle bloque mon téléphone. J’ai trouvé ça anormal. Je suis allé la chercher. En fait, elle m’avait caché sa relation avec un autre. Ce n’était pas honnête. Et là, l’énervement est monté. Je sais, c’est pas une excuse… Mais elle n’était pas opposée à venir avec moi. » La juge : « – A-t-elle demandé à aller à l’hôpital quand elle était chez vous, au motif qu’elle se sentait mal ?

– Oui. Je ne l’ai pas emmenée.

– Pourquoi la harceliez-vous, réclamant des photos de son entourage pour voir avec qui elle se trouvait ?

–  La confiance s’était dégradée… J’ai pas le droit d’être jaloux de la femme que j’aime ?!

–  La violence, cela passe aussi par le contrôle de l’autre !

–  Je voulais la protéger. »

Il a pourtant conscience de la gravité des faits puisque, à la mère d’Emma, il a écrit : « Je suis désolé d’avoir merdé à ce point. » Cependant, il continue d’en minimiser les conséquences. La contusion au bras droit, le syndrome post-traumatique confirmé par un psychiatre, les 20 jours d’ITT ? « – Je ne sais pas comment c’est arrivé ! Les 20 jours, c’est mental !

– Vous ne concevez pas qu’il y ait un préjudice psychologique ?

– Si, peut-être, mais ça ne lui a pas fait du mal qu’à elle, qu’est-ce que vous croyez !

– Vous avez un problème de gestion de vos émotions », constate Madame Retourné.

Pour la première fois en six heures d’audience, elle a haussé le ton.

« L’expert dit : “Elle est démolie”, ce sont ses mots ! »

Elle voudrait aussi en savoir plus sur la précédente affaire d’enlèvement : « – Ben, vous avez le dossier.

– Non, je n’ai que votre casier judiciaire qui porte trois mentions.

– Eh bien je ne reviendrai pas dessus ! »

La procureure Louise Sahali : « Vous êtes insolent face à la juge qui pose des questions pour vous tirer vers le haut et pour nous rassurer ! »

« Comprenez-vous les enjeux ? Vous n’avez pas d’avocat et, ici, ce n’est pas le tribunal pour enfants, poursuit la présidente. On vous tend une perche, on vous met les gros warnings et vous voyez comment vous répondez ? ». Du plat de la main, elle frappe son pupitre. Youssef présente des excuses à « cette personne-là », Emma, jure que « ça n’arrivera plus » et que « ça ne servirait à rien » de le punir. Il n’a visiblement pas compris.

La procureure Sahali tente de recadrer le prévenu « immature », souligne les séquelles d’Emma : « Elle pleure à cette barre, se présente avec sa mère, a des troubles alimentaires, du sommeil. L’expert de l’UMJ [Unité médico-judiciaires] dit : “Elle est démolie”, ce sont ses mots. Et 20 jours d’ITT, c’est rare devant un juge unique. » Elle rappelle enfin « qu’une femme a le droit de mentir, de tromper, de faire ce qu’elle veut. C’est désagréable, on peut être en colère. Mais les gens ne nous appartiennent pas ! »

Le parquet requiert deux ans de prison, moitié avec sursis probatoire, le reste en détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE) et une interdiction de contact avec la plaignante.

Youssef a la parole en dernier : « J’ai compris ce que j’ai fait. Je ne vais pas me lamenter, pleurer devant vous, mais moi aussi j’ai du mal à manger… Là, ce que vous demandez, ça va me mettre des bâtons dans les roues pour l’insertion professionnelle. Vous avez envie de mettre un jeune majeur en prison, c’est ça ? ». Il n’a toujours rien compris.

Aussi est-il condamné à 18 mois de prison dont un an avec sursis, le reste sous DDSE. Il verra un juge de l’application des peines durant deux ans, devra suivre des soins psychologiques, un stage de prévention contre les violences conjugales, et a l’interdiction d’approcher Emma jusqu’en 2026. « Moi aussi, l’histoire m’a traumatisé », nous indique-t-il en aparté. Puisse-t-elle dès lors l’aider à se construire une vie d’honnête homme.

 

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