Tribunal de Meaux : « J’ai plus de travail, pas de papier, pas de famille… J’ai rien ! »
Reconnaissons-le, la situation de Kacem est désespérée. Cet Algérien de 35 ans, incarcéré de 2014 à 2023, fait l’objet d’une OQTF (obligation de quitter le territoire français). En attendant qu’elle soit appliquée, il vit à la va-comme-je-te-pousse dans la rue. Et le 30 septembre, il a séquestré une vieille dame qui l’avait gentiment hébergé.

Dès l’entrée de Kacem dans le box des prévenus du tribunal correctionnel de Meaux (Seine-et-Marne), on devine qu’il va chahuter l’audience. Raide et sec, le petit homme est un sosie du comédien américain Groucho Marx. Paire de lunettes à cercles ronds, sourcils broussailleux, épaisse moustache noire et horizontale – une sorte de buisson qui masque la moitié des joues. Son agitation ne dit rien qui vaille. Kacem répond d’extorsion par violence et de séquestration de moins de sept jours, le tout en récidive. Si les délits reprochés remontent au 30 septembre, il n’est présenté aux juges qu’en ce mois de décembre tant il a été ardu de le localiser. Enfin arrêté, le voici en chambre des comparutions immédiates. La loi l’autorise à choisir d’en finir le jour même ou de réclamer un délai pour préparer sa défense.
Il retient la seconde option car il refuse l’assistance de l’avocate commise d’office. Dans « la souricière » du palais de justice, il l’a déjà copieusement insultée. Kacem veut être représenté par Me Thierry Benkimoun, qu’il ne connaît pourtant pas mais qu’il a vu passer par-là et dont la tête lui revient. Le conseil meldois étant occupé par ailleurs, il a dû décliner « l’invitation » pressante du petit homme énervé. Par conséquent, celui-ci exige un renvoi de son dossier. Il est fixé au 10 janvier. D’ici là, que faire de lui ? L’examen de sa personnalité va déterminer la décision des magistrats.
« Qu’est-ce que vous me parlez de suicide ?! »
Libéré de prison le 21 août 2023, après avoir purgé six peines consécutives en l’espace de neuf ans, il restait sous le coup d’un sursis probatoire, avec plusieurs obligations imposées par son contrôle judiciaire : indemniser ses victimes, travailler, avoir un lieu de résidence déterminé. « Jusqu’ici, ça se passait bien », assure Kacem avec aplomb alors qu’en fait, il ne respectait aucune des dispositions susmentionnées. Par son juge de l’application des peines, on apprend qu’il ne s’est pas rendu aux convocations du 31 août, des 5 et 23 octobre. Le conseiller d’insertion et de probation précise qu’il a « menacé de se tuer ». Sans compter le rapport de la pénitentiaire, qui fait état de « multiples incidents en détention ».
Le sombre profil s’obscurcit un peu plus après la brève allusion aux actes perpétrés le 30 septembre, avoués. Ils seront détaillés en janvier mais l’on sait déjà qu’une vieille dame, qui a eu pitié de lui, l’a invité chez elle. Après lui avoir confisqué son téléphone, il l’a ligotée à une chaise durant une nuit et, le lendemain, l’a abandonnée à son sort.
Kacem grimace, s’agace : il n’apprécie pas du tout que le tribunal passe au tamis les éléments négatifs de sa désastreuse existence. Il explose entre ses gardes : « Quelqu’un a pensé à mon futur ? Quelqu’un m’a aidé ? J’ai plus de travail, pas de papier, pas de famille, personne ! J’ai rien ! Qu’est-ce que vous me parlez de suicide ?! D’où ça sort ? »
« Bonjour aux pointeurs, aux violeurs, aux pédophiles ! »
Patiente, la présidente tente de lui expliquer que son conseiller d’insertion n’a pas pu inventer l’intention suicidaire et que, somme toute, sa situation de pauvre hère pourrait le conduire à se tuer, que ce n’est pas un reproche. Le prévenu se cabre. « Il a été difficile de mettre la main sur vous, rappelle la juge, et vous dites n’avoir ni papier ni résidence. Vous comprenez notre inquiétude ? »
Non, il ne la comprend pas et s’indigne en langage fleuri.
La procureure ne cache pas son appréhension : « Nous avons affaire à un délinquant multirécidiviste dont le seul travail est la vente de stupéfiants. Il s’est attaqué à une personne particulièrement vulnérable dont il connaît l’adresse. Et en plus, il est sous OQTF ! Le maintien en détention s’impose jusqu’au procès. »
À noter que l’OQTF en question compte parmi celles inapplicables à cause du refus de l’État algérien d’accorder des laissez-passer consulaires depuis le mois de mars 2023, qui marque une nouvelle crise diplomatique avec la France.
Kacem déplace son regard noir sur la nuque de son avocate indésirable. Il a les yeux comme des billes de flipper. L’infortunée fait de son mieux, dit qu’il « sait où est son intérêt : se présenter à la prochaine audience. Le JAP l’a recadré, je pense qu’il a compris. Je préconise un simple maintien sous contrôle judiciaire ». Le petit Groucho la regarde se rasseoir. Lui sauterait-il à la gorge s’il le pouvait ? La question traverse furtivement l’esprit.
Les trois juges délibèrent sur le siège. La présidente : « Monsieur, compte tenu du risque de réitération, vous êtes maintenu en détention. » Logique.
Kacem hurle : « Bonjour aux pointeurs, aux violeurs, aux pédophiles ! » La signification de l’imprécation échappe à l’assistance. De retour au sous-sol, il sème à nouveau le bazar, appelant à l’aide Me Benkimoun. Lequel, croisé à 20 h 30 en salle des pas perdus, se demandait toujours s’il lui fallait accepter la défense de ce client tempétueux.
Référence : AJU409779
