Tribunal de Meaux : « j’ai vu ma mère en sang à cause de mon géniteur »
Au procès de David*lundi 12 septembre à Meaux (Seine-et-Marne), on a ri plusieurs fois. Doté d’humour, très intelligent, le prévenu a détendu l’atmosphère alourdie par ses propres malheurs. Le tribunal l’a entendu, et a su trouver le juste équilibre « pour ne pas l’enfoncer ».
David*parle comme un militaire. « Affirmatif ! », tonne-t-il à l’adresse de la présidente Verissimo qui demande s’il est français. « Négatif ! », objecte-t-il lors de la vérification de son lieu de résidence, sans toutefois le rectifier. Et pour cause : en « situation d’errance depuis 2015 », l’homme aux petites nattes hirsutes et à l’épaisse queue-de-cheval est passé de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) à la prison de Meaux, avec des détours par l’hôpital psychiatrique et le centre de placement extérieur – il s’est évadé à trois reprises des deux établissements.
« L’évasion » en récidive de son chantier d’insertion, qui lui est reprochée, est une qualification pénale. Pour autant, David n’a pas scié des barreaux pour se faire la belle : il ne s’est tout bonnement pas présenté, deux fois, à l’appel de l’association où il devait rester jusqu’au 10 novembre prochain. « Vous ne supportez pas les obligations, c’est ça ? » « Affirmatif ! », répond le prévenu âgé de 39 ans.
Fuir « des individus aux pratiques religieuses rigoristes »
Interpellé le 9 août dernier sur un quai de métro parisien, il avait comparu trois jours plus tard. Son procès avait été renvoyé, le temps de réaliser une expertise psychiatrique. Le voici donc à l’audience du 12 septembre, sans aucune pathologie, a conclu le spécialiste. Il a toutefois relevé que l’alcool, la cocaïne, le crack ont altéré son équilibre. David l’admet. L’incarcération qui a suivi son arrestation lui « a été bénéfique. J’ai vu une psychologue et ressenti le bien-être que cela peut produire ».
La présidente : « – Vous buvez et fumez encore ?
– Négatif. Je ne consomme plus que des Nicorette.
– Reconnaissez-vous vous être enfui du chantier d’insertion ?
– Affirmatif. Ma situation de placement extérieur était a priori idéale mais j’étais avec des individus aux pratiques religieuses rigoristes qui voulaient me tuer. Je craignais pour ma vie.
– Pourquoi ne pas vous en être plaint ?
– Pour ne pas ennuyer les gens. Je suis ainsi fait. De l’âge de 5 à 14 ans, j’ai vu ma mère en sang à cause de mon géniteur, je n’ai rien dit à l’école. On n’expose pas sa vie à l’extérieur. Alors, au centre, je suis passé par un autre chemin, qui n’était pas le bon.
– Et la fuite de l’hôpital psychiatrique après votre tentative de suicide ?
– Je suis ambulancier. J’ai remarqué qu’il y avait des patients plus dans le besoin que moi.
– Vous ne vous moquez pas un peu du monde ?
– Négatif ! Je suis fumeur, fugueur, mais je n’ai pas la prétention d’être un manipulateur. »
« Là, je suis en train de perdre trois kilos et demi »
La juge Isabelle Verissimo a vite compris que le prévenu ne ressemble pas au tout-venant des habitués de sa juridiction. S’instaure un dialogue tout en finesse qui décontracte David. « – Je relève 14 mentions à votre casier judiciaire. Et votre absence aux procès, sauf en comparution immédiate…
– C’est curieux. Je suis pourtant toujours ponctuel.
– Le tribunal en est d’autant plus vexé. Je lis que vous auriez pu décrocher votre licence d’économie et gestion si vous aviez honoré vos partiels. Que vous êtes ambulancier et plombier. Quel gâchis !
– Je vous entends, Madame le juge, ça fait 39 ans que je réfléchis à ma vie. Mais là, devant vous, je suis en train de perdre trois kilos et demi.
– Vous avez des projets ?
– Affirmatif ! Me réinsérer dans la société et manger une cuisse de bœuf.
– Plus concrètement ?
– Travailler comme toujours depuis mes 18 ans.
– Qu’avez-vous fait en prison ?
– Une introspection personnelle. Et un concours de poésie. »
La jeune procureure Louise Sahali, dont c’est la première audience, prend le relais : « – Vous ne commettez plus de violences depuis 2016. Parce que vous avez réfléchi ?
– Les violences n’étaient liées qu’à mon géniteur qui frappait ma mère.
– Et pour quelle raison volez-vous alors que vous avez des diplômes ?
– Je me considère comme un commercial qui aime revendre.
– Vous avez un fond dépressif ?
– Affirmatif. Depuis 35 ans (rappelons qu’il en a 39, NDLR).
– Et un vrai problème avec la drogue et l’alcool, non ?
– Négatif ! Toutes les molécules que j’ai consommées ne l’ont été que par curiosité. »
« Prendre en compte l’évolution de son comportement »
À l’instar de tous ceux ayant assisté aux débats, Louise Sahali a conscience que l’homme, fragile, est doté de facultés intellectuelles pouvant l’aider à se ressaisir. « Il ne se soustrait pas à ses responsabilités », concède-t-elle en début de réquisitoire, allusion aux infractions reconnues. « Il faut prendre en compte l’évolution de son comportement et prononcer la peine la plus appropriée. » Las ! David n’est plus accessible aux sursis ; il les a épuisés. « Sa libération conditionnelle est fixée au 10 novembre, je pense important de le suivre au-delà. Je requiers donc six mois de prison, dont trois ferme avec exécution provisoire, un sursis probatoire de deux ans assorti d’une obligation de soins et de travailler. »
En défense, Me Jean-Louis Granata insiste à son tour sur les capacités d’un client « à qui l’on peut faire confiance » : « Le placement extérieur, qui est une bonne mesure, ne lui convient pas. »
Le tribunal approuve les réquisitions. David est condamné à trois mois de prison, il regagnera sa cellule à Meaux dès ce soir. Il sera surveillé jusqu’en 2024. Isabelle Verissimo : « On ne veut pas vous enfoncer, on ne prend pas plaisir à vous renvoyer en détention. Vous allez bénéficier de remises de peine… »
« Tout ira bien, Madame le juge. Merci », la coupe David, souriant, comme soulagé de réintégrer le centre pénitentiaire et de revoir sa psychologue.
*Prénom modifié
Référence : AJU318267