Tribunal de Meaux : « Je lui ai juste mis une grande tarte sous le coup de l’émotion »
À 23 ans, Mattieu a deux passions : son ex-compagne, qu’il aime depuis leur entrée au collège, et la drogue qui, dit-il, « stimule [son] appétit »… Sous emprise permanente du cannabis, il ne sait pas gérer ses émotions. D’où ses actes de violence, en récidive, envers celle qui l’a plaqué. Cette fois, il lui a fracturé le nez.
Devant le tribunal judiciaire de Meaux (Seine-et-Marne), se présente sous escorte policière un barbu dégingandé aux cheveux bouclés, à mi-chemin entre la figure du pâtre et du « zadiste ». Il semble planer sur un nuage de tourments, peut-être à cause du manque de joints en garde à vue. C’est la neuvième fois que Matthieu répond de délits, le premier ayant été commis en 2018. À l’époque, le chef de prévention n’augurait rien de bon : violence habituelle sur mineure ayant entraîné une incapacité (pénale) de travail de plus de huit jours. En l’occurrence envers sa petite amie d’alors, Julie*, de nouveau battue ce 16 février 2024. L’infraction perpétrée en récidive – une circonstance aggravante – peut lui coûter sa liberté. D’autant que, depuis 2019, il a été condamné pour trafic de stupéfiants, violence avec arme, délit de fuite, conduite sans permis ni assurance mais sous emprise de drogue.
Il ne paraît guère s’en soucier : bien qu’en sursis probatoire, ce jeune de 23 ans n’a pas assisté à cinq de ses procès, il se moque de ses convocations au service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), de ses obligations de soins.
« Je sais que je suis une merde »
Bras ballants, il écoute la présidente Isabelle Verissimo rapporter les coups de poings portés contre la tête de Julie, « son nez qui saigne », puis le pied rageur dans la voiture à bord de laquelle s’enfuit la jeune fille, en direction de l’hôpital. À l’unité médico-judiciaire (UMJ), on constate la fracture du nez. Julie dépose plainte et les gendarmes de Crécy-la-Chapelle arrêtent le suspect chez son père. Dans le box des prévenus, Matthieu minimise : « Je lui ai juste mis une grande tarte sous le coup de l’émotion. » Il jure ne « pas l’avoir frappée plus que ça » et motive ainsi sa colère : « On s’est connus à 12 ans, au collège, elle était très populaire, pas moi. On est restés cinq ans ensemble, elle a rompu, je suis parti à Perpignan, elle est revenue. Depuis, notre relation est ambiguë : elle me relance et après, elle me jette. Si j’essaie de l’oublier, elle me rappelle ! »
Julie passe donc de victime à coupable de jouer avec ses sentiments et « les émotions » qui le submergent dès qu’il la revoit. La procureure Béguin lui reproche de « mal les gérer » ? Il sort des vapes : « Je sais parfaitement bien les gérer ! », proteste-t-il, ombrageux. Même quand il a fumé sa forte dose quotidienne de cannabis ? « Je reconnais un usage régulier de stupéfiants, c’est pour stimuler mon appétit.
– Vous admettrez que cela ne vous aide pas. C’est quoi, ce casier judiciaire, avec de la drogue, des violences ?
– Je sais que je suis une merde.
– Non ! Nous ne sommes pas là pour porter un jugement de cette nature », répond la présidente, qui lui rappelle l’essentiel : « C’est vous, le prévenu ! Et vous avez le droit de dire non [à Julie] si elle vous sollicite. »
« Pour lui, la violence est une réponse comme une autre »
Julie n’a pas voulu se constituer partie civile, la représentante du ministère public n’en est pas étonnée : « C’est récurrent, nombre de victimes ne vont même pas aux UMJ. » Déplorant l’incapacité de Matthieu à souscrire aux valeurs du « vivre-ensemble », sa propension à « péter les plombs » face à « une relation toxique », Noémie Béguin se dit « choquée par l’emploi, à plusieurs reprises, de l’expression “une bonne tarte”. Pour lui, la violence est une réponse comme une autre. Le risque de réitération est important ». « Son profil [l’]inquiète » à cause de son addiction, de sa désinvolture à l’égard des juges, du SPIP, des soignants. « On a tout tenté, y compris les mesures en milieu ouvert », ajoute-t-elle. Il a bénéficié d’une détention à domicile sous bracelet électronique : elle n’a été respectée que deux mois. Aussi requiert-elle 18 mois ferme, dont 6 en révocation de son sursis, avec incarcération immédiate. Et bien sûr l’interdiction de revoir Julie jusqu’en 2027.
Me Bogos Boghossian, commis d’office en défense de Matthieu, ne revient pas sur les faits, « simples », les estimant toutefois « déconcertants ». À ses yeux, « le parcours difficile, chaotique » de son client s’explique par « une descente aux enfers » après la rupture avec Julie : « Il se dévalorise, il n’a aucune considération pour sa propre personne », regrette-t-il. « Je vais me raccrocher à un paragraphe écrit à son sujet par le juge de l’application des peines [JAP], qui ne comprend pas : “Il est complètement dépassé, ne sait rien gérer.” Ce n’est pas en prison que mon client va apprendre à canaliser ses émotions. »
Matthieu prend la parole en dernier : « Je remercie mon avocat que je n’ai pas choisi. » Pas un mot pour Julie.
Le tribunal suit presque les réquisitions : une année de détention, dont six mois de sursis révoqué, avec exécution provisoire, soit dès le box quitté. Il ne doit plus approcher ni contacter Julie pendant trois ans.
L’audience se poursuit en compagnie de Maurice* qui conduisait ivre sans permis (annulé), alors qu’il était en semi-liberté. Lui aussi bataille avec ses addictions à l’alcool et aux stupéfiants ; lui non plus ne se soigne pas ni ne défère aux convocations du SPIP, du JAP. Maurice n’en a cure. Condamné à dix mois ferme, il trompette : « Comment ça se fait que les autres, qui conduisent bourrés, ils vont pas en prison ? »
Triste journée. L’ordinaire des chambres de comparutions immédiates.
* Prénom modifié
Référence : AJU423843