Tribunal de Meaux : « Je ne suis pas le seul à me prétendre inspecteur du fisc ! »
Il y avait déjà les faux policiers, gendarmes ou agents de compagnies de gaz ou d’électricité qui toquaient aux portes pour dévaliser leurs proies. Voici venu le soi-disant collecteur d’impôt qui cible des restaurateurs et les fait chanter. Tel Lasred, jugé au tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), qui a gagné 34 000 euros en trois jours.
A 50 ans, Lasred a trouvé la combine pour travailler moins et gagner plus. Le stratagème, plutôt ingénieux, l’a mené directement du palais de justice de Meaux à la prison locale, vendredi 3 décembre. Et pour une durée de quatre ans, car les magistrats ne badinent pas avec ceux qui usurpent une fonction pour tromper et dépouiller les honnêtes gens. Le Parisien n’en est pas revenu, lui qui avait cru réussir à embobiner ses trois juges de 17h40 à 20 heures. Une longue audience, donc, en raison de la nature des faits et de leur gravité.
En sweatshirt zippé bleu, la moustache brune débordant du masque trop lâche, Lasred fait son entrée dans le box des prévenus, salue tout le monde avec déférence et croise le regard de son grand fils assis sur un banc. Il est confiant, on le sent. Il a été arrêté la veille pour des vols aggravés par deux circonstances : la commission à plusieurs et l’utilisation indue de la qualité de chargé d’une mission de service public, le tout en récidive. Plus tard, interrogé sur la vision qu’il porte sur son parcours de délinquant, il dira : « Je reconnais que ce n’est pas joyeux. J’ai beaucoup de regrets. »
« C’est drôlement futé, votre mode opératoire ! »
Toutefois, au début de son procès, il apparaît presque guilleret. S’il avoue le vol du 20 octobre dernier à Sevran (Seine-Saint-Denis), avec sa complice qui a tout admis en CRPC (Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité), il nie les quatre arnaques perpétrées à Meaux et Lognes les 14 et 15 octobre 2020. Tout autant que « les nombreuses tentatives » que son amie a reconnues à la brigade de répression du banditisme. La BRB a tardé à les arrêter, les itinérants d’Île-de-France ayant plus d’un tour dans leur sac. Le 3e larron est incarcéré en Tunisie pour meurtre. Son absence permet à Lasred, son cousin, de se décharger sur lui.
Les faits sont très élaborés. Lasred et sa suite repèrent des restaurants, des épiceries, sur la vitrine desquels s’affiche le numéro de téléphone. Ensuite, il appelle : « Je suis agent du Trésor public, je vous soupçonne de fraude. » Nul n’étant à l’abri d’une erreur, l’interlocuteur panique. Lasred, grand seigneur : « On va s’arranger pour régulariser votre situation. » Tétanisés, les gens réunissent liquidités et bijoux, qui terminent dans les poches du voleur.
« C’est drôlement futé, votre mode opératoire ! », remarque la présidente Isabelle Verissimo. « De plus, vous ciblez des Pakistanais et des Asiatiques qui n’ont pas forcément connaissance des procédures françaises. Cela fait de vous quelqu’un qui n’en est pas à son coup d’essai… »
« De 2017 à 2020, je me suis tenu à carreau »
Son casier judiciaire confirme les soupçons de la juge : escroquerie en 1996, vol aggravé en 2008 avec récidive l’année suivante et trafic de stupéfiants, association de malfaiteurs en 2017, révocation d’un sursis en 2021. Lasred, agacé : « De 2017 à 2020, je me suis tenu à carreau ! Je n’avais plus besoin d’argent. » Il y a une raison toute bête à ce retrait provisoire du monde des voyous : il purgeait une peine de trois ans ferme, infligée à Bobigny (Seine-Saint-Denis). En prison, il a attrapé la tuberculose, qu’il a transmise dès sa libération à sa femme et à ses deux filles. La maladie, associée à une erreur médicale après une chute en scooter (le chirurgien a opéré l’épaule saine, négligeant celle brisée en mille morceaux), justifieraient les filouteries. Il a pourtant été indemnisé à hauteur de 89 000 euros.
Lorsque la présidente lui rappelle « les nombreuses victimes recensées » par la BRB, il s’insurge : « Je ne suis pas le seul à me prétendre inspecteur du fisc ! Pas question que je prenne pour tout le monde. » Il accuse son cousin meurtrier, qu’il dit « indic des Douanes » d’avoir « manigancé » la plupart des brigandages. Les absents ont toujours tort. Il y a cependant un souci : Lasred a été reconnu par cinq familles lors d’un tapissage au commissariat et la plaque minéralogique des voitures qu’il louait pour agir a été relevée. Sans compter sa comparse qui l’accable, les écoutes téléphoniques qui ont révélé son implication et « ses vantardises dans tout le quartier », selon les témoins. Le prévenu soupire, maugrée, perd de sa superbe.
« L’astuce ? Je l’ai trouvée grâce à la télé »
Le montant des sommes collectées par le faux receveur des impôts s’élève à 34 000 euros ; un décompte a minima d’après la BRB. Si l’on considère les dates des méfaits, 14 et 15 octobre 2020 et le 20 octobre 2021, le bilan de sa petite entreprise est remarquable. La juge, intriguée, le questionne sur son idée : « L’astuce ? Je l’ai trouvée grâce à la télé », répond Lasred, souriant (le masque a glissé sur le menton). Les séries policières regorgent de bons plans. En tout cas, ce père de trois enfants, marié depuis 27 ans, n’aurait pas gagné autant en demeurant styliste modéliste, son métier. Lorsqu’il a été arrêté, il détenait 4 100 € dans son portefeuille Montblanc, un bracelet Hermès dans sa boîte orange, un iPhone plus une facture mentionnant son dernier séjour dans un hôtel luxueux.
Marguerite de Saint-Vincent, la procureure, parle de « faits odieux, d’abus de crédulité » et « d’atteinte aux institutions, décrédibilisées ». Elle révèle que, convoqué après la révocation de son sursis le 26 novembre, Lasred a pris la poudre d’escampette. Pour « protéger la société », elle requiert cinq ans ferme avec mandat de dépôt à l’audience.
Raphaëlle Guillot, avocate à Saint-Mandé (Val-de-Marne), n’occupe pas la place la plus enviable en cette enceinte. En défense de Lasred, elle s’efforce de convaincre qu’il n’est que le maillon d’une chaîne et que « les policiers ont tenté de l’accrocher à plusieurs procédures. Je comprends qu’on en ait marre de lui mais, pour les vols de 2020, vous n’avez aucune preuve ». Me Guillot plaide aussi la situation de son client : « Sa santé s’aggrave et il se sent diminuer. En commettant le délit de 2021, il a cru donner un sens à sa vie. Il s’est dit : “Je ne suis plus qu’une loque humaine qui crache du sang.” A tort. Plaçons-le sous bracelet électronique, ainsi la société sera protégée et il pourra recevoir des soins appropriés. »
Lasred, qui a la parole en dernier, s’emploie à détruire la plaidoirie de son conseil : « Quoi ? Cinq ans ? Tout ça parce que j’ai volé des Chinois et des Hindous (sic) ? Mais vous me donnez la mort, là ! », hurle-t-il.
En une demi-heure, les juges décident de recevoir 13 parties civiles dans leur constitution et d’incarcérer immédiatement le condamné à quatre ans de détention ferme. « Vous avez été prévenu plusieurs fois », précise Mme Verissimo à l’homme en larmes, menotté par l’escorte. Il quitte le box sous le regard de son fils abattu. Un jeune homme travailleur et seul rescapé de la tuberculose familiale.
Référence : AJU260303