Tribunal de Meaux : « Je sais bien que toute ma vie est foutue… »

Publié le 17/09/2024

À peine majeur, et déjà une existence d’une infinie tristesse. Des parents aux abonnés absents, des délits à la pelle pour vivoter. Jusqu’à une nuit d’horreur, au cours de laquelle il a écrasé un policier à moto qui a riposté en lui tirant une balle dans la tête. Cette fois, Mohamed répond de cinq infractions en récidive devant le tribunal de Meaux (Seine-et-Marne).

Tribunal de Meaux : « Je sais bien que toute ma vie est foutue... »
Salle d’audience au Tribunal judiciaire de Meaux (Photo : I. Horlans)

Par sa taille et sa fragilité, on dirait le Petit Poucet du conte de Perrault. Sa maigreur et son parcours d’enfant égaré accentuent la ressemblance. Il est là, bras ballants, cheveux longs en bataille, debout dans le box des détenus de la chambre des comparutions immédiates et pourtant à peine visible – on ne distingue que le haut de son torse chétif et sa petite tête qui dodeline. Mohamed, 18 ans, a « fêté » sa majorité en détention. Pas n’importe où : à la prison de Fresnes (Val-de-Marne), réputée dure et suroccupée (1 800 prisonniers pour 1 300 places à la maison d’arrêt en 2023). Il y a passé huit mois, en a été libéré le 24 août dernier, avec pour seul bagage « un ticket pour prendre l’autobus à gauche au bout de la rue », indique son avocat commis d’office, le vice-bâtonnier Jean-Christophe Ramadier.

Alors, que faire avec un ticket de bus en poche quand on n’a ni famille ni amis, pas de travail, encore moins de logement ? On tente de « survivre ». C’est le verbe choisi par l’adolescent pour résumer sa condition de voleur. Il est poursuivi pour s’être introduit, jeudi 12 septembre, dans la propriété d’une famille qui dormait, y avoir dérobé un vélo et les clés de la Peugeot 3008, qu’il a conduite sans permis, et avoir refusé d’obtempérer lorsque la police a voulu le contrôler. Le tout en récidive.

« Vous croyez que ça fait plaisir d’entrer chez les gens ? »

 Deux jours avant, il avait été arrêté pour un vol à l’étalage et placé en garde à vue. Aussi, voyant la Brigade anticriminalité se lancer à sa poursuite, il a fait des embardées, écrasé l’accélérateur, grillé des feux rouges. Il a fini coincé et menotté. Cela aurait pu se terminer comme à Stains (Seine-Saint-Denis) : dans une même configuration, il a écrasé un motard de la police. Mohamed a été stoppé par une balle en pleine tête. Le fonctionnaire et le chauffard ont survécu – un miracle. L’instruction judiciaire est en cours à Bobigny.

Ce lundi 16 septembre, après sa nouvelle garde à vue et son placement en détention jusqu’à sa comparution, il reconnaît « tous les faits », filmés par les caméras de vidéosurveillance de la municipalité meldoise. Il jure « les regretter ». La présidente Cécile Lemoine énumère les peines portées à son casier judiciaire (CJ), une dizaine à 18 ans. « Pourquoi ? » Question posée, reposée ; le tribunal espère comprendre. L’explication tient en trois mots : « survivre », donc ; « manger » ; « dormir ». Il s’énerve : « Vous croyez que ça fait plaisir d’entrer chez les gens ? J’ai fait le con. Je sais bien que toute ma vie est foutue… » La juge, rassurante : « Non, ne dites pas cela, il est encore temps de saisir les aides que la justice peut vous fournir mais il faut vous prendre en charge. »

On touche du doigt la misère, le désarroi d’un gamin qui se rêvait pâtissier et qui, faute d’encadrement, d’un point de chute, multiplie les méfaits afin de se nourrir et de s’abriter.

« Et s’il avait eu une enfance normale, avec un peu d’amour ? »

 Les parents et leurs quatre enfants victimes de l’intrusion, « traumatisés », se constituent parties civiles ; ils réclament 33 185 €. Un renvoi sur intérêts civils est ordonné, il faudra fournir des justificatifs. La procureure B. parle de « déterminisme », de « fatalité », de « sabotage » qui « nous frustrent » : « C’est navrant, il a bénéficié de mains tendues. Et, s’il n’est pas réductible à son casier, il ne nous laisse pas le choix puisqu’il a mis en danger sa vie et celle des autres alors qu’il est impliqué dans une affaire très grave. »

Ancienne juge des mineurs, Mme B. déplore « qu’il soit déjà passé par huit établissements pénitentiaires. Ce n’est pas de gaieté de cœur que je prends mes réquisitions. » Dix mois pour refus d’obtempérer, six pour les vols, et un maintien en détention.

Me Jean-Christophe Ramadier, qui bien sûr ne conteste pas les faits, se dit « touché par le parcours de Mohamed, par sa voix fluette, sa vie gâchée » : « Un sabordage monumental ! » Il se prend aussi à rêver : « Et s’il avait eu une enfance normale, avec un peu d’amour ? S’il avait pu obtenir son CAP de pâtissier, comme il le souhaitait ? Au lieu de cela, son CV, c’est son CJ ! Ses stages, c’est à Porcheville, Villepinte et Fresnes [les trois prisons pour mineurs qu’il a fréquentées] avec une sortie sèche et un ticket de bus, sans perspective. Alors on fait quoi ? Il est perdu pour la justice ? »

Le défenseur suggère de « ne pas le laisser végéter en détention », d’opter plutôt « pour une semi-liberté qui permettra aux intervenants de l’aider à préparer son avenir, à bosser dans une pâtisserie, à faire en sorte que ses journées soient utiles ».

Mohamed a-t-il quelque chose à ajouter, selon la formule consacrée ? « Je suis d’accord avec mon avocat », répond-il simplement.

Le tribunal choisit de lui faire confiance : un an en semi-liberté au Centre de Melun. Il y suivra une formation, et consultera un psychologue afin de remettre sa vie à l’endroit. Mohamed remercie, esquisse un timide sourire. Le premier depuis son entrée dans le box.

 

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