Tribunal de Meaux : « Je suis féministe mais dans ce dossier, il n’y a rien du tout ! »
À l’issue d’une audience perdue d’avance, le tribunal de Meaux (Seine-et-Marne) a sévèrement condamné un ancien policier qui, alors en poste à Disneyland Paris, aurait tenu à deux étudiantes « des propos lourds ». Paralysé, Adrien n’avait aucune chance face à un président impitoyable.
Treize minutes. Ce fut, précisément, la durée du sermon. Et il s’en écoula six, particulièrement éprouvantes pour le prévenu et sa famille, avant que le président Guillaume Servant prononce enfin le mot – coupable – et le quantum de la peine. Accroché à la barre, Adrien a encaissé le discours qui s’apparentait plus à l’homélie d’un curé qu’aux motivations orales d’un jugement. Ainsi a-t-il appris que dans « ce type d’affaires », en l’espèce harcèlement sexuel, « il n’y a jamais de preuves ni de caméras » pour prouver le délit. Que, ma foi, « l’impossibilité matérielle » de caractériser les faits n’empêche pas de condamner. Que, « dans un groupe américain comme Disneyland, il n’y a pas de vendetta. Ça ne tient pas deux minutes la route ! » L’argument qu’a soutenu la défense est la base de l’action prud’homale pendante.
« Ici, nous sommes en France, pas dans certains pays que je ne citerai pas ! Les femmes ont des droits », a conclu le président Servant en réponse à la plaidoirie de la défenseure, Me Zineb Alami qui, à raison, avait fustigé les failles du dossier. « Certains pays » ? Au hasard, celui des ancêtres de Me Alami ? Sous l’allusion, l’avocate s’est liquéfiée. Trente minutes plus tard, devant le palais de justice, elle tremblait encore. Non qu’elle soit en sucre : elle a juste subi plus d’épreuves qu’en cinq ans de barre.
« C’est un macho qui part gagnant avec les filles »
Les poursuites contre Adrien lui font encourir cinq ans de prison. Il y a le harcèlement, donc, et une agression sexuelle aggravée par le prétendu lien hiérarchique entre Julie*, stagiaire à Disneyland, et Adrien. Le procureur Boulin admettra que ledit lien n’existe pas et demandera la requalification de la seconde infraction en tentative d’agression. En cause, « le bisou » que cet homme de 35 ans aurait exigé de Julie durant les quatre heures qu’elle a passées auprès de l’agent. Ancien policier, il était un « fox », du nom des traqueurs de voleurs dans les boutiques. Lui est aussi reproché une « main qui a frôlé les fesses » de la jeune fille et ce commentaire : « Elles sont bien moelleuses. » Enfin, il l’aurait plaquée contre un mur pour l’embrasser ; il a été repoussé. Les faits se sont produits le 7 décembre 2021, et la plainte déposée le 21.
« Un fox vous a-t-il déjà embêté ? » La question d’un superviseur a conduit deux autres alternantes, Camille* et Céline*, à désigner Adrien, « un gros lourd », « un prédateur », « un macho qui part gagnant avec les filles. » Ce jeudi 16 février 2023, Julie et Camille se tiennent côte à côte à la 3echambre correctionnelle. À la barre, très émues, elles réitèrent leurs accusations.
« À bon entendeur, salut ! »
Adrien nie tout comportement déplacé, tout incident avec quiconque : « Je suis timide, droit et juste. Jamais je ne ferais de telles choses ». Derrière lui, sa femme chargée de la sécurité chez Mickey et sa mère. En apnée, Adrien se défend, cherche les mots : « C’est terrible, pour un ex-policier, d’être de ce côté de la barre. » Le président : « – Ce qu’elles disent, c’est du chiqué ?
– Des propos calomnieux, oui.
– Elles peuvent entrer à la Comédie française ?
– Je ne me prononcerai pas là-dessus… Je… J’avais un conflit à Disney…
– On voulait donc se payer votre tête ?
– Oui, d’ailleurs j’ai été licencié, je conteste aux prud’hommes… »
S’ensuivent des railleries – « au second degré », précise le juge –, chaque tentative d’explication est tournée en ridicule, « Monsieur se fait un film » dont « le scénario n’est pas crédible » : « A bon entendeur, salut ! », cingle Guillaume Servant. Puis, tourné vers Me Zineb Alami qui veut mieux dire les choses, il la coupe : « Je vais rompre ce suspense in-sou-te-na-ble : elle va plaider la relaxe ! » On s’attend à entendre les « claqueurs » d’une pièce de théâtre. L’avocate regagne son banc. Tout rouge, Adrien pleure comme un enfant : « Je suis fidèle, aimant, je ne me focalise que sur ma famille, ma carrière. » Il a repris ses études, va devenir ingénieur.
« J’ai peur qu’il commette l’irréparable »
Son beau-père, policier, témoigne : « Depuis qu’il est accusé, son état s’est détérioré. Il ne sort plus, il a pris 20 kilos, sa femme, ses filles, le tiennent en vie. Ses études, aussi, dix heures par jour, pour tenter de se relancer. Je le connais depuis 18 ans, il était la joie de vivre et là il broie du noir. Je suis inquiet. J’ai peur qu’il commette l’irréparable. » Le juge : « Vous travaillez chez Disney ? Non. Alors vous n’êtes pas témoin des faits. » « Non, mais ça ne colle pas du tout, rétorque le policier. Impossible. » Une collègue : « On ne lui a jamais rien reproché. Aucun geste déplacé. Je travaille avec sa femme, elle l’aurait su. »
Me Blandine Zeller, qui représente les deux parties civiles, insiste sur « des récits de plaignantes qui n’ont pas varié » et balaie « la fable du géant tout-puissant, Disney, qui monte un dossier contre Monsieur pour le licencier. Personne ne peut y croire ». Le procureur Boulin partage ses convictions : « Pourquoi ces jeunes filles s’infligeraient-elles la violence de la procédure et de l’audience si elles n’avaient pas été victimes d’une situation hostile ? Les faits sont pleinement caractérisés. » Il requiert un sursis simple de huit mois, des soins, un stage contre les violences sexistes, une interdiction de contact avec les deux étudiantes.
« Quand j’ai pris le dossier, je me suis dit “c’est chaud” »
Me Zineb Alami résume parfaitement le sentiment général en confiant sa première réaction : « Quand j’ai pris le dossier, je me suis dit “c’est chaud, il y a le mouvement #MeToo, trois femmes”… Je suis féministe… » Elle sait que la parole des hommes est devenue inaudible. L’avocate poursuit : « Je lis le dossier, je constate qu’il n’y a rien du tout ! Les incohérences rendent les choses incompréhensibles », plaide-t-elle en les détaillant. « Il n’y a pas d’élément matériel », martèle la défenseure, qui évoque aussi le soutien de la famille, le casier judiciaire vierge. Ses arguments ne convaincront pas le tribunal.
La nuit est tombée lorsque débute le sermon. Les victimes « transpiraient l’émotion », par conséquent « l’intimidation est établie ». La peine va au-delà des réquisitions : huit mois de sursis probatoire jusqu’en 2025, soins, stage, interdiction d’aller à Disneyland durant deux ans, 3 540 € « à verser tout de suite ». Le jugement « s’applique ce soir, indique le président, et si vous enfreignez vos obligations, le juge d’application des peines pourrait en être chagrin ». Il échappe à l’inscription au Fijais, fichier qui répertorie les criminels et délinquants sexuels : « Je ne vous considère pas comme un agresseur ou un violeur », concède M. Servant. Sonné, Adrien oublie de le remercier.
Devant le palais, la mère s’écroule sur les dalles grises. Son fils pleure, dit qu’il fera appel « demain ». Sa femme se serre contre lui. Le beau-père les enlace. Et les deux victimes disparaissent dans la nuit.
* Prénoms modifiés
Référence : AJU351469