Tribunal de Meaux : « Je t’en supplie, sauve-moi, sinon tu me retrouveras morte demain »
Battue dès sa lune de miel et pendant toute sa grossesse, fouettée à coups de ceinture, « calmée » par des douches froides, Jessica a cru mourir le 2 février dernier. Et le 29 mai, à l’issue d’une soirée cauchemardesque, son mari Sébastien a été arrêté, puis incarcéré. Le tribunal de Meaux (Seine-et-Marne) l’a condamné mercredi à quatre ans de prison.
Ce 5 juillet, la présidente Isabelle Verissimo a les traits tirés par la fatigue, qui se lit sur son visage d’ordinaire lumineux. Comme dans de multiples juridictions françaises, les magistrats et greffiers de Meaux ont dû doubler leurs heures de présence pour faire face à l’afflux des émeutiers déférés en comparution immédiate, surcharge de travail liée aux affrontements que la mort de Nahel, le 27 juin à Nanterre (Hauts-de-Seine), a provoqués. Cela n’empêche pas la juge de rassurer des prévenus en soirée : « Même s’il est tard, nous prendrons le temps de vous écouter. »
La 3e chambre correctionnelle est surchargée, ce mercredi, principalement en raison de l’examen d’un lourd dossier, étudié durant quatre heures. Le cas de Sébastien n’a rien à voir avec les soulèvements. Le routier de 35 ans, crâne rasé, tout en muscles, est soupçonné de violences habituelles sur son épouse Jessica, suivies d’incapacité supérieure à huit jours, et de violence envers leur bébé âgé de deux mois, puis contre sa belle-mère. Les familles du couple assistent au procès ; en salle des pas perdus, la sœur de Jessica garde la fillette qui pleure à intervalles réguliers.
« Il m’a jetée au sol et, comme je résistais, il m’a tirée par les cheveux »
Les derniers faits, qui ont valu à Sébastien d’être incarcéré, datent des 28 et 29 mai. L’origine de son accès de rage en milieu de nuit est le reproche de Jessica quand son mari a débouché une 6e bière. La belle-mère de celui-ci raconte l’explosion de colère : « J’ai entendu ma fille crier, je suis sortie de ma chambre et me suis interposée. Il a crié : “Te mêle pas de ça ! Dégage !” Il a poussé ma fille qui avait le bébé dans les bras, m’a jetée au sol et, comme je résistais quand il a voulu me mettre dehors, il m’a tirée par les cheveux, a balancé mes affaires à la rue. » Le mobilier vole en éclat, il « arrache son bébé des bras de Jessica », selon les procès-verbaux du 29 mai, désormais révisés et minimisés. La présence des parents du suspect assis au premier rang explique peut-être le revirement. « Je ne l’ai pas reconnu, je l’aime, je le considère comme mon fils, il m’appelle maman. L’alcool l’énerve », dit-elle encore pour l’excuser. Elle va jusqu’à déclarer que les meubles brisés, c’est sa faute « car je m’y suis agrippée ».
Jessica, frappée et privée de sa fillette, sort en hurlant, ameute les voisins, « à l’aide, au secours », entendent-ils. Ils alertent les gendarmes, qui se présentent à cinq. C’est le chaos dans la rue. Jessica est en larmes, Sébastien tient le bébé marqué par un hématome sur le front, refuse de le leur confier. « Les forces de l’ordre ont été obligées de négocier pour qu’il rende la petite fille qui lui servait d’otage, de bouclier », plaidera Me Bogos Boghossian, l’avocat meldois qui représente les intérêts de l’enfant placée sous surveillance d’une administratrice ad hoc.
Saisie de malaise et convulsions, Jessica est évacuée par les pompiers
Sébastien, qui rit un peu trop de ses bons mots, nie avoir frappé sa belle-mère : « Si je t’avais tiré les cheveux, précise-t-il, goguenard, ils me seraient restés en main puisque t’as une perruque. » Indignation des magistrats. Sa femme, frêle professeur d’histoire-géographie, s’accroche à la barre : elle revient sur ses révélations à la gendarmerie, jusqu’à la dénonciation des premiers coups en voyage de noces – ils se sont mariés le 25 juin 2022. « Je l’aime, il n’a pas bien agi, ce sont les effets de l’alcool. Il travaille beaucoup, ça crée des tensions. J’ai mal pour lui car je n’ai pas décelé sa détresse, son état de fatigue. » La présidente, stupéfaite : « – Comment expliquer cette distorsion des faits ? Vous avez décrit sur procès-verbal une vie conjugale émaillée de violences… Les gendarmes ont mal compris ?
– J’étais en colère. Il est bienveillant, serviable, jovial, se plie en quatre pour me faire plaisir. Ce n’est pas une méchante personne.
– Ce serait une méchante personne si vous étiez morte ? »
– …
En larmes, Jessica se rassoit à la droite de sa mère. Derrière elles, la famille de Sébastien semble fulminer. Puisque la victime « est en retrait, dans une volonté de protection », la juge Verissimo lit les PV d’audition de Jessica, de sa mère, d’amis. L’énumération des actes de violence est vertigineuse. Leur commission s’échelonne de juillet 2022 (la lune de miel) au 29 mai, huit scènes datées, certaines corroborées par des photos d’hématomes, du visage tuméfié. Échantillon : coup de poing à sa belle-mère, Jessica frappée maintes fois durant sa grossesse, fouettée à coup de ceinture, imprimante jetée sur sa tête, douches froides « pour la calmer », mobilier cassé, chaise-bébé lancée sur elle, excès de vitesse sur la route « pour lui faire peur ».
Confrontée à ses mensonges à l’audience, l’épouse sanglote, convulse. Les pompiers sont requis, les débats sont suspendus.
« J’ai eu des réactions démesurées. En prison, j’ai réfléchi »
A la reprise, 45 minutes plus tard, la présidente lit d’autres témoignages – ils accablent Sébastien. Tel celui de Christine, une amie, appelée à l’aide la nuit du 15 février : « Jessica criait : “Je t’en supplie, sauve-moi, sinon tu me retrouveras morte demain. Je t’en supplie ne raccroche pas”. Je suis arrivée en dix minutes. Elle était enceinte de huit mois. » Christine, toujours : « Il lui tapait dessus jusqu’à ce qu’elle s’évanouisse, la mettait sous la douche, la lavait pour l’humilier. » Les détails sordides se succèdent ; on s’arrêtera là.
Sébastien, sommé de s’expliquer, reconnaît avoir « eu des comportements anormaux, des réactions démesurées. En prison, j’ai réfléchi. Ce n’est pas comme si j’étais en cure avec des anges, je suis entouré de gens qui pètent des câbles, j’ai peur. J’ai réalisé qu’elle avait pu avoir peur. J’avais tout sous les yeux : une petite fille merveilleuse, une femme que j’aime… » Il en sera ainsi jusqu’à l’issue du procès : je, je, je. Sur les violences à répétition, les témoignages ? « C’est un électrochoc d’entendre ça. A votre place, je dirais “Waouh, c’est un monstre”. Mais je suis posé, réfléchi, sauf quand je bois. » Sa prétendue addiction à l’alcool, brandie comme une excuse, ne rassure pas : chauffeur de poids-lourd, il roule six jours sur sept. Il se défend d’être « manipulateur, colérique, égocentré », selon le psychiatre, « superficiel et impulsif », dans « une position victimaire permanente », selon l’experte en neuropsychologie.
« Son ex-femme décrit les mêmes faits en 2013, 2014, 2015 »
En proie « à la tristesse de représenter un bébé de deux mois et au désarroi face au fossé existant entre ce qui a été déclaré aux gendarmes et ce qui est dit aujourd’hui », Me Boghossian prie les juges de passer un message aux époux : « Ils doivent se responsabiliser. » Antoine Duchêne, l’auditeur de justice du parquet, s’avoue « circonspect face au transfert » : « C’est lui qui est en détresse, tout est la faute de Madame. » A ses yeux, l’affaire est une « caricature des violences conjugales », « il est dans la toute-puissance, elle est sous emprise ». Il révèle que « son ex-femme décrit les mêmes faits en 2013, 2014, 2015 », estime que s’il est privé de visite à ses deux fils aînés, il y a « une bonne raison ». Persuadé que, dès la reprise de vie commune que le couple souhaite, Jessica sera de nouveau en danger, il requiert trois ans de prison, moitié ferme avec maintien en détention. Plus de nombreuses interdictions, les principales étant l’absence de contacts avec sa femme, sa belle-mère et sa fille durant trois ans, et le retrait de l’autorité parentale.
L’avocate de la défense dit « avoir assisté à un film d’une extrême gravité » qui ne correspond « ni à des faits avoués, ni prouvés ». « L’énervement » de son client aurait atteint son apogée quand « il a dû recevoir la famille africaine de Madame pour deux mois , dans son appartement étroit ». La belle-mère appréciera. « Donnez-lui une seconde chance », conclut-elle.
« Je suis vraiment désolé », ajoute Sébastien.
A 19h30, tandis que le bébé dort enfin contre sa mère que les pompiers ont requinquée, le tribunal rend son jugement : quatre ans d’emprisonnement, dont dix-huit mois ferme avec maintien en détention, sursis probatoire de deux ans, cinq ans d’interdiction d’approcher Jessica et sa mère, soins et stage, retrait de l’exercice de l’autorité parentale, 500 euros d’amende.
La famille de Sébastien quitte la salle, Jessica pleure, se tord de douleur, le condamné est évacué sous escorte. Derrière les vitres de la 3e chambre, il la regarde et verse ses premières larmes.
Référence : AJU377623