Tribunal de Meaux : « J’entends tellement la mère hurler sur ses enfants, ça fait peur… »

Publié le 01/06/2023

Les magistrats du tribunal de Meaux (Seine-et-Marne) ont consacré cinq heures, mardi 30 mai, au procès d’une mère et d’un beau-père suspectés de « violences habituelles » sur deux mineurs, aujourd’hui âgés de 15 et 17 ans, entre 2016 et 2022. A l’issue d’une audience douloureuse pour le cadet, revenu sur ses déclarations, le couple a été condamné.

Tribunal de Meaux : « J’entends tellement la mère hurler sur ses enfants, ça fait peur... »
Salle d’audience au tribunal judiciaire de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 

Au 2e rang de la 1ère chambre correctionnelle, Martin* est assis auprès de l’administratrice ad hoc qui les suit, lui et sa sœur Karine*. Cela fait une semaine qu’il a de nouveau fugué du foyer où il a été placé en 2022. Et s’il assiste au procès, c’est pour jurer qu’il a menti durant un an. L’adolescent de 15 ans est formel : non, il n’était pas « frappé à coups de chausson turc très dur ». Ses bleus constatés à l’unité médico-judiciaire (UMJ) ? « Le foot, les bagarres de rue. » Les hématomes de l’aînée, 17 ans, également relevés à l’UMJ ? Provoqués par « son ami Mathis qui la battait ». Il n’en démordra pas : Valérie*, 36 ans, et Paul*, 54 ans, sont innocents. Tout va si bien qu’il est retourné vivre avec eux, ne veut plus voir la juge des enfants. Celle-ci a entendu ados et adultes quatre fois en un an et, précise Me Florence Pain, avocate des prévenus, « elle s’arrache les cheveux sur ce dossier ».

« Elle m’a tapée si fort que le manche à balai s’est cassé »

 Il est incontestablement compliqué. Il faut prendre le temps de relire tous les procès-verbaux, les témoignages des voisins et enseignants, le rapport du psychologue, les messages adressés par les enfants au père biologique, avec qui ils ont renoué après dix ans d’abandon. Savoir si Karine, absente mais qui maintient ses accusations, a effectivement subi un calvaire. Aussi la présidente Isabelle Florentin-Dombre va-t-elle instruire avec rigueur et méthode. Les faits, d’abord. En 2018, ouverture d’une première procédure après le signalement d’une infirmière scolaire. Sur les jambes, les bras des enfants de 10 et 12 ans, elle a découvert des ecchymoses. Ils sont sales, lui « se douche tous les cinq jours », elle se plaint d’être « battue, tirée par les cheveux », « menacée d’un couteau si elle prend des biscuits ».

Curieusement, l’affaire sera classée sans suite. La justice ne vérifiera pas si les graves brûlures qui ont immobilisé Karine deux semaines à l’hôpital, à 4 ans, ont été intentionnelles ou si la bouillotte l’a accidentellement blessée, comme l’a certifié sa mère.

Seconde procédure en avril 2022. Les gendarmes interviennent après que Valérie s’est acharnée sur sa fille sortie sans son accord : « Elle m’a tapée si fort que le manche à balai s’est cassé », a indiqué la jeune fille, qui évoque « des violences répétées depuis l’enfance ». Manche d’aspirateur, poêle qui finit brisée, boucle d’oreille arrachée, les agressions sont multiples. Quant à Martin, il prend « des coups de casserole ou de chausson turc très dur », selon ses propos d’alors, lorsqu’il corroborait aussi la version de sa sœur, qui n’a jamais varié.

« Son amie la traite de menteuse professionnelle ! »

Question rituelle : quelle est la position du couple, soupçonné de violences habituelles sur mineurs de moins et plus de 15 ans avec arme, soustraction à ses obligations légales (elle), non-dénonciation de mauvais traitements (lui) ?

Valérie, teeshirt à fleurs, voix éraillée : « C’est faux ! Je ne comprends pas pourquoi elle dit ça. Il ne s’est rien passé ! » La mère n’accable que sa fille ; elle a désormais l’assurance d’être défendue par son fils.

Paul, bouc blanc et bracelets en perles au poignet droit : « Je réfute tout. Je ne les ai jamais frappés. » La juge : « – Vous n’appeliez pas votre beau-fils gros porc, bâtard, bouffon ?

– Gros porc, c’était pour qu’il arrête de trop manger. Il allait être le dindon de la farce à son entrée en 6e .

– Pourquoi vous ont-ils tous deux accusés ?

– Parce que [Martin] voulait un téléphone portable. [Karine], je ne sais pas. Elle avait tout à la maison, barbecue, jardin, piscine…

– Et vous, Madame, vous n’avez pas battu votre fille jusqu’à l’obliger à se recroqueviller sur le carrelage ?

– N’importe quoi ! Son amie la traite de menteuse professionnelle ! Je n’en peux plus. Je suis en survie… Ça me dépasse, je suis sous le choc…

– Des voisins affirment que vos enfants sont esclavagisés, qu’ils effectuent toutes les tâches ménagères, parfois jusqu’à minuit. L’une d’eux dit ceci : “J’entends tellement la mère hurler sur ses enfants, ça fait peur”…  »

Valérie éclate de rire. Puis, consciente de l’effet produit, négatif : « Désolée, c’est nerveux. Ils mentent ! » Égocentrée, elle ramène tout à elle, invoque une « cabale », un « acharnement » coupe la parole, contredit la juge des enfants qui les trouve « très angoissés ». Sa dernière décision date du 17 mars 2023 « après une altercation » entre Martin, déjà en fugue, et sa mère.

« Des souffrances, il y en a. Mais quelle en est la cause ? »

Il en sera ainsi jusqu’à la fin des débats. Le procureur-adjoint Marc Lifchitz a beau les soumettre à un interrogatoire pointu, leur opposer les pièces du dossier, Paul et Valérie s’en tiennent à leur vérité. Une auditrice de justice prend le relais, un assesseur à sa suite ; en vain. La présidente : « Je pense que nous ne parlons pas la même langue. » Tout juste la mère admet-elle « ne pas avoir vu le mal-être de [sa] fille ». Peu importe les conclusions du psychologue sur « les maltraitances », les textos échangés avec le père qui les a incités à réagir, les précisions recueillies par les gendarmes, les détails concordants dans les dépositions des jeunes. « Tout est faux ». Y compris ce qu’a déclaré Karine : « Je ne mettais pas de manches courtes pour qu’on ne voie pas mes bleus. » Ce que rapporte l’administratrice : « Elle ne veut plus voir sa mère tant que celle-ci ne se sera pas remise en cause. Elle m’a dit : “Je veux avancer, elle regrettera de ne pas reconnaître les choses”. »

« C’est moi qui suis assoiffée de vérité ! s’écrie Valérie. Si je l’avais tapée ou brûlée, je reconnaîtrais ! » Inutile d’insister.

Avocate des adolescents, Me Anne-Sophie Lance s’avoue « choquée » par l’attitude du couple « qui retourne la situation », dont « les explications ne sont pas crédibles ». Rappelant qu’ont été accordés, à l’UMJ, quatre et cinq jours d’ITT, elle souligne un « retentissement psychologique important » et la position de Martin, « pris dans un étau ».

Le parquet estime « les infractions constituées et les séquelles, définitives. Anxiété, carences affectives, le préjudice est considérable ». L’auditrice de justice requiert 18 mois avec sursis contre Paul, deux ans dont un ferme à l’encontre de Valérie, peines assorties de plusieurs obligations.

En défense, Me Florence Pain tente de remonter le fleuve à contre-courant. Jamais condamnés, ses clients ne méritent pas d’aussi lourdes sanctions, a fortiori « parce qu’on ne connaît pas vraiment la vérité ». Avançant sur un fil, consciente qu’il lui est impossible de démentir la parole des jeunes, elle s’interroge : « Des souffrances, il y en a. Mais quelle en est la cause ? » Son suivi de la procédure devant le juge des enfants lui permet d’affirmer qu’il y a « beaucoup de conflits de loyauté », que rien n’est ni tout blanc ni tout noir. « Mais il n’y a pas de mauvais traitements, ils ont toujours mangé à leur faim. » Elle regrette que le père ne les ait pas hébergés, plus encore le comportement de Valérie, femme « harcelante. Ce n’était pas la maison du bonheur, toutefois je récuse les violences habituelles, prévention fourre-tout ».

Il est 19h40 lorsque les juges partent délibérer. Que faire du jeune Martin, que l’administratrice a laissé seul sur son banc ? Il veut rentrer à la maison. Le procureur Lifchitz s’émeut de la situation, lui explique doucement que c’est inenvisageable, et part en quête d’éducateurs.

A 21h15, ils sont là, venus de Melun, prêts à emmener Martin. Le tribunal condamne le couple à deux ans de prison avec sursis probatoire jusqu’en 2025. Elle est relaxée de soustraction à ses obligations, il l’est pour la non-dénonciation. Ils paieront une amende de 150 €, devront se soigner, suivre un stage de responsabilité parentale. Martin est abasourdi. La présidente : « Vous n’êtes absolument pas responsable. Seuls votre mère et votre beau-père le sont, peut-être à cause de leurs fragilités. » Elle souhaite à tous « de [se] reconstruire ». « Attendez, là, je suis sous le choc ! », répond la mère.

* Tous les prénoms ont été modifiés

 

Tribunal de Meaux : « J’entends tellement la mère hurler sur ses enfants, ça fait peur... »
Me Florence Pain, du barreau de Meaux, au tribunal correctionnel mardi 30 mai 2023 (Phot : ©I. Horlans)
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