Tribunal de Meaux : La misère d’une famille logée à l’hôtel depuis 2016

Publié le 14/09/2021

A force de vivre dans une chambre de 10m2 avec sa femme et leur bébé, Alexandru a craqué. En larmes, il concède « une embrouille » mais jure ne pas avoir frappé la mère de ses trois enfants. Confrontés à une situation de grande précarité, les juges de Meaux (Seine-et-Marne) ont été cléments.

Tribunal de Meaux : La misère d’une famille logée à l’hôtel depuis 2016
Intérieur du TJ de Meaux ©I. Horlans

 Alexandru, 33 ans, est roumain. Il nettoie les voies de chemins de fer pour 1 400 euros bruts par mois, soit moins que le Smic. Insuffisant pour subvenir aux besoins des siens. Sa fille de 6 ans, handicapée, est dans une institution spécialisée à Versailles (Yvelines). Son fils de 5 ans est placé en famille d’accueil. Mais il doit faire vivre son épouse Maria, sans travail, et leur bébé de sept mois. Logé par le Samu social depuis cinq ans, le couple erre d’un hôtel à l’autre. Le 1er septembre, une énième dispute a mal tourné, Alexandru a été arrêté.

À l’issue de sa garde à vue au commissariat de Chelles, il apparaît fatigué, bouleversé. Jugé en comparution immédiate, le petit homme frêle vacille dans le box, se met à pleurer alors que les débats n’ont pas commencé. Sa seule confrontation avec la justice remonte à 2017 ; il s’était alors acquitté d’une amende pour s’être rebellé contre un policier. Cette fois, le chef de prévention est grave : violence sur sa concubine en présence d’un mineur.

« Il me crache au visage, tente de m’étrangler »

 Vêtu d’un tee-shirt noir siglé The Mud Day Paris, du nom de cette course d’obstacles disputée dans des capitales européennes, Alexandru s’apprête à franchir le plus périlleux. Sa liberté est en jeu, peut-être même l’autorité parentale. Tandis que le président Servant résume son dossier basé sur le témoignage de Maria, il sanglote, essuie ses grosses larmes sur son visage tout rouge.

Le 1er septembre, Alexandru est épuisé par le labeur sur les rails, les soucis, la promiscuité. Il est en repos et, à midi, il dort encore. Elle le réveille ; ils se querellent. Les reproches du mari excédé portent sur l’oisiveté de Maria et son refus de se faire vacciner contre la Covid-19 : sans passe sanitaire, elle ne peut plus visiter leur fille handicapée, qui en souffre. L’échange est vif : « Il me met deux claques, me crache au visage, tente de m’étrangler », dira Maria aux policiers, alertés car Alexandru a disparu avec l’enfant. Elle craint le pire.

En fait, il est parti se calmer à Paris. A son retour, vers 21 heures, un comité d’accueil l’attend à sa descente du train, en gare de Chelles. Sa garde à vue est agitée, l’interprète requise se sent menacée et choisit de s’en aller.

« Elle s’est blessée toute seule ! »

Vendredi 3 septembre, au tribunal, Alexandru livre sa version moitié en français, moitié en roumain, une traductrice résumant l’essentiel : « Je ne l’ai pas touchée ! Je n’ai jamais frappé ma femme. On se dispute depuis qu’elle a voulu fuir en Italie avec le bébé. Si elle ne travaille pas, on va nous l’enlever. »

« – Selon le rapport, madame porte des traces au cou, à la bouche…, objecte le juge.

– Elle voulait sauter par la fenêtre, je l’ai retenue. Puis elle a serré son cou, elle s’est blessée toute seule ! Je la connais, ma femme, elle a des problèmes psychiatriques et c’est elle qui me frappe. »

Mais la chambre correctionnelle est saisie de faits antérieurs qui tendent à prouver un climat conflictuel récurrent. Entre le 1er mars et le 3 août, l’aide sociale à l’enfance a signalé des altercations dont le nourrisson peut pâtir. Entendue, Maria a minimisé ces différends et, dans le box, son mari réduit les chicanes à une « embrouille » comme en connaissent les couples. « En général, dans ces cas-là, on se sépare, non ? », suggère Guillaume Servant. « Oui, mais vu la situation, elle ne s’en sortira pas. C’est moi qui entretiens la famille et dans deux mois, on récupère notre fils placé », argumente-t-il d’une voix secouée de hoquets.

« Je veux me réconcilier, surtout pour mes enfants »

Au fil de l’audience, apparaît un univers de « grande précarité », selon la formule sobre du président. On entrevoit la montagne de difficultés de ce ménage, en situation régulière. Il survit depuis 2016 dans les chambres de 9 à 12m2 des hôtels Formule 1 et Ibis Budget. A l’étage réservé aux personnes sans-abri ayant appelé le 115, il est interdit de cuisiner et impossible de s’isoler. Toute la journée, Maria y tourne comme une lionne en cage et le soir, Alexandru y rentre épuisé. Dès lors, comment résister aux tensions ?

Le juge l’interroge sur sa vision de l’avenir.

« – J’espère trouver enfin un logement pour quatre. Le juge des enfants de Melun nous cherche un appartement.

– J’ignorais que nos collègues effectuaient ce genre de travail. Vous songez à reprendre la vie commune ?

– Si on me donne cette chance… Je veux me réconcilier, surtout pour mes enfants. »

La procureure, qui estime « les faits établis » et les explications du prévenu « floues et incohérentes », requiert six mois de détention, l’interdiction de revoir Maria et un mandat de dépôt qui expédiera directement Alexandru du box à la prison. Il écarquille les yeux et, comme frappé d’une migraine, saisit sa tête entre ses mains.

 « Ce couple toxique est incapable de vivre séparé »

En défense, Me Sarah Gharbi s’étonne de la sanction « disproportionnée ». « Aucun élément, aucun témoignage ne corrobore la version de madame. Je pense du reste que tout le monde ment, plaide-t-elle. Seule certitude, ce couple toxique est incapable de vivre séparé. » Elle rappelle que son client « a trois enfants, il n’a jamais mis un pied en prison, il travaille et, vous le constatez, il est effrayé ». Elle demande qu’il soit relaxé des faits survenus au printemps et, pour l’algarade du 1er septembre, propose un sursis probatoire qui permettra de le suivre. « Je veux revoir mes enfants », implore à nouveau le prévenu.

Le tribunal prononce finalement la relaxe souhaitée mais, pour les dernières violences, Alexandru sera incarcéré six semaines, dès ce soir. Six mois de prison avec sursis sont aussi infligés, avec mise à l’épreuve jusqu’en 2023. « Durant trois ans, vous n’entrez plus en contact avec votre femme, précise le juge. Vous verrez vos enfants mais devez réfléchir à l’image désastreuse que vous donnez de la paternité si vous frappez leur mère. »

Menotté, Alexandru bafouille : « Comment je récupère mes habits à l’hôtel ? » Ses seules possessions. Personne ne sait.

Un dernier sanglot accompagne son départ.

 

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