Tribunal de Meaux : L’agresseur sexuel récidive dans un bus entre Paris et Meaux
Sévèrement condamné « pour des faits totalement similaires » en 2021, Madhan s’en est de nouveau pris à une jeune fille le 28 août dernier dans le bus reliant Paris à Meaux (Seine-et-Marne). Attaquée pour la 3e fois depuis son arrivée en France, l’Américaine Allison* a affronté, à la barre du tribunal, cet homme marié et père de trois enfants.
Toujours sous le choc de l’agression commise 48 heures auparavant en fin de soirée, Allison se tient droite devant les magistrats siégeant en chambre des comparutions immédiates. L’Américaine âgée de 26 ans a un maintien de danseuse classique, un profil de médaille, un visage d’ange, un chignon blond serré au sommet de son crâne. Cette description physique revêt une importance : sa beauté fait d’elle la proie idéale des prédateurs des rues et transports publics (1). À deux reprises, elle a été leur cible lorsqu’elle vivait à Paris. Allison a déménagé à Meaux, supposant y être moins victime des harceleurs. Mais dans le bus de remplacement, mis en service pendant les travaux de la ligne P du réseau ferroviaire, il y avait Madhan qui rentrait aussi chez lui après avoir « trop bu ».
Ce mercredi 30 août, il est enfermé dans le box entre des policiers. Petit, la barbe fournie, il paraît malingre dans sa chemise d’un bleu Majorelle, que créa le peintre éponyme. Sri-lankais, résidant en France depuis 20 ans sans comprendre ni parler la langue, il est assisté d’un traducteur. Marié, père de trois enfants, il n’a « pas de boulot » depuis qu’il fait l’objet d’une OQTF (obligation de quitter le territoire français) délivrée après sa condamnation à 18 mois de prison le 23 juillet 2021. Et l’on apprend au passage que, faute d’avoir été appliquée, l’OQTF « est caduque », révèle la présidente Isabelle Florentin-Dombre.
« La 2e fois qu’il m’a caressée, j’ai crié : “Non, non, non ! »
Le prévenu, interpellé en gare de Meaux, a mis du temps à dégriser dans sa cellule de gardé à vue (deux grammes d’alcool dans son sang). Face à la police, comme au tribunal, il nie l’agression sexuelle en état d’ivresse et en récidive. Dans le bus, explique-t-il, il s’était assoupi : « Quand je dors, j’ai tendance à m’étendre. Je n’ai rien fait à cette femme, que je ne connais pas. Je l’ai jamais vue. » Madhan présente pourtant des excuses. « Pourquoi ? » demande la juge. « J’ai peur des problèmes. »
Puisqu’il dément les attouchements, il revient à Allison de les détailler. La jeune fille gagne la barre, croise ses mains dans le dos. « Il était assis sur le siège derrière moi, je sentais sa tête contre ma nuque. Il a glissé une main entre le fauteuil et la paroi, a caressé ma cuisse. J’ai dit : “Tu ne me touches pas ! C’est mon espace, tu le respectes.” Une dame m’a demandé si j’allais bien. J’ai dit oui. La 1re fois, ça pouvait être accidentel », témoigne-t-elle dans un français sans accent. Native de l’Oregon, Allison est à Paris depuis six ans, y a effectué ses études universitaires, y exerce son métier.
La présidente : « – Il dormait ?
– Oui. Et il grognait. Puis il a recommencé. La 2e fois qu’il m’a caressée, j’ai crié : “Non, non et non ! Stop ! Et je suis partie près du conducteur.
– Pensez-vous qu’il vous a volontairement touchée ?
– Je l’ignore, répond-elle avec honnêteté. Je ne suis pas dans sa tête. Mais deux fois le même geste…
– Oui. D’autant qu’il s’est livré à des faits totalement similaires à bord d’un train il y a deux ans. Cela diminue le bénéfice du doute. »
« Neuf femmes sur dix victimes de tels faits dans les transports »
Bienveillante, Allison se constitue partie civile mais « ne souhaite pas que sa femme, ses enfants soient pénalisés ». Belle personne, belle âme : « Moi-même étrangère, ayant rencontré des difficultés à m’exprimer, je pourrais admettre qu’il ne m’ait pas comprise », ajoute-t-elle. Cependant, ses « non » et mouvements de recul, d’opposition, entrent dans le langage universel.
Madhan et sa femme, sans titre de séjour, survivent grâce une association. Les enfants nés en France sont scolarisés. Leur père inscrit au Fijais (fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes) pointe quand il y songe et se soûle en dépit du manque d’argent. L’infraction de 2021 s’est révélée si grave que le tribunal a assorti sa condamnation d’un mandat de dépôt à l’audience et d’une surveillance pendant deux ans, dont le terme correspond jour pour jour à la récidive. Le juge de l’application des peines se déclare favorable à la révocation d’un an de sursis.
Le procureur Julien Piat « salue le courage de Madame car le contexte est difficile », puis hausse le ton : « Neuf femmes sur dix sont victimes de tels faits, violences sexuelles et sexistes, dans les transports en commun ! Elles n’osent plus prendre le bus, le train. » Allison, qui avait eu du mal à retenir ses larmes durant sa déposition, est en pleurs. « Monsieur est dans le déni, ça glisse sur lui, il n’a aucune prise de conscience. Il ne s’agit pas ici d’une main molle tombant sur un voisin parce qu’on est endormi. Il n’y a aucun doute, je rappelle qu’elle était installée devant lui. » Considérant « qu’il se moque des décisions de justice et représente à [ses] yeux un danger pour les femmes », Julien Piat requiert deux ans de prison dont dix mois ferme, la révocation du sursis à hauteur de 14 mois, l’incarcération immédiate.
Me Cynthia Nerestan « s’interroge » : « L’imputabilité est certaine selon le parquet mais ni les témoins ni le conducteur du bus n’ont été entendus. Il n’y a que la parole de l’une contre celle de l’autre. » L’avocate sait combien le terrain choisi est glissant. Aussi, atténue-t-elle le propos : « Je ne dis pas qu’il faut le croire, tant son casier ne plaide pas en sa faveur. Je voudrais seulement que l’on tienne compte de son état : “Il paraissait drogué, KO”, a indiqué la Sûreté ferroviaire. Il a eu un geste ambigu, oui, mais était-ce volontaire ? Il se trouvait dans un état second… » La défense espère « une peine réduite ».
Me Nerestan sera entendue : Madhan est maintenu en détention un an au lieu de deux. Il est réinscrit au Fijais. Allison recevra 500 € pour préjudice moral, somme qui l’aidera à régler sa psychologue : « Je veux la revoir. Ma 3e agression a un effet boule de neige », image-t-elle pour décrire le réveil de ses deux précédents traumatismes.
* Prénom modifié
(1) Selon Le Parisien du 31 août 2023, et un procès-verbal que nos confrères ont consulté, 57 000 plaintes pour agressions sexuelles dans les transports en commun ont été enregistrées en 2022, « soit 156 par jour ».
Référence : AJU387537