Tribunal de Meaux : Lasse de son mari, elle porte plainte pour « une main aux fesses »

Publié le 12/09/2023

« Confronté à ce dossier, le seul mot qui me vient à l’esprit est tristesse », a déclaré le procureur. « Il aurait dû se régler devant le juge aux affaires familiales » (JAF), a renchéri la défense. Face à son époux handicapé et souffrant d’un début de démence, Anne* a maintenu ses accusations afin de l’envoyer en prison. En vain.

Tribunal de Meaux : Lasse de son mari, elle porte plainte pour « une main aux fesses »
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 

Georges*, planté comme un grand échalas dans le box de la chambre des comparutions immédiates du tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), ne sait quoi faire de ses longs bras à la peau rouge écrevisse. En débardeur Marcel blanc et tâché à l’issue de sa garde à vue, il lance des regards terrorisés aux magistrats. À 43 ans, il découvre l’univers de la justice, sa solennité. Son ascension par l’escalier reliant la souricière à la salle lui a pris du temps, à cause d’un lourd handicap : semi-hémiplégique depuis un accident de la route en 2002, Georges marche et parle péniblement. Prévenu d’agression sexuelle et de violence envers sa femme, mère de leurs deux enfants, il n’a qu’un but : comprendre enfin, et précisément, ce qu’il lui est reproché.

« La main aux fesses » ? Oui, il admet ce geste malencontreux : « Un signe d’affection », considère-t-il. Anne, qui dit « avoir vrillé », l’a giflé, repoussé plusieurs fois. Sa jalousie depuis qu’elle assiste à des spectacles ? Oui, il la reconnaît sans barguigner. Les insultes qu’il profère à son endroit ? « Oui, mais pour moi ce n’en sont pas, les mots sont dans le dictionnaire. »

« Tu n’as pas le droit de me toucher sans mon consentement ! »

Assise à quelques mètres de Georges, Anne soupire. Pour prouver qu’il l’a agressée le 27 août à 4 h 15 du matin, alors qu’elle rentrait d’une excursion avec son fils de 19 ans, la plaignante a apporté une vidéo. L’aîné, qui « n’en peut plus que sa mère soit rabaissée », selon les gendarmes, a enregistré la scène. La présidente Isabelle Florentin-Dombre ordonne le visionnage du petit film. Et surtout son écoute car, des violences, on ne verra rien : « Tu n’as pas le droit de me toucher sans mon consentement », hurle-t-elle. Les récriminations pleuvent. En fond sonore, on entend « oui, oui, oui… » ; la voix de Georges est étouffée par les cris. Anne présente deux jours d’ITT pénale (incapacité totale de travail) quand le prévenu, lui, montre les bleus sur ses bras, visibles de loin tant la couleur tranche sur ses coups de soleil. « C’est quand elle m’a poussé contre la porte », bégaie-t-il.

À ce stade des débats, on s’interroge : pourquoi ce dossier vient-il allonger une audience déjà surchargée ? Certes, la « main aux fesses » relève d’une conduite incorrecte puisque non consentie par Anne. Depuis six mois, elle « ne supporte plus aucun contact. On fait chambre à part ». Il rétorque que « la séparation [lui] fait de la peine. J’aurais bien continué… » Comprendre la vie en couple.

« Salope », « petite pute », « moins que rien »

 Anne affirme être la cible « d’une accumulation d’attouchements » et d’un flot de grossièretés, y compris devant ses enfants. Le grand échalas la traite de « salope », « petite pute », « moins que rien ». Un langage ordurier qui témoigne « d’une relation toxique ». Il y a toutefois un hic et le parquet qui a engagé les poursuites ne pouvait l’ignorer : la prévention se limite au 27 août ; n’entrent pas en compte des faits antérieurement commis.

Magistrats et avocats s’en tiennent donc à cette seule nuit-là. Les questions fusent. À lui : « – Comment expliquez-vous votre geste ?

– Je l’aime encore.

– Vous avez peur de la perdre ?

– Oui M’dame. »

À elle : « – Pourquoi l’avoir giflé ?

– Je me suis sentie oppressée. On est toujours dans le stress…

– Vous n’êtes plus amoureuse ?

– Non… Psychologiquement, je n’y arrive plus. J’ai mis du temps à prendre ma décision. Je pleure, je culpabilise, c’est compliqué… Depuis que j’ai une petite vie sociale, je dois rendre compte de tout ! Y compris des achats de vêtements aux enfants. »

Anne habite chez Georges, qui rembourse les traites de la maison. Il gagne plus qu’elle. S’il est incarcéré, elle réintégrera le logement qu’elle a fui trois jours auparavant. Dans le cas contraire, il faudra cohabiter jusqu’à ce que le divorce soit prononcé.

« Si l’on n’a pas tous les éléments constitutifs, on relaxe »

 L’examen de la personnalité du prévenu révèle son grave accident, un état de santé qui ne s’améliorera plus, son travail à mi-temps en zone sensible, le rapport de l’expert qui a diagnostiqué « des troubles neuropsychiques, un début de démence qui a légèrement altéré son comportement », et son casier judiciaire vierge.

Me Blandine Arents, qui représente la partie civile, regrette que sa cliente doive vivre chez ses parents : « Sa souffrance est évidente », assure-t-elle. L’avocate souhaite que la maison revienne à Anne, que Georges aille vivre ailleurs, une interdiction de contact, 10 000 € pour le préjudice moral.

Le procureur Julien Piat fait part de ses « sentiments mélangés » et de « la tristesse » qu’inspire ce procès. Évoquant une « main lourdement posée » motivée « par sa frustration sentimentale », il estime l’agression sexuelle caractérisée. Quant au chef de violence, il est partagé : « Il y a la gifle et les bleus sur les bras » infligés à Georges. Quoi qu’il en soit, « compte tenu de sa personnalité, il faut l’accompagner ». Il requiert une peine d’un an avec sursis probatoire, des soins, un stage contre les violences conjugales. De la sanction, découlerait automatiquement l’inscription au Fijais, le fichier des délinquants sexuels.

En défense, Me Cynthia Nerestan déplore « la banalité affligeante de cette procédure qui aurait dû se régler devant le JAF. Il a eu un geste maladroit, regrettable ». Effectuant « un flash-back juridico-historique », elle rappelle les « obligations conjugales » du vieux Code civil afin de mieux souligner que son client « vulnérable » n’a pas vu « le mal à toucher sa femme ». Elle insiste sur les violences qu’il a subies, reconnues par la plaignante, sur son statut de primo-délinquant, son insertion en entreprise qui le renverra s’il est condamné.

« Je ne pense pas mériter une telle sanction », conclut Georges.

Finalement, le tribunal déboute Anne au nom de « la vérité judiciaire : si l’on n’a pas tous les éléments constitutifs, on relaxe », précise la présidente. « Monsieur, il faut entendre ce qu’a dit votre femme, vous restez un couple parental et devez préserver la relation avec vos enfants. »

Georges opine, remercie, décolle ses longs bras de la barre vitrée du box, repart en clopinant vers la liberté.

 

* Les deux prénoms ont été modifiés

 

 

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