Tribunal de Meaux : Le délit d’agression sexuelle était en fait un viol…
Alexis imaginait comparaître devant le tribunal correctionnel de Meaux (Seine-et-Marne) pour une agression sexuelle commise sur sa compagne en août. À vrai dire, même le parquet pensait qu’il en serait ainsi. Mais la partie civile a demandé qu’il soit renvoyé en cour d’assises pour viol. Et les juges ont reconnu l’erreur d’aiguillage.
De mémoire de chroniqueur judiciaire et d’avocats, le fait est exceptionnel. Qu’a-t-il bien pu se passer pour que le prévenu de 29 ans échappe à la mise en examen pour viol, soit un crime au sens pénal, passible des assises ? Il avait pourtant reconnu s’être livré à une pénétration anale le 21 août – qui plus est sur sa femme, circonstance aggravante. Alexis, déboussolé, a donc découvert à l’audience que son destin risquait de s’obscurcir. Lui qui, sous contrôle judiciaire, croyait s’en tirer avec une peine de sursis ainsi que le lui avait laissé entendre tant son avocate que le chef de prévention retenu : agression sexuelle « simple », soit sanctionnée de cinq ans de prison dans le pire des cas, et portée à sept ans lorsqu’elle est commise sur l’épouse ou la concubine. « Détail » qui, en l’espèce, avait été « oublié ».
Aussi, dès l’ouverture des débats, Me Laetitia Joffrin qui représente Julie*, la victime en larmes au fond de la salle, pose la question : « Le tribunal est-il compétent ? Ce dossier est de nature criminelle, d’autant que monsieur a avoué. » Les magistrats échangent des regards quelque peu surpris et en conviennent vite : doivent-ils maintenir ou non la correctionnalisation de cette affaire ?
Pour statuer, il faut avant tout « l’accord de la partie civile », est-il rappelé. En vertu du Code de procédure pénale, la présidente Cécile Lemoine s’en enquiert pour la forme puisque Julie a déjà approuvé la démarche de son conseil. Me Joffrin confirme au pupitre.
« Son incarcération aura des conséquences dramatiques »
Il revient désormais à Marguerite de Saint Vincent de donner son avis : la procureure a « hérité » du dossier, elle doit soutenir l’accusation sans être à l’initiative des poursuites : « J’admets des difficultés, reconnaît-elle avec honnêteté. Oui, je requiers la saisine d’un juge d’instruction. » Autrement dit, elle recommande que le tribunal réoriente le « cas » vers le circuit qu’il aurait dû initialement emprunter. Il s’agit d’un crime, non d’un délit. Dès lors, la parquetière souhaite « que soient prises des mesures de sûreté : la détention provisoire jusqu’à la présentation au magistrat instructeur, qui décidera de la mise en examen ». Puis le juge des libertés et de la détention dira si Alexis doit être emprisonné ou si son contrôle judiciaire ordonné le 26 août, réitéré le 25 octobre, peut suffire.
Le prévenu semble ne rien comprendre aux événements qui s’enchaînent à toute vitesse. Venue de Paris pour l’assister, Me Aïcha Condé masque sa surprise : « Je prends acte », encaisse-t-elle sobrement. Toutefois, elle se bat pour la liberté d’un homme « qui a respecté toutes les dispositions très strictes de son contrôle judiciaire. Les temps d’audiencement sont tels qu’on ne sait pas quand il sera entendu. Il a un emploi, travaille dans la sécurité, et son incarcération aura des conséquences dramatiques ».
Julie pleure toujours quand les juges rendent leur délibéré : la prévention criminelle s’impose. Dans l’attente de sa présentation au juge d’instruction de permanence à Meaux ce jour-là, il est placé sous mandat de dépôt. Une escorte de policiers le prend en charge. « Rassurez-vous, Monsieur, il vous recevra dans l’après-midi », précise la présidente, consciente de la stupeur d’Alexis. A 20 h 30, il attendait toujours dans « la souricière », au sous-sol du palais de justice, que les nouveaux magistrats décident de son sort.
* Prénom modifié
Les erreurs d’aiguillage sont rares, mais il y en a. Pour un autre exemple, lire cette chronique Tribunal de Pontoise : « Je suis arrivé avec l’intention de tuer un Tunisien » – Actu-Juridique
Référence : AJU408214