Tribunal de Meaux : L’épouse victime s’est transformée en avocate de la défense
L’attitude de Leïla* n’a pas surpris les magistrats siégeant au tribunal de Meaux (Seine-et-Marne). Comme l’a relevé le procureur, « il est fréquent de voir le prévenu de violences conjugales minimiser ses actes, avec une mauvaise foi pas rassurante pour l’avenir, et la victime se transformer à l’audience en défenseur ». Ces comportements ne dupent plus personne.
Mohammed, un Marocain de 35 ans, répond de cinq infractions devant la chambre des comparutions immédiates du tribunal judiciaire de Meaux : par trois fois, les 10, 23 et 28 septembre à Chelles, il a frappé sa femme, qui attend leur premier enfant. Il lui a dérobé ses papiers d’identité et sa carte bancaire afin qu’elle ne puisse pas le quitter. Enfin, dernière prévention, la consommation de cannabis et de cocaïne. L’usage de drogue est à l’origine de la mésentente du couple.
Leïla* et Mohammed se sont rencontrés en 2020 au Maroc, se sont unis en grande pompe l’année suivante, se sont installés en Espagne. Puis, en 2022, ils sont arrivés en France « pour faire un essai », précise le prévenu de son box. Sa femme, assise face à lui, refuse de se constituer partie civile. Entre eux, un interprète en langue arabe qui va et vient à grandes enjambées.
« Quand il est normal, il est trop gentil »
La présidente Isabelle Florentin-Dombre rapporte les faits, d’une banalité affligeante. Les violences intrafamiliales sont aujourd’hui traitées de façon quasiment quotidiennes par les juridictions françaises. Elisabeth Borne, la Première ministre, a d’ailleurs missionné la sénatrice centriste Dominique Verien et la députée Renaissance Émilie Chandler, avocate, dans le cadre d’un « Plan rouge vif » visant à améliorer le traitement judiciaire. Les deux parlementaires ont rendu un rapport de 210 pages le 22 mai dernier.
Les faits, donc. Ivre et sous coke, Mohammed a mordu Leïla et l’a attrapée par le cou. À une assistante sociale, l’épouse a révélé que les coups « sont récurrents » depuis avril. Cela fait sept mois qu’elle ne dispose plus à loisir de son passeport, de sa carte de crédit. Le 2e épisode se déroule en pleine rue. Un automobiliste se porte au secours de Leïla, battue par Mohammed qui veut lui confisquer son téléphone. Enfin, le 28, la police est requise sur appel de la victime, encore frappée. La bande-son du « 17 » et les photos aux urgences ne laissent guère de place au doute.
Pourtant, à l’audience, Leïla parle de « sein attrapé » et non plus de coups, assure qu’il l’a « juste poussée », qu’il est « un peu tendu » s’il mélange la cocaïne et l’alcool, que « quand il est normal, il est trop gentil. Je l’aime, lui aussi. Je suis stressée à cause des hormones, c’est tout ». Ses documents personnels ? Ils seraient « rangés dans le sac de [son] mari. Il les prend car je veux rentrer accoucher en Espagne, j’y ai plus de droits qu’en France ».
« Les femmes ont toujours du mal à mettre en cause leur agresseur »
Mohammed est d’accord avec Leïla. Il ne l’a jamais giflée. « Si je l’ai fait, je ne m’en souviens pas. » Difficile de contredire le témoignage du chauffeur qui s’est garé pour le neutraliser. Aucun coup asséné, pas de bagarre même si leur voisine s’est une fois interposée. Bref, tout va bien : « Nous voulons repartir en Espagne, je l’ai juste priée de patienter. » D’où ses papiers dans son sac à lui. Le coiffeur n’a aucun antécédent judiciaire. « En garde à vue, vous indiquiez vouloir divorcer ? » s’étonne le procureur Éric de Valroger. « J’étais énervé. Depuis, j’ai réfléchi. J’ai un enfant qui va naître, je ne veux pas qu’il soit sans père. »
Le représentant du parquet s’avoue « inquiet », évoque ces attitudes « trop fréquentes à l’audience », d’un côté, on minimise, de l’autre, on refoule les violences jusqu’à les nier. « Les femmes ont toujours du mal à mettre en cause leur agresseur. C’est préoccupant. Sera-t-elle capable de se protéger, de porter plainte à nouveau ? Qui peut garantir qu’il ne récidivera pas ? » Il rappelle que l’immunité familiale ne s’applique pas pour la soustraction des papiers. En conséquence, il requiert un traitement, six mois de prison assorti d’un sursis probatoire de deux ans qui permettra de le surveiller.
En défense, Me Sylvie Queille affirme que si Leïla ne fournit pas à la barre une version similaire à celle livrée aux policiers, « c’est parce qu’elle n’avait pas d’interprète et ne connaît pas les subtilités de notre langue ». Les juges ne retiendront pas l’explication. Mohammed est condamné à huit mois de prison avec sursis, une mise à l’épreuve jusqu’en 2025 et l’obligation de se soigner. Répondra-t-il aux convocations du juge d’application des peines ? Partira-t-il en Espagne avec Leïla, si heureuse de le voir libéré ? L’avenir le dira.
* Prénom modifié
Référence : AJU393542