Tribunal de Meaux : L’escroc a profité de l’accès facile au Fonds de solidarité Covid-19
Modiba s’est cru plus malin que les services de l’Etat et de la Région Île-de-France. A partir du 1er mars 2020, il a détourné les aides destinées aux professionnels victimes des conséquences économiques de la pandémie de Covid-19. Comme des dizaines de milliers d’autres fraudeurs.
Dans son blouson bleu marine à liseré rouge et au tissu élimé, Modiba ne paie pas de mine. A 23 ans, ce livreur de plats pour Uber Eats n’a pas eu, seul, l’idée d’abuser le ministère de l’Économie et ses partenaires. Comme d’autres après lui, il est entré en relation sur le réseau social Snapchat avec des fraudeurs édifiés de la facilité à puiser dans le Fonds de solidarité mis en place pour limiter les cessations d’activité en France.
Jusqu’à ce que l’exécutif referme peu à peu le robinet, en raison du retour progressif à la normale, le débit d’aides a coulé à flots, « en vertu du quoi qu’il en coûte présidentiel », rappelle le président Servant, lundi 31 janvier à la 1ère chambre correctionnelle du tribunal de Meaux, en Seine-et-Marne. Des dizaines de milliers d’escrocs ont bénéficié du système, simplifié pour qu’une majorité d’entreprises puissent y avoir rapidement accès.
Une mystérieuse adresse IP lituanienne
Piteux, Modiba reconnaît les charges retenues à son encontre : escroquerie pour l’obtention indue d’allocations entre le 1er mars 2020 et le 19 juin 2021, tentative d’escroquerie aux indemnités entre le 23 mars 2020 et le 11 août 2021, blanchiment du produit de ces délits. La somme arnaquée ne s’élève « qu’à » 134 036 euros. Elle est modique au regard des 2,4 millions obtenus par des gérants fictifs arrêtés en février dernier à Lyon, plus encore si on la compare aux 5,8 millions extorqués depuis Dubaï (Émirats arabe unis) par l’influenceur français « PA7 », extradé en août 2021 et écroué en région parisienne. Toutefois, le mode opératoire et sa promotion sont identiques. « PA7 » et ses émules vantent leur combine sur Snapchat.
Lors du premier confinement, la simple inscription en ligne sur le site des impôts permet d’être éligible au fonds de solidarité (FDS) Covid ; jusqu’à 10 000 euros par mois, à l’époque, sans contrôles stricts. Il suffit de mentir, gonfler son chiffre d’affaires de 2019 pour simuler une perte de revenus, modifier si besoin l’activité de l’entreprise, déclarer de faux salariés. Ainsi, Modiba-le-coursier perçoit 24 823, puis 5 433 et 1 500 € en six mois.
Ses déclarations mensongères lui ont été soufflées par un inconnu titulaire d’une mystérieuse adresse IP (Internet Protocol) lituanienne. Il la lui prête moyennant rétrocession d’une commission. Cette IP va causer la perte du prévenu.
« La première voiture, je l’ai pétée. La deuxième aussi »
Au gré de l’évolution de la pandémie, les conditions d’obtention des aides se durcissent un peu. Pas assez pour empêcher une autre arnaque : le vol des données de sociétés véritablement dans le besoin. En avril 2021, grâce à l’usurpation de l’identité et du numéro Siret d’une garagiste, Modiba se fait remettre 90 919 euros. Jusqu’en octobre, il effectue aussi des demandes de chômage partiel, auxquelles il ne peut prétendre. Il empoche 12 280 €. Soit un total de 134 036 euros.
Quand Tracfin, le service de renseignement financier de Bercy, s’intéresse aux destinataires du FDS en 2020, ses agents découvrent 33 000 fraudeurs sur 92 000 contrôles effectués a posteriori. La facture s’élève à 43 millions ! Parmi les suspects identifiés par la suite, Modiba et son IP lituanienne. Le modeste livreur n’a jamais mis les pieds à Vilnius et n’y connaît personne. L’Inspection du travail francilienne mène une enquête parallèle. Cette fois, Modiba utilise une adresse IP à Nice gérée par un opérateur en Angleterre. L’étau se resserre jusqu’à son interpellation, le 28 janvier. Sur son compte bancaire, « dorment » encore 88 000 euros.
« A quoi a servi le reste de l’argent ? » demande le juge.
Le prévenu déploie ses bras ballants et s’en frappe les hanches, en un geste signifiant tant l’évidence que l’impuissance :
« – A vivre plus facilement…
– Vous avez acheté des choses ?
– Oui. Deux voitures. La première, je l’ai pétée. La deuxième aussi.
– Vous pétez deux véhicules sans être blessé, vous avez eu de la chance ! Et la somme sur votre compte, à quoi devait-elle servir ?
– J’ai versé 10 000 € à un intermédiaire. Je devais encore en envoyer 48 000 à l’étranger.
– Le tribunal comprend que vous n’étiez pas seul, dans cette escroquerie. »
« De l’argent facile en surfant sur la crise »
Guillaume Servant propose d’ailleurs « une éventuelle requalification des faits en complicité ou recel d’escroquerie ». Puis il s’attèle à la personnalité de Modiba : il vit chez sa mère, souffre d’une grave maladie du sang, a été condamné à un an de prison dont moitié avec sursis en 2020 à Nice. Il avait aidé des migrants à franchir la frontière franco-italienne. Uber Eats le paie 500 à 1 000 euros par mois pour livrer sa clientèle…
Partie civile, contributeur du FDS « à hauteur de plusieurs millions », la Région Île-de-France a dépêché Me Hamza Badreddine. L’avocat indique que « des dizaines d’affaires de ce type sont actuellement à l’instruction » par la collectivité. La procureure Léa Dreyfus confirme et fustige « l’appât du gain inadmissible au détriment du pacte de solidarité. » Elle requiert 18 mois de prison, dont le tiers « sous bracelet électronique » en raison de son état de santé.
Me Quentin Guernigou, commis d’office, regrette que son client « ait cédé à de l’argent facile en surfant sur la crise », soutient qu’il « n’avait aucune connaissance de l’ampleur de l’escroquerie ni la pleine conscience de son caractère frauduleux ». Il aimerait que l’on évite « sa désocialisation ».
Il sera entendu. Le tribunal requalifie les faits, la complicité est retenue, la peine atténuée : 16 mois, dont quatre ferme chez sa mère, un bracelet à la cheville. En revanche, Modiba devra rembourser jusqu’au dernier cent. La somme sur son compte est rendue à l’Etat. Le condamné agite de nouveau ses bras ballants, tel un oiseau qui prend son envol. Cette fois, on devine qu’il se demande comment restituer 40 000 € avec son salaire mensuel de misère.
Référence : AJU272406