Tribunal de Meaux : l’étrange cas d’Houcine, indésirable en France et en Algérie

Publié le 03/09/2021

Houcine doit quitter la France depuis 30 mois mais l’Algérie s’oppose à son retour. Alors il multiple les séjours en centre de rétention, en prison, à l’hôpital. Au tribunal de Meaux, le 27 août, son avocat découvre qu’il est « particulièrement surveillé pour des raisons devant rester secrètes ».   

Tribunal de Meaux : l’étrange cas d’Houcine, indésirable en France et en Algérie
Intérieur du TJ de Meaux ©I. Horlans

 C’est une histoire qui aurait pu inspirer Alfred Jarry, le créateur d’Ubu. Il a fallu près d’une heure aux juges pour démêler l’écheveau complexe qui a mené Houcine devant la chambre correctionnelle du tribunal de Meaux (Seine-et-Marne). Cet Algérien de 25 ans n’a pas été d’une grande aide car lui-même ne comprend pas pourquoi les autorités de sa patrie n’acceptent pas son retour. Arrivé en Île-de-France en 2018 dans « l’espoir de subvenir aux besoins de [sa] famille », il fait l’objet d’une « Obligation de quitter le territoire français » (OQTF) depuis le 27 février 2019. Elle est inapplicable puisqu’à Alger, on fait toujours mine d’étudier son dossier.

Ce vendredi 27 août, le voici revenu à la case départ : n’ayant pas respecté son assignation à résidence entre les 6 et 27 mai, il comparaît après 90 jours de rétention administrative. Et pour s’assurer qu’il ne va pas se volatiliser, l’accusation fait de lui « un individu sensible » que les services secrets ont à l’œil. A la stupéfaction de son défenseur, Me Jean-Christophe Ramadier.

En garde à vue, il tente de se pendre

 Houcine a noué ses cheveux en un petit chignon planté sur le sommet de son crâne. Chemise en jean bleu à col Mao, mains dans le dos, il se penche vers son interprète. Elle traduit deux phrases essentielles : « Je ne me suis jamais opposé à mon retour en Algérie. Ce n’est pas ma faute si je reste en France. » Effectivement, convient la présidente Emmanuelle Teyssandier-Igna, il n’a pas refusé l’expulsion. Elle retrace son parcours chaotique.

En 2018, il échoue en Turquie. En Grèce, il rencontre une Britannique. En voiture, ils longent la côte adriatique, mettent le cap sur Londres. Malade, Houcine doit s’arrêter en région parisienne. Les ennuis commencent. Sans ressources, il vit de rapines, fume du shit, se montre violent si on l’arrête, finit par commettre un vol aggravé. Il est incarcéré. Le préfet de l’Essonne délivre l’OQTF. Le 5 février 2021, à la sortie de prison, il est placé 90 jours en centre de rétention.

Le 6 mai, il est assigné à résidence aux Ulis (Essonne) durant un mois et demi. Il devra pointer chaque soir au commissariat. Il ne s’y rend pas. Au lieu de cela, il squatte chez un copain à Bailly-Romainvilliers, en Seine-et-Marne, pour se rapprocher du service psychiatrique qui le suit. Interpellé le 27 mai, il essaie de se pendre pendant sa garde à vue. Retour en centre administratif, 90 jours de rétention supplémentaires.

« Je suis sous traitement, j’entends des voix… »

 La juge redouble d’efforts pour déchiffrer son cheminement erratique.

« – Pourquoi n’êtes-vous pas allé aux Ulis ?

– Je n’ai pas compris, on m’a indiqué une adresse, je croyais que c’était un squat où j’avais vécu et où on m’avait interdit de revenir.

– Pourquoi vous rendre à Bailly-Romainvilliers ?

– J’allais très mal, il fallait que je sois chez quelqu’un. J’avais même du mal à faire ma toilette personnelle.

– L’ami en question dit ne pas vous connaître !

– Il doit avoir peur…

– Quelle est la nature de votre maladie ?

– Je souffre de troubles psychiatriques. Je suis sous traitement, j’entends des voix… »

La présidente compulse son dossier, trouve l’expertise qui mentionne des « idées noires » mais « pas d’éléments délirants ni d’accès maniaques ». Il est pourtant sous Risperdal, le neuroleptique prescrit contre les psychoses schizophréniques aigües et chroniques.

« – Quels sont vos projets ?

– Eh bien, la situation ne m’est pas favorable, je n’envisageais pas ainsi ma vie. J’aimerais me ressaisir, être accompagné sur le plan médical et rentrer au pays. Je demande votre clémence…

– Et le préfet, lui, vous demande de partir ! »

Houcine répète n’avoir jamais intenté de recours contre sa décision.

« Le procureur a des informations dont je ne dispose pas ! »

 « C’est un dossier simple », annonce le procureur Hervé Tétier, et tous ici en sont persuadés à ce stade de l’audience. Mais voilà que le magistrat dit qu’Houcine « a voulu disparaître des radars parce que, à l’évidence, il est une personne sensible ». Il serait, indique-t-il, « particulièrement surveillé pour des raisons devant rester secrètes ». En conséquence, il requiert dix mois d’emprisonnement et le maintien en détention. S’ensuit un moment de flottement, l’étonnement le disputant à l’incompréhension.

Me Jean-Christophe Ramadier traduit le sentiment dominant : « Sensible ? Je pensais que vous faisiez allusion à son état de santé et à sa tentative de suicide. Je réalise que ce n’est pas le cas. Sensible en quoi ? Parlons-nous de terrorisme ? Visiblement, le procureur a des informations dont je ne dispose pas. »

Commis d’office en milieu de journée, le défenseur déplore de ne pouvoir lutter à armes égales : « J’ai rencontré mon client à 13h45 pour la première fois et j’apprends qu’il serait suivi par la DGSI ou je ne sais qui ? Et pour quelles raisons ? Je ne le sais même pas ! » Il rappelle aussi que l’OQTF fut notifiée en 2019, qu’Houcine « n’était pas dans la nature », s’avoue surpris « qu’une peine lourde soit requise au nom d’éléments [qu’il] n’a pas ». Il demande au tribunal de « juger ce dossier tel qu’il est, et non tel qu’il est fantasmé », suggérant en conclusion l’option la plus raisonnable : « Si mon client est si dangereux, ne le renvoyez pas en prison ! Faites en sorte que son éloignement du territoire national s’exerce normalement puisqu’il est disposé à partir ! »

Houcine s’exprime en dernier. Il n’a pas tout saisi des motifs ayant conduit son avocat à hausser le ton. « Ça fait deux ans que suis privé de liberté, je veux retourner auprès de ma famille », dit-il simplement.

A l’issue d’un rapide délibéré, il est condamné à deux mois de détention. Ce laps de temps suffira-t-il à convaincre l’Algérie d’achever l’examen de son dossier ? Improbable. Alors Houcine repartira en centre de rétention.

 

Tribunal de Meaux : l’étrange cas d’Houcine, indésirable en France et en Algérie
Me Jean-Christophe Ramadier au tribunal judiciaire de Meaux le 27 août 2021 (Photo : ©I. Horlans)

 

 

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