Tribunal de Meaux : Mère et fils usurpent les permis d’un Anglais et d’une grand-mère

Publié le 27/03/2024

Sami gérait deux sociétés en Seine-et-Marne, et ses chauffeurs « avaient énormément d’amendes, jusqu’à une dizaine par jour ». Alors, avec ses proches, il a usurpé l’identité d’un Anglais et d’une aïeule, faisant d’eux des champions de l’infraction routière. Le préjudice de l’État se chiffre à environ 200 000 euros.

Tribunal de Meaux : Mère et fils usurpent les permis d’un Anglais et d’une grand-mère
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

« Il est très rare de voir une mère et ses deux fils dans une salle d’audience, souligne Alexandre Boulin, le substitut du procureur qui, ce jeudi 21 mars, soutient l’accusation au tribunal de Meaux. Il me semble qu’à votre place, d’autres s’effondreraient ! » Il s’adresse ainsi à Magalie, Sami et Karim, une mère et ses fils, à cause de leur attitude à la barre : elle apparaît désinvolte, voire acrimonieuse. Ils n’apprécient pas d’être renvoyés en correctionnelle pour escroquerie au préjudice du Trésor public et de titulaires de permis de conduire. À leurs yeux, il ne se serait agi que « d’une solution pour que les entreprises ne coulent pas ». Sami précise : « On m’a proposé d’acheter un permis sur Snapchat. Avec le recul, je reconnais que c’était une erreur ».

Le « recul » permet assurément de mesurer l’ampleur du phénomène. Les agents du Centre national du traitement des infractions routières (CNTIR) ont répertorié 1 300 contraventions et 458 délits imputables aux deux fous du volant dont ils ont usurpé l’identité : d’abord le Britannique James R. – son permis a été acquis via internet – puis la grand-mère de Sami, placée en maison de retraite. Le manque à gagner pour l’État « avoisine 200 000 euros », indique son avocate. Elle souhaite un renvoi sur intérêts civils tant l’escroquerie est tentaculaire.

« Je ne savais plus où donner de la tête »

Le CNTIR alerte la Police aux frontières (PAF) le 13 juillet 2021. Circulerait en France un Anglais qui prend nos nationales pour un circuit de Formule 1. Les investigations s’imposent d’autant plus que son bolide est flashé en deux endroits distants de 200 kilomètres à 12 minutes d’intervalle. Bigre ! La PAF confirme l’usurpation de l’identité de “Speedy” James. De son côté, la police nationale, saisie par le parquet de Meaux car 60 % des infractions sont commises en Seine-et-Marne, s’intéresse à l’octogénaire que la vitesse catapulte simultanément dans moult départements. Le mystère s’épaissit quand les forces de l’ordre découvrent mémé dans un EHPAD. L’enquête, difficile, aboutit à l’interpellation de Magalie, Karim et Sami à l’été 2023.

À la barre, Sami endosse la responsabilité de l’entourloupe : « J’étais jeune, dit l’homme aujourd’hui âgé de 29 ans. Je gérais les deux sociétés, on avait une flotte de 15 à 20 véhicules, les chauffeurs avaient des amendes et je ne savais plus où donner de la tête. Ça mettait les boîtes en péril… » Il achète donc le permis de James R., en est désolé : « Ce n’est pas logique de faire du mal à la loi (sic) et à Monsieur qui n’était pas ciblé. » Sur la réitération des faits, pas seulement pour épargner le retrait de points aux chauffeurs puisque Sami a profité de la combine, comme sa famille ? Ma foi, « ça a été un engrenage ».

« Je travaille depuis 40 ans, je n’ai pas le temps d’ouvrir le courrier »

Magalie a escamoté le permis de sa propre mère, invalide : « Elle m’a dit “j’ai plus besoin de conduire, prends-le”. » La vieille dame a ainsi commis 41 infractions de son fauteuil de handicapée. Le président Stéphane Léger peine à croire la prévenue de 55 ans, qui se dit innocente : « Je ne sais rien de cette histoire, mes fils géraient les contraventions.

– Vous n’ouvrez jamais le courrier ?

– Je travaille depuis 40 ans, je n’ai pas le temps.

– Pas même les lettres des Impôts ?

– Non. Jamais. »

Le procureur : « Dans votre téléphone, on a trouvé quantité d’amendes et de contraventions, des pièces d’identité de diverses personnes, y compris étrangères. Et dans vos affaires, des permis…

– Ce sont des copies qu’on fait pour la société.

– Et les avis de contraventions ?

– Je ne sais pas ! »

À Sami, il est aussi reproché d’avoir « vendu » l’embrouille à des tiers, via Snapchat : moyennant 30 €, un contrevenant pouvait utiliser le permis du Britannique. Lequel n’a heureusement jamais été arrêté en France. Dans le cas contraire, face à pareil micmac, il aurait rencontré les pires difficultés. Sami conteste avoir ainsi gagné de l’argent, en dépit des témoignages. Son compte « Snap / amendes », encore actif l’année dernière, serait donc pure invention des policiers ? « Bon, j’ai fait deux amendes (sic) à la voisine qui a supplié trois semaines, j’ai fini par accepter par courtoisie… Pareil pour des amis et mes proches mais je n’ai pas fait de business ! » Aussi relève-t-il du hasard que 71 contrevenants aient bénéficié de l’identité de James.

« Je ne suis pas là pour des histoires de stups en 2008 ! »

Quant à Karim, 37 ans, s’il admet avoir su, il se défend d’avoir « participé » au trafic : « J’ai triché avec quelques amendes à un moment où j’avais plus que trois points. C’est tout. » Et en 2022 ? « Oui, j’ai utilisé le permis de ma grand-mère. Une fois. » Bras croisés sur le torse, agacé, il ne comprend pas les questions sur son passé, son casier, ses suspensions et annulations de permis de conduire, sur la saisie au domicile des parents et grands enfants (ils vivent ensemble) de plusieurs Rolex et sacs de luxe. « Je suis un ancien footballeur professionnel. » Ainsi justifie-t-il le train de vie familial.

Puis, énervé : « Oh je suis là pourquoi, exactement ? Pour des amendes. Je ne suis pas là pour des histoires de stups en 2008 ! » Le calme légendaire du président Léger vole en éclats : « Chacun doit assumer la responsabilité de ses actes frauduleux ! Vous vous fichez de votre comportement et des conséquences pour la victime ! »

Un assesseur, à Sami : « Ça ne vous dérange pas d’impliquer votre mère ?

– Le but était de sauver ma société. J’ai pas réfléchi aux conséquences. »

Le procureur rappelle que « ne pas dénoncer des chauffeurs est une chose, ne pas assumer le paiement d’infractions en est une autre ». Toutefois, il tient compte de l’ancienneté des délits (2016 à 2021), et requiert une relaxe partielle. Contre Magalie et Karim, il suggère 120 jours-amendes à 8 et 4 €, 6 mois de prison avec sursis probatoire de 2 ans à l’encontre de Sami, ainsi que le remboursement de l’État par le trio.

En défense, Me Louis Balling convient, comme le parquet avant lui, qu’il « est désarmant et critiquable de voir une mère et ses enfants » devant un tribunal correctionnel.

Lequel rend son délibéré à l’issue d’une heure de réflexion. S’agissant des relaxes partielles, il suit le réquisitoire. Le montant des jours-amendes est relevé à 8 € pour la mère et l’aîné, le cadet est condamné à 8 mois de prison avec sursis probatoire. Déclarés solidairement responsables du préjudice, ils en connaîtront le montant en janvier prochain.

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