Tribunal de Meaux : « Pas une seule préfecture ne régularisera votre situation ! »
En dépit d’obligations de quitter le territoire français, administrative et judiciaire, Ismaël et Rachid ont signifié par leur attitude, au tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), qu’ils se moquent de la justice. Ils ont inventé des excuses à dormir debout pour expliquer une tentative de vol aggravé et des violences contre un gendarme.
Il est rare d’entendre autant de bêtises proférées en un court laps de temps, une heure à peine de procès en chambre correctionnelle. À tel point qu’on se demande si l’interprète traduit mal ou si l’avocate commise d’office leur a au moins déconseillé de prendre les magistrats pour des idiots. Rachid, Marocain de 18 ans, et Ismaël, Algérien de 29 ans, sous escorte dans le box, sont soupçonnés d’un fait initial qui ne casse pas trois pattes à un canard : tentative de vol de trottinette au centre commercial de Torcy.
Le délit est en revanche aggravé par les blessures infligées à un gendarme (sept jours d’ITT pénale), le coup porté au propriétaire de l’engin, l’état de récidive légale dans lequel ils ont opéré, leur passé de « professionnels du vol », ainsi que les qualifie la procureure Marlène Leroy. Et leur situation irrégulière en France justifierait à elle seule qu’ils ne la ramènent pas.
« La pince coupante ? C’était pour un mariage ! »
« Ces messieurs sont très connus », relève la présidente Isabelle Verissimo. Inscrit au fichier des personnes recherchées (FPR), Rachid a été sanctionné pour vols aggravés, recel et une affaire de drogue, à Paris, Bobigny (Seine-Saint-Denis), Créteil (Val-de-Marne) ; son dernier passage devant les juges date du 16 juin. Il fait également l’objet d’une OQTF. Ismaël aussi, qui par surcroît est interdit de territoire durant trois ans par le tribunal de Lyon où il a été condamné pour violence avec arme, vol, rébellion en janvier.
Selon l’accusation, Rachid faisait le guet à la sortie du centre commercial à une heure de grande affluence et Ismaël essayait de sectionner l’antivol de la trottinette. « – Non ! riposte celui-ci. J’ai demandé à Rachid de prendre une photo de moi à côté parce que j’en veux une pareille.
– Et la pince coupante que vous teniez ?
– C’était pour un mariage. Je devais m’occuper des câbles d’électricité.
– Alors pourquoi vous enfuir ?
– Quand j’ai vu le propriétaire arriver, j’ai eu honte.
– Raison pour laquelle vous l’avez frappé et jeté au sol ?
– En fait, j’avais pris son klaxon.
– Vous savez que vous êtes interdit de séjour en Seine-et-Marne ?
– Oui, mais je ne connais pas la région. Paris ou Torcy, je confonds.
– Et pourquoi vous rebeller contre un gendarme ?
– Juré, je l’ai pas violenté ! C’est lui qui m’a planté. Je veux voir les images de vidéosurveillance.
– Vos explications ne tiennent pas la route », conclut la juge.
Chauffeur Uber « sans être déclaré, comment est-ce possible ? »
Celles de Rachid ne sont guère plus convaincantes. Il dit être allé « acheter une veste » : « – Elle était trop chère, alors j’ai téléphoné à ma femme pour qu’elle apporte l’argent. Je l’attendais, je ne faisais pas le guet.
– Les caméras vous ont filmé. On vous voit surveiller…
– Il y a un malentendu. Je ne connais pas monsieur. Je travaille chez Uber.
– En situation irrégulière, sans être déclaré ? Comment est-ce possible ?
– Un ami a ouvert un compte à son nom pour me dépanner. Je ne vole plus car je me suis marié il y a un mois avec une fille de 19 ans.
– Dont vous ne connaissiez pas le numéro de téléphone, selon le rapport…
– Je ne l’ai pas mémorisé.
– Où habitez-vous ?
– Chez une connaissance…
– Vous ne savez pas le nom de l’homme qui vous héberge ?
– Euh, monsieur Mohamed, je crois…
– Quels sont vos projets ?
– Vivre comme une personne lambda et avoir une carte de séjour.
– C’est mal parti, vous en êtes conscient ?
– … »
Leur personnalité ne plaide pas leur faveur. Rachid est arrivé en France à 14 ans, mineur déscolarisé en primaire, embarqué sur la Méditerranée « à plusieurs car [sa] mère ne pouvait pas s’occuper de toute la fratrie ». Il ne parle toujours pas français. Comme Ismaël pourtant installé à Lyon depuis des années : libéré de prison à la mi-juillet, il a passé 50 jours en centre de rétention administrative (CRA), regrette « de n’avoir pas été renvoyé dans [son] pays ».
« Ils racontent vraiment n’importe quoi ! »
« Je veux rentrer en Algérie », assure Ismaël. « Vous auriez pu y repartir d’initiative », objecte la présidente. « Le CRA ne m’a pas obligé. » Rachid, lui, n’a pas envie de retourner au Maroc : « J’ai un travail d’intérêt général à effectuer. » Et il a « épousé une Française ».
La parquetière Leroy déplore « l’absence totale de remise en question des prévenus. Ils racontent vraiment n’importe quoi et n’ont aucun avenir en France à cause des OQTF, de l’interdiction judiciaire du territoire. Pas une seule préfecture ne régularisera votre situation ! » Elle requiert un mandat de dépôt à l’audience, l’incarcération de Rachid durant cinq mois, un an à l’encontre d’Ismaël. « Je suis écœuré », lâche ce dernier.
Leur avocate a beau plaider « le doute » quant au rôle de guetteur attribué au premier et « l’indulgence » en faveur du second, rien ne peut effacer la désinvolture des deux. Le tribunal suit les réquisitions. Ils sont interdits de séjour dans le département jusqu’en 2026. Le montant du préjudice du gendarme sera fixé en octobre prochain. Reste à savoir s’ils seront encore en France car, rappelle la présidente, « les OQTF restent valables ».
Référence : AJU402384