Tribunal de Meaux : « Popeye » et le « Renoi » balancés par les « nourrices » de drogue
L’affaire examinée le 21 janvier au tribunal de Meaux (Seine-et-Marne) aurait mérité l’ouverture d’une instruction judiciaire. Au terme de leur comparution immédiate, les prévenus ont été incarcérés sans que l’on sache s’ils étaient propriétaires des 21 kilos de cannabis saisis. Le chef du réseau peut dormir tranquille.
Anthony, 23 ans, comparaît entre trois gendarmes, le haut de survêtement chiffonné. Il adresse un signe à sa mère et à sa compagne, assises parmi le public de la 1ère chambre correctionnelle. A l’issue de sa garde à vue jeudi, la juge des libertés et de la détention (JLD) n’a pas pris le risque qu’il fuie. Il a donc passé une nuit en prison, la première de sa vie.
Elle a en revanche accordé sa confiance à Kevin, 24 ans, supposé comparse du trafic de stupéfiants organisé dans la cité Blanche, à Noisiel. Comme il l’a promis la veille à la JLD, il se présente à la barre du tribunal ce vendredi 21 janvier. Vêtu d’une chemise et d’un pantalon en jean gris perle, le jeune homme à la stature athlétique est accompagné d’un ami. Dans le sac de ce dernier, une paire de baskets passe-partout que Kevin troquera contre ses Nike flambant neuves s’il est incarcéré le soir même. Une précaution qui ne l’empêche pas de croire en sa bonne étoile : il nie les faits et Anthony, qui les admet en partie, l’exonère de toute complicité.
« J’ai très peur pour mon fils, il va falloir déménager »
La prévention est lourde : acquisition, détention, offre ou cession, emploi, transport de drogue du 15 juin 2021 au 10 janvier 2022, le tout en récidive. Anthony, alias « Popeye », surnom du petit marin bourru créé par l’auteur de cartoon E. C. Segar, a déjà été condamné pour les mêmes délits en 2018. Comme Kevin « le Renoi » (Noir en verlan), en 2019. Ils avaient bénéficié de l’indulgence des juges, quelques mois de sursis « afin de leur tendre la main », rappellera la procureure. Cette fois, on devine vite que ce ne sera pas le cas.
Les charges qui pèsent sur Popeye et le Renoi font suite à une perquisition dans le foyer du « quartier de reconquête républicaine » de Noisiel-Torcy, autrement désigné « circonscription du cannabis ». Lundi 10, 25 policiers et la chienne spécialisée dans la détection de stups y opèrent une descente. L’animal stoppe devant l’appartement d’un couple, chez qui sont saisis 21 kilos de résine de cannabis, 36 grammes de cocaïne, des balances de pesée, des pochons : « 150 000 euros de produits à la revente », selon l’accusation. Les gardiens percevaient 300 euros par mois et 50 grammes de haschich. Jugée avec son mari le 14 janvier, la femme a confié ses craintes : « J’ai très peur pour mon fils, il va falloir déménager. » Ils ont écopé de dix et quinze mois de prison avec sursis probatoire.
Locataire d’un logement où on « coupait la drogue », une 3e nourrice a été interpellée. A l’instar du couple, elle identifie sur planche photos « Popeye qui apportait des sacs deux à trois fois par semaine ». Elle reconnaît aussi « le Renoi qui coupait et chargeait. Il est venu une quarantaine de fois chez moi avant que je dise stop. Il donnait des ordres à Popeye. »
« Je n’ai rien à voir avec ça ! Et mon surnom, c’est Croco ! »
Les perquisitions au domicile respectif des deux suspects, le 13 janvier, ne débouchent sur rien. Seuls 400 € sont placés sous scellés car la chienne a « marqué » devant les billets. Pourtant, la mère de Kevin justifie du retrait de la somme à la banque. Se sachant recherchés, les suspects se présentent au commissariat.
Du box des prévenus, Anthony-Popeye confirme ses aveux : « J’ai amené des sacs mais j’ignorais ce qu’ils contenaient. » La présidente Verissimo, trop habituée à ce type d’excuses : « – Allons, vous alliez chez des nourrices !
– Oui, je savais que c’était de la drogue mais pas qu’il y en avait autant.
– Combien vous touchiez ?
– 10 à 20 euros par recharge.
– Donc, vous vous faisiez avoir par rapport aux nourrices ?
– On me donnait en plus de quoi assurer ma conso, un gramme par jour.
– Et votre ami ici présent, il est impliqué ?
– Non. Jamais il ne l’a été. »
A la barre, mains croisées dans le dos, Kevin-le Renoi est formel :
« – Je n’ai rien à voir avec ça ! Et mon surnom, c’est Croco ! J’ai suivi une formation de conducteur de bus, j’ai eu mon diplôme en 2021, je travaille.
– Comment expliquez-vous que Madame C. vous reconnaisse ?
– Je ne sais pas, on s’est peut-être croisés au café près du foyer. J’y vais de temps en temps. »
La procureure est plus précise : « Votre téléphone borne sur place 21 jours sur 30 tout l’après-midi. » « Impossible, riposte Kevin. Jamais de la vie, j’y passe juste boire un café ! » En l’absence d’éléments supplémentaires que l’information judiciaire aurait fournis – écoutes, surveillances susceptibles de mener à la tête du réseau, examen des comptes bancaires –, on en reste là.
« Le parquet se contente de l’écume, sans creuser »
La personnalité des prévenus n’éclaire pas plus. Anthony-Popeye vit chez sa mère, la quittera pour sa compagne quand ils se marieront. Il a un CAP de cuisinier, ne travaille plus depuis le premier confinement. A son casier judiciaire, huit mentions pour usage de stupéfiants jusqu’à la 9e, en 2018, année du 1er trafic « pour rembourser une dette. J’ai grandi mentalement », assure-t-il. Depuis quand ? « Deux mois… »
Kevin-le Renoi habite aussi chez sa mère et se remet d’une agression : les mains et une jambe brisées. Son casier signale cinq infractions mineures, la 6e pour avoir fourni du shit à son frère en centrale pénitentiaire. « Erreur de jeunesse, je regrette », dit-il.
Rappelant que « ce point de deal est extrêmement dangereux » (un mort et un blessé grave le 27 avril 2021), « qu’il est un enfer pour le voisinage », la procureure Marguerite de Saint-Vincent estime les charges constituées. Contre Anthony, elle requiert 36 mois de prison dont moitié ferme et une obligation de soins. A l’encontre de Kevin, une peine identique, sans soins puisqu’il n’est pas consommateur, et l’incarcération immédiate, qu’il fasse appel ou non.
Me Thierry Benkimoun, du Barreau de Meaux, défend Anthony : « On a la chance de saisir une quantité considérable, des nourrices qui parlent, et on ne mène pas d’enquête sérieuse ? Le parquet se contente de l’écume, sans creuser, en vertu de la politique du chiffre ! » L’avocat s’étonne que son client « n’ait même pas été confronté aux nourrices, ce droit lui a été dénié. Le parquet a scindé les deux dossiers pour aller vite et moi, je me débats en comparution immédiate. » Il sollicite le placement sous bracelet électronique.
Au côté de Kevin, Me Marie-France Meslem, venue de Paris, est tout aussi abasourdie : « Dans son seul procès-verbal, la nourrice qui l’accuse dit voir mon client “une quarantaine de fois”, puis “rarement”, et finalement elle ne sait plus trop. Nous ne sommes pas là pour subodorer, cela n’arrive pas quand la procédure est carrée. Où sont les indices contre lui ? De la drogue ? Non. Son ADN chez les nourrices ? Non. De l’argent ? Non. Pourtant, le gros dealer, il en a et il ne conduit pas un bus ! Mais ce n’est pas grave, on vous envoie ce dossier, à vous de juger si c’est lui, p’tèt bien qu’oui, p’tèt bien qu’non. » Elle espère « une relaxe au bénéfice du doute. Montrez ainsi que vous êtes indépendants ».
Tandis que les juges délibèrent, quatre policiers pénètrent dans le prétoire. Mauvais signe : un mandat de dépôt va être décerné. Kevin tend ses Nike, chausse ses vieilles baskets. Vingt minutes plus tard, l’escorte le menotte. 36 mois de détention, 18 avec sursis. Anthony, qui a avoué, est condamné à 15 mois de prison ferme. Il en fera 20, le tribunal a prononcé la révocation du précédent sursis. Sa mère et sa fiancée fondent en larmes.
Référence : AJU269678