Tribunal de Meaux : « Possessif dans l’affection », il lui fracture le nez

Publié le 29/11/2023

Le jeune homme qui comparaît devant le tribunal de Meaux (Seine-et-Marne) n’a jamais eu affaire à la justice. Effondré, il avoue avoir frappé sa compagne jusqu’à lui briser le nez. Lisa* assiste au procès, un œil au beurre noir tranchant sur son visage pâle. Pour lui échapper, elle a failli se défenestrer.

Tribunal de Meaux : « Possessif dans l’affection », il lui fracture le nez
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 « Si je l’ai enfermée, c’est par amour. J’ai peur qu’elle m’abandonne. J’ai eu de mauvais gestes déplacés, je suis tombé dans une rage folle. Je m’en veux énormément. » David* fond en larmes, sa peau vire au rouge, il essuie son nez dans sa manche, et regarde Lisa* anéantie sur son banc de partie civile. Le bras droit de la jeune fille s’agite de mouvements convulsifs. Plus tard, ils secoueront tout son corps, le président Stéphane Léger interrompra une plaidoirie pour l’inviter à sortir « prendre un peu d’air ».

David, 26 ans, a été arrêté samedi 25 novembre vers 19 h 15. Depuis l’après-midi de la veille, il retenait Lisa chez lui porte verrouillée. La battait « entre des accalmies », comme il dit. « Mais jamais à poings fermés », précise-t-il de son box, croyant que cela fait une différence. Il répond du double chef de séquestration et violences sur sa partenaire, les faits des 24 et 25 ayant déjà été commis en juillet. Sans une voisine qui a alerté les secours, effarée de voir Lisa rencognée contre la rambarde du balcon, elle l’aurait peut-être enjambée. Cet été, elle a sauté et chuté sur un balcon de l’étage inférieur.

Il défonce la porte des toilettes où elle s’était réfugiée

Testé positif au cannabis, David est également poursuivi pour son usage. Il admet fumer « huit joints par jour pour atténuer [sa] dépression ». Celle-ci est née de ses relations tourmentées, « toxiques », précise-t-il. Lisa est la deuxième femme qui l’obsède. Selon l’expert psychiatre qui l’a examiné en garde à vue, « la dépression et la drogue ont favorisé son passage à l’acte ». Lequel a pour origine sa jalousie : « Elle recevait des appels de son ex, donc j’ai pris son téléphone. C’est insupportable, il peut la contacter 40 fois alors qu’elle est sur mon canapé ! » Le premier coup est ainsi parti.

Lisa, qui veut retourner à son travail, est coincée : les clés de l’appartement sont dans la poche de David. S’ensuivent d’autres coups, une nuit blanche. Lisa, à la barre : « Il m’a proposé de parler, de faire des puzzles mais j’étais réfractaire à tout, même s’il venait gentiment vers moi, d’où sa frustration, son énervement. Il n’accepte ni ma parole ni mon silence. Je suis restée huit heures sans dire un mot. C’est un mécanisme de défense. » Samedi, la rage de David s’accroît. Lisa se réfugie dans les toilettes. Il l’y laisse « deux, trois heures » : « Après, j’ai défoncé la porte. Pendant que je soignais ma main en sang, elle est partie sur le balcon ». Lisa s’y recroqueville quatre heures dans le froid. Et craque : « Elle voulait sauter et il la tirait par les cheveux, témoigne la voisine. Je criais “arrêtez de la frapper” ! »

« Avec des trucs comme ça, je pouvais mourir… »

 Les agents découvrent Lisa « en état de choc, prostrée et blessée ». Elle est transportée à l’hôpital où sont constatés des hématomes et écorchures, une fracture du nez. La victime refuse que soit fixée une incapacité pénale de travail supérieure à huit jours, qui aggraverait la situation de David. À la barre, elle explique : « Je sais qu’il est très amoureux et j’ai été éperdument attachée à lui. Il m’apportait quelque chose de beau, de pur. Quand il m’a rendu mon portable, j’ai été incapable d’appeler la police, je ne pouvais pas lui faire ça. Ce sont mes silences qui le rendent agressif. » Comme nombre de femmes battues, Lisa veut endosser une part des responsabilités. « Elle culpabilise ; il se victimise », résume son avocate. Situation désespérément classique.

Lisa : « Mais c’est fini. Je ne veux plus être avec lui. Avec des trucs comme ça, je pouvais mourir ». David acte la rupture : « Je dois voir un psychiatre. C’est horrible. Je ne suis plus moi-même. » Il jette des yeux angoissés à sa mère assise dans la salle. Et Lisa tremble désormais des pieds à la tête sous le regard protecteur de son père.

« L’amour ne signifie pas exercer le contrôle sur l’autre »

 Le président, ses assesseurs, le parquet tentent de soutirer des explications à ce jeune qui n’a même jamais reçu une amende. « – Pourquoi cette “rage folle” ?

– Je ne sais pas… Je suis accro à elle. Je suis possessif dans l’affection.

– Possessif dans l’affection ?! Il y a un problème !

– Je sais, c’est grave. J’aurais pu tout faire pour elle…

– Vous comprenez son traumatisme ?

– Oui. C’est très inconscient de ma part.

– Et pourquoi huit joints par jour ?

– Je suis assez émotionnel, ça me canalise. Avant, j’avais le sport. »

Il n’en pratique plus, ne travaille plus. Trop déprimé.

La respiration saccadée de Lisa inquiète. Elle sort pendant que son conseil sollicite le renvoi sur intérêts civils après une expertise.

La procureure Léa Dreyfus s’interroge : « Comment peut-on être sûr qu’il ne recommencera pas ? » David a juré « ne jamais la revoir. Plus jamais », a-t-il répété. Comment le croire quand, en 2023, 119 femmes ont été tuées par leur conjoint ? « Vous n’avez aucun droit sur elle qui n’est pas un objet, lui assène-t-elle. Et, à l’adresse de Lisa : « Vous n’êtes responsable en rien de ces faits extrêmement graves, avec deux grosses séquestrations ». Elle le rappelle : « l’amour ne signifie pas exercer le contrôle sur l’autre. »

L’absence d’antécédents judiciaires la convainc que peuvent suffire quinze mois avec sursis probatoire de deux ans. Elle requiert l’obligation de soins, un stage pour réfréner sa violence et l’interdiction d’approcher Lisa durant trois ans.

« La réponse de la procureure est bonne », estime Me Thierry Benkimoun. « Défendre, c’est comprendre, indique-t-il à Lisa qu’il a questionnée, sans minimiser ni excuser ses actes. Même lui ne se cherche pas d’excuses. » Il cite Serge Gainsbourg pour décrire une « relation toxique » conjointement décrite : « Je t’aime, moi non plus. » Se fuir sans réussir à se séparer. Aussi préfèrerait-il « les soins, l’éloignement, un suivi strict par le JAP » (juge de l’application des peines) plutôt qu’une détention ». David n’ajoute rien.

Il est condamné à deux ans de prison, six mois sous bracelet électronique. Les autres réquisitions sont suivies, il sera sous le contrôle du JAP jusqu’en 2025. Lisa reçoit 2 000 € de provision, sera expertisée par un psychologue. Les intérêts civils seront débattus dans un an. La jeune fille s’enfuit au bras de son père. Sous son manteau gris, on distingue encore des spasmes.

* Les deux prénoms ont été modifiés

 

Tribunal de Meaux : « Possessif dans l’affection », il lui fracture le nez
Me Thierry Benkimoun au Tribunal de Meaux (Photo : ©I. Horlans)
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