Tribunal de Meaux : « Quand on se fait agresser, on n’a plus toute sa tête »
En dépit de son casier judiciaire très chargé, Felisberto a bénéficié d’une peine d’un an sous le régime de semi-liberté cet été. Las, le 18 novembre, il n’est pas rentré au centre pénitentiaire, s’octroyant un grand week-end hors les murs. Son excuse, « un guet-apens à la sortie de la gare », n’a pas convaincu le tribunal.

Le Cap-Verdien de 31 ans qui comparaît devant la chambre correctionnelle de Meaux (Seine-et-Marne) a tenté d’embobiner les magistrats quand il eût été préférable d’admettre, dès l’ouverture des débats, une série d’erreurs –finalement reconnues au bout d’une heure. Au lieu de cela, Felisberto s’est emberlificoté dans ses mensonges pour justifier son évasion, la prévention retenue contre cet ouvrier du bâtiment interpellé le 21 novembre. Soit trois jours après que sa disparition du centre pénitentiaire a été signalée.
Quand il arrive dans le box, cela fait une semaine qu’il dort en cellule : sa semi-liberté est révoquée jusqu’au 6 décembre. À cette date, imagine-t-il, l’aménagement sera rétabli par son juge de l’application des peines (JAP).
Sauf que rien ne va se passer comme il le prévoit, à cause de ses craques.
« J’ai été frappé à coups de matraque »
Sweat blanc sous blouson marron, Felisberto présente donc une première version de son escapade, qui débute vendredi 18 : « Je rentrais du travail. Je suis tombé dans un guet-apens à la sortie de la gare de Meaux. J’ai été frappé à coups de matraque. J’avais des hématomes, un trou dans le crâne, une entorse à la cheville. Je suis rentré chez moi pour me mettre au lit. » Plausible, cette partie du récit va vite avoir du plomb dans l’aile. Aussi va-t-il l’améliorer au fil de l’instruction à l’audience.
Le président Stéphane Léger : « – Pourquoi ne pas prévenir la prison ?
– J’ai appelé plusieurs fois mais je ne savais pas quoi dire.
– Vous avez raconté que vous étiez à l’hôpital, on vous y a cherché…
– Oui, je comptais y aller, seulement je n’arrivais pas à marcher. »
Felisberto commence à s’enferrer.
La procureure Léa Dreyfus : « – La gare de Meaux est équipée de caméras de vidéosurveillance. À l’heure indiquée de l’agression, on ne vous y voit pas.
– On ne m’a pas identifié car, ce jour-là [vendredi], je n’avais pas de tresses. Ma sœur me les a faites dimanche quand j’ai déjeuné chez elle.
– Elle indique avoir vu une blessure sur votre crâne, vous lui dites quoi ?
– Que je me suis cogné. Je ne voulais pas l’inquiéter. »
« Forcément, si on lit mon casier, ça me retire en arrière »
Dubitatif (euphémisme), le juge insiste : « – Ce même dimanche, alors que l’on vous recherche, vous postez sur Snapchat une photo de vous destinée à votre compagne. Vous semblez aller très bien…
– C’est pour la rassurer car elle est enceinte de six mois. On voit juste mon visage, pas les hématomes sur mon corps.
– Aucune de vos explications n’est cohérente !
– Quand on se fait agresser, j’espère que ça ne vous arrivera jamais, on n’a plus toute sa tête. Je comptais rentrer mais j’étais perdu. Je n’ai pas inventé mes blessures, regardez les justifications (sic) du médecin.
– Vous avez déjà réintégré le centre en retard, alcoolisé qui plus est…
– Oui, une fois, le jour où j’ai appris que j’allais être père. »
Felisberto s’embourbe.
La procureure : « Vous faites l’objet de plusieurs rapports du SPIP [Service pénitentiaire d’insertion et de probation], 20 incidents ont été relevés par la JAP de Meaux, le dernier rappel date du 3 octobre ! Elle vous a indiqué que la semi-liberté pouvait être suspendue ! » Il bougonne, conscient que rien ne va plus. D’autant moins que le président énumère les sanctions qui figurent à son casier judiciaire depuis 2011. Vols, violences, extorsions ; la litanie donne le tournis.
« Forcément, si on lit mon casier, ça me retire en arrière, riposte-t-il, ça fait toujours ça. » Comprendre : mauvaise impression au tribunal. « Je ne suis pas fier. J’ai même honte ! Depuis 2019, je me tiens à carreau. Je vais finir comment, si on ne me laisse pas ma chance ? »
« Bon, d’accord, j’ai commis trois erreurs »
Ainsi Felisberto oublie-t-il sa condamnation en juillet, une autre en août à Paris. Le Cap-Verdien arrivé sur le territoire national avec sa mère en 2002, titulaire « de papiers français », précise-t-il, n’en peut plus d’être confronté à ses fables. Il s’amende : « Bon, d’accord, j’ai commis trois erreurs. » Il les liste : « Un, ne pas appeler la prison vendredi soir. Deux, ne pas être allé à l’hosto. Trois, ne pas avoir porté plainte. Si je pouvais revenir en arrière… » Impossible.
Contrariée « qu’il raconte n’importe quoi pour s’en sortir », la parquetière rappelle que « la semi-liberté est une faveur au regard de ses antécédents » et que, « s’il respecte l’obligation de travailler, il a violé les règles plusieurs fois ». Pointant ses mensonges, elle remet les pendules à l’heure : « Même s’il a réellement été agressé, cela n’a aucun impact sur l’évasion. » Compte tenu de la date de fin de peine (juillet 2024), elle n’a « pas d’autre choix que de requérir trois mois ferme avec maintien en détention. Le JAP appréciera la suite à donner ».
En défense, Me Thierry Benkimoun objecte que l’agression, « sauf à penser qu’il s’est blessé seul en tombant », peut avoir altéré ses réactions : « Il n’a pas eu les bons réflexes, alerter le SPIP, la police, aller à l’hôpital. Il s’est réfugié chez lui pour se sentir en sécurité par rapport aux agresseurs. Vous croyez vraiment qu’on s’évade en étant à son domicile ? » L’avocat meldois convoque « les efforts au travail » de son client et tente un va-tout : que le tribunal laisse la main au JAP sur la question du mandat de dépôt.
Felisberto implore « une dernière chance ».
En vain. Les réquisitions sont intégralement suivies. L’escorte lui passe les menottes. « Je dois commencer un nouveau chantier », lâche-t-il, interdit que la justice ne lui fasse pas encore une faveur. Avec un peu de chance, il recouvrera la liberté pour l’accouchement de sa femme.
Référence : AJU405648
