Tribunal de Meaux : « Si je ne suis pas respecté en France, je rentre au Mali ! »

Publié le 26/06/2024

Dramane est miséreux. Sans titre de séjour ni travail, il survit de-ci de-là en région parisienne depuis 2019, année de son arrivée du Mali. Il est hébergé dans un hôtel social « où il y a toujours du bruit ». Le 24 mai, à Claye-Souilly (Seine-et-Marne), l’homme a craqué et s’en est pris à deux enfants. Puis, armé d’un couteau, il a « repoussé la foule ».

Tribunal de Meaux : « Si je ne suis pas respecté en France, je rentre au Mali ! »
Intérieur du TJ de Meaux ©I. Horlans

L’interprète colle son épaule droite contre la vitre du box des prévenus de la 3e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Meaux. Il traduit à Dramane le rapport des faits qui lui sont reprochés : violence sur mineurs de 11 et 13 ans ; violence contre les adultes qui se sont interposés. Le tout sans incapacité de travail, bien qu’un homme ait été blessé à une main et un orteil. Le prévenu comparaît entre des policiers car il n’a pas respecté le contrôle judiciaire lui interdisant de retourner sur le lieu de l’altercation. Le 27 mai, trois jours après son interpellation, le Malien de 21 ans a rejoint la chambre d’hôtel où il est hébergé gracieusement par une association qui aide les immigrés. C’est d’ailleurs l’objet de sa première objection : « C’est l’endroit où j’habite ! Comment un juge peut-il m’empêcher de dormir à mon domicile ? »

La patience des magistrats va être mise à l’épreuve pendant toute la durée du procès à cause de l’incompréhension par Dramane des droits et devoirs de chacun. Par exemple, « attraper par le col » une fillette de 11 ans qui a « ressenti un sentiment d’étranglement », « tirer par les cheveux » le frère de 13 ans qui la défend, « les menacer avec un couteau de cuisine » comme indiqué sur le procès-verbal, ne veut pas dire, à ses yeux, qu’il a « violenté des enfants ».

« J’ai eu peur de la foule. Mais je n’ai piqué personne ! »

 Aussi se défend-il, sans avocat, d’avoir commis des gestes répréhensibles : « Il y a toujours du bruit, dans cet hôtel. Les enfants crient, me cherchent. Il était plus de 21 heures ! À quelle heure dorment-ils ? » Le président veut bien convenir que « la situation est difficile » dans ce type d’établissement, toutefois « il existe d’autres moyens de la régler. En parlant, notamment ». Dramane : « Oui, c’est la meilleure méthode mais ils ne m’entendent pas. Je suis allé leur demander d’arrêter de crier, ils m’ont dit de dégager, ils se sont foutus de ma gueule !

– Avez-vous, oui ou non, attrapé la fille et tiré par les cheveux le garçon ?

– Oui.

– Donc, ce sont des éléments constitutifs de violences.

– J’étais l’objet de moqueries…

– Les adultes qui sont intervenus disent que vous étiez agité. Un employé de l’hôtel a dû vous maintenir, tellement vous étiez virulent.

– C’est un résident, pas un employé ! Il m’a provoqué.

– Et l’autre personne qui a été blessée quand votre couteau s’est cassé ?

– Il s’est fait mal tout seul en tombant.

– Bon, je ne sais pas si on va y arriver », pressent Stéphane Léger.

Le juge assesseur Guillaume Servant, à sa suite : « Pourquoi portiez-vous un couteau ?

– Je l’avais comme ça.

– En garde à vue, vous avez indiqué devoir vous défendre. Contre qui ?

– J’ai eu peur de la foule. Je l’ai repoussée. Mais je n’ai piqué personne !

– Nous ne sommes pas aux USA. On ne se promène pas armé.

– C’était un couteau de cuisine… »

« Comment faire, alors, si les enfants n’écoutent pas ? »

Zoé Debuse, substitut du procureur, tente à son tour de faire comprendre à Dramane « qu’on n’a pas le droit de taper des enfants. Même si on est les parents.

– Comment faire, alors, si les enfants n’écoutent pas ? »

Interrogé sur sa vision globale « de la situation », il répond vivement : « Je n’ai rien à dire. » Le psychiatre qui l’a examiné n’a « pas décelé de troubles ayant altéré son discernement », ne « recommande pas de soins ». Il reste donc à étudier son parcours de vie, vite résumé : de la misère, et encore de la misère. Si Dramane n’a pas de casier, il est cependant clandestin depuis l’année 2019.

« Vous avez effectué une demande de régularisation ?

– Oui.

– Quel est votre statut ? Vous avez un titre de séjour ?

– Non. J’ai juste un récépissé.

– De quoi vivez-vous ?

– L’État me donne une allocation, l’association me loge à l’hôtel. Parfois, je fais un travail.

– Jusqu’à quand serez-vous pris en charge ?

– Ce n’est pas précisé.

– Si on vous libère ce soir, où irez-vous ?

– Je ne sais pas. »

Et ainsi de suite.

« Vous quittez le département dès ce soir, c’est compris ? »

 À l’issue du dialogue de sourds, la procureure requiert « la moins pire des solutions » : six mois de prison sous le régime de la semi-liberté, 100 euros d’amende, l’interdiction de reparaître à Claye-Souilly. Elle tient compte de « sa perception de la réalité qui est différente » de la scène filmée, et de sa mécompréhension des obligations d’un citoyen.

Dramane est fâché : « Si je ne suis pas respecté en France, je rentre au Mali ! Je suis d’accord pour repartir dans mon pays. »

Il est finalement condamné à six mois de sursis simple, 100 € d’amende et a interdiction, durant trois ans, de contacter les victimes et de séjourner en Seine-et-Marne. « Avec exécution provisoire, lui indique le président. Cela signifie que vous quittez le département dès ce soir. C’est compris ? »

Il dit oui. Et repart avec les policiers. Il n’a pas d’avocat pour lui expliquer qu’il a quand même le droit d’aller récupérer son petit paquetage à l’hôtel où vivotent des résidents dans la même galère que lui.

 

 

 

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