Tribunal de Meaux : « Si tu pouvais choper le Covid et en crever, ça m’arrangerait »
A partir de 6 ans, Marie* a subi la violence et les insultes de sa mère. En 2022, après l’avoir dénoncée, l’adolescente a été placée chez une parente. Ce 23 février, au tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), elles se revoient sans se regarder. Isabelle n’exprime pas de regret : « J’en veux plus », dit la prévenue de son enfant, comme si elle parlait d’un vieux vêtement.
Il est 21 heures lorsque la présidente Armelle Lamouroux, juge unique qui siège à la 3e chambre correctionnelle de Meaux, rappelle à la barre la mère dont l’attitude a « bouleversé » la salle. C’est la procureure, Léa Dreyfus, qui a utilisé 50 minutes plus tôt ce verbe résumant l’émotion générale. De son pas lourd, la femme s’approche, traîne des pieds, produisant un bruit de Charentaises sur du parquet. Elle retrousse les manches d’un épais gilet noir, ajuste le col de sa chemise blanche, de son pantalon distendu en skaï. « Eu égard à votre positionnement, aux mots cruels tenus ici envers votre fille, je prononce le retrait de l’exercice de l’autorité parentale », indique la juge. Ancienne chef d’escadron de la gendarmerie nationale, longtemps confrontée aux drames intrafamiliaux avant d’intégrer la magistrature en août 2020, Madame Lamouroux s’est résolue à prendre cette décision rare, en sus d’une peine de prison avec sursis probatoire. La seconde prononcée en l’espace de onze mois dans ce palais de justice contre Isabelle, 52 ans, pour violences alors exercées contre son mari, aujourd’hui décédé.
Isabelle encaisse sans broncher. De toute façon, elle refusait de « reprendre la gamine qui a un sale caractère ».
Derrière elle, assise avec son avocate et l’administratrice ad hoc qui veille sur elle, Marie, délicieuse jeune fille gracile, pousse un soupir, ébauche un sourire. Orpheline de père, la voici libre de poursuivre ses études et de se reconstruire. Plus d’autorisations à demander à sa mère indigne.
« Si je comprends bien, personne ne vous aime ? »
Les débats ont commencé à 18 h 45. Bras croisés sur sa poitrine ou ballants, l’air renfrogné, Isabelle a d’abord nié les violences sur mineure de moins de 15 ans par ascendant, commises à compter du 28 janvier 2016 au domicile où vivait encore l’époux et père alcoolique, puis sur mineure de 16 ans. À cet âge-là, Marie a tout raconté à la psychologue scolaire. Elle lui avait déjà fait part de tensions à la maison, la professionnelle avait relevé « son état difficile, ses crises d’angoisse, ses absences, ses bleus ». Toutefois, il fallait que Marie parle. Elle a fini par confier les misères endurées, les gendarmes ont été alertés par le lycée.
La juge : « – Vous reconnaissez les faits ?
– Des insultes, les cheveux tirés, oui, mais pas régulièrement.
– Une fois, c’est une de trop. Et les coups assénés avec une casserole, une poêle, les jets d’objets dans sa direction, les claques, la violence verbale ?
– J’me souviens pas. Elle cherchait systématiquement les problèmes.
– Ne lui avez-vous pas dit : “Si tu pouvais choper le Covid et en crever, ça m’arrangerait” ? »
– Jamais ! Elle aussi tirait mes cheveux et m’insultait.
– Un enfant n’insulte pas ses parents sans raison. Il reproduit ce qu’il voit. Qui est la mère ?
– Moi. Mais il vaut mieux qu’elle reste avec la famille de mon défunt mari. Tous autant qu’ils sont, ils ne m’ont jamais aimée. Je veux plus de ma fille.
– Vous dites que personne ne vous aime, vous ne parlez plus à votre mère. Ce n’est pas un peu de votre faute ?
– … »
« Envoyer un couteau dans la tête, ce n’est pas méchant ? »
Avec le recul, que pense-t-elle de cette tragédie familiale ? « C’est derrière moi. Je suis heureuse. J’ai retrouvé un compagnon. On fait du rangement, on repeint les volets. Mon médecin traitant me trouve calme. » Comment les ponts ont-ils été définitivement rompus ? « Un jour, elle m’a lancé “t’es pas ma mère” alors que j’avais vécu des opérations durant 29 ans afin de l’avoir grâce à un don d’ovocytes. Elle cherche sa mère biologique, on ne la connaît pas, c’est un don anonyme protégé par la loi.
– Mais ce n’est pas une insulte !
– Oui, mais avec tout ce que j’ai subi…
– Donc c’est vous la victime…
– Oui, je sais.
– C’était une question, Madame, pas une affirmation !
– …
– Et les violences contre feu votre époux ?
– C’était pas méchant.
– Lui envoyer un couteau dans la tête, ce n’est pas méchant ? Pour tout ce dont vous êtes poursuivie, avez-vous des regrets ?
– Pas du tout ! »
La procureure : « – Réalisez-vous la violence de vos propos à l’audience ? Vous cherchez à lui faire mal, à la piquer ? Ne pensez-vous pas qu’elle en souffre ?
– Je sais pas. Je la vois pas.
– Qui est la victime ?
– C’est moi puisqu’on m’accuse ! »
La présidente conclut l’interrogatoire définitivement vain : « On a compris que vous êtes heureuse avec votre nouveau conjoint. »
Le visage rond d’Isabelle est tout rouge, elle essuie son nez dans son gilet. Impossible de savoir si elle pleure sur son sort ou si son chagrin est lié à des remords informulables.
« Autocentrée, elle n’a pas su protéger sa fille »
L’administratrice ad hoc évoque la vie apaisée de Marie, sa reconstruction difficile, son courage, ses bonnes notes au bac français. La mère : « Je suis contente pour toi. Ton père le serait. Paix à son âme. » Première fois qu’elle lui adresse directement la parole. La jeune fille se détourne. Son avocate, Me Mélanie Albatangelo, s’avoue perplexe : « Les bras m’en tombent. J’ai l’impression d’avoir perdu mes repères. Comment a-t-elle pu résister à ce climat de violences physiques, et aux mots parfois pires ? » Elle rassure le tribunal : « Marie est placée, en sécurité, entourée, aimée. Elle dit “ne plus jamais vouloir voir Isabelle”, ne l’appelle plus maman. » L’avocate soumet la question d’un retrait de l’autorité parentale.
La procureure Léa Dreyfus se veut « transparente » : « En lisant le dossier, je ne pensais pas la requérir. Mais, comme nous tous, j’ai été bouleversée par les propos particulièrement violents de Madame à l’audience. Est-elle dans le déni ? Je la crois plutôt autocentrée, elle n’a pas su protéger sa fille, et ne se remet pas en cause. » Insistant sur sa condamnation pour violence envers son mari le 23 mars dernier – six mois de sursis probatoire de deux ans, obligation de soins dont elle s’est dispensée comme de ses visites à la conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) – « j’y suis pas allée car il fait mauvais temps » –, Madame Dreyfus requiert cette fois dix mois de sursis sous surveillance du juge de l’application des peines et du CPIP durant deux ans, l’obligation stricte de soins ainsi que d’indemniser la victime, « symbole de la réparation ». Et le retrait de l’autorité parentale.
En défense, Me Vinciane Jacquet, plaide a minima la confusion des peines, s’étend sur « l’enfance gravement affectée » d’Isabelle, ses « carences ». Le visage rond de la prévenue est si écarlate qu’on dirait un ballon gonflable prêt à éclater.
Armelle Lamouroux, ex-commandante de gendarmerie qui a mené un de ces interrogatoires pointus comme lors d’une garde à vue, va suivre toutes les réquisitions. Elle rejette la confusion des peines, octroie 2 000 € à Marie. Isabelle maugrée, part au bras de sa sœur, seule de la famille qui a renoué après dix ans de brouille. Le compagnon « qui la rend heureuse » les suit, sonné par les débats. Demain, il poursuivra la réfection des volets.
La présidente s’empare d’un dernier dossier. Un accident grave causé par une conductrice parisienne de 44 ans qui téléphonait au volant et a refusé d’obtempérer aux sommations. Une affaire dans l’air du temps, en Seine-et-Marne…
* Prénom modifié
Référence : AJU352968