Tribunal de Meaux : Sous bracelet électronique, il va sur un point de deal en trottinette

Publié le 19/12/2023

Yassine joue-t-il « le naïf », comme le croient les magistrats du tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), ou manque-t-il « de maturité », thèse de la défense ? Quoi qu’il en soit, ce n’est pas malin d’enfreindre son contrôle judiciaire lorsqu’on porte un bracelet électronique qui vous géolocalise en temps réel.

Tribunal de Meaux : Sous bracelet électronique, il va sur un point de deal en trottinette
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 Yassine, 22 ans, parka marine et air renfrogné, patiente avec trois policiers. Pour l’instant, la présidente de la chambre des comparutions immédiates s’interroge : où est l’avocat d’Andy, un maigrelet condamné à 30 mois de prison pour violence aggravée ? Il a interjeté appel le 27 novembre et vient demander sa remise en liberté jusqu’à la future audience. On cherche son défenseur qui a soumis la requête au tribunal correctionnel, incompétent : « Il fallait s’adresser à la cour d’appel », finit par expliquer Cécile Lemoine. Andy, hagard, au bord des larmes : « Qu’est-ce que je fais, maintenant ? » « Eh bien, l’escorte va vous ramener en prison. » Il pleure. Son avocat reste injoignable. Espérons qu’il ne facturera pas son erreur.

Au tour de Yassine, dont le conseil est présent. Heureusement, car le jeune homme est mal parti. Depuis l’année 2019, il enchaîne les sanctions pour trafic de stups, violence, rébellion, outrage, conduite sans permis. Interdit de séjour à Villeparisis en 2021, durant trois ans, il s’obstine à y retourner. Le 5 décembre, la police l’y a de nouveau arrêté : en trottinette électrique, bracelet électronique à la cheville, il sillonnait un point de deal de la ville.

« Toute ma vie on m’a interdit de voir ma mère ! »

L’apprenti maçon, qui cumule les infractions en récidive, paraît considérer le tribunal comme un petit théâtre de marionnettes dont lui serait Guignol. Il va donc s’évertuer à enfariner ses interlocuteurs. La présidente, aimable, sincèrement curieuse : « Cela vous semble une bonne idée de violer votre contrôle judiciaire sous le régime d’une DDSE [détention à domicile sous surveillance électronique] qui permet de savoir où vous êtes ?

– Ah ben non, mais je l’ai pas violé ! J’avais demandé la permission à mon CPIP [conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation].

– Vous savez bien que seul le juge de l’application des peines [JAP] peut accorder ce type d’autorisation, et uniquement pour une bonne raison.

– Ah bon ? Moi, j’ai demandé plusieurs fois à mon CPIP. C’était bon. »

Habitué des procédures, ayant expérimenté toutes les formes de privation de liberté, Yassine connaît les prérogatives du JAP et du CPIP. Et, tout se faisant par écrit, son dossier ne révèle aucun privilège accordé ce jour-là.

« – Qu’alliez-vous faire à Villeparisis ?

– Voir ma mère qui est malade et chercher des documents.

– Sur un point de deal ?

– J’passais par-là.

– C’est la troisième fois !

– J’ai rien fait de mal ! »

La procureure : « Ce n’est jamais votre faute, n’est-ce pas ?

– J’ai rien fait de mal, répète-t-il, furieux. Ça m’énerve, toute ma vie on m’a interdit de voir ma mère ! »

La présidente lui cloue le bec : « Votre mère, vous l’avez surtout obligée à vous accompagner au tribunal pour enfants dès votre plus jeune âge ! »

« C’est quoi, un mandat de dépôt ? »

 Yassine bougonne, s’agace que soit détaillé son passé, justifie des délits en récidive, par exemple la conduite sans permis, d’une excuse encore jamais entendue : « C’est parce que je n’arrive pas à prendre le bus avec les petits de 16 ans. » Aux yeux de la procureure Marguerite de Saint Vincent, « cet homme multi-réitérant joue le naïf, fait semblant de ne pas comprendre et ne respecte aucune règle. Le JAP a tout tenté pour l’extraire de son milieu, du trafic de drogue à Villeparisis ». La justice lui ayant plusieurs fois tendu la main (semi-liberté et DDSE), elle requiert une peine ferme de huit mois avec mandat de dépôt à la barre.

Me Claire Vinh San doit composer avec l’impertinence de son client et un « casier judiciaire digne d’un inventaire à la Prévert. Il a tendance à oublier que ses interdictions s’étalent dans le temps. C’est un jeune qui ne sait pas se gérer, il a la maturité qu’il a… »

Comment ruiner une plaidoirie en quelques mots ? « J’suis pas naïf, j’suis énervé ! » s’emporte Yassine. « Et c’est quoi, un mandat de dépôt ? » Peut-on raisonnablement croire qu’il ignore la définition de cet acte juridique ?

A la reprise d’audience, les juges répondent à sa question. Ayant suivi les réquisitions, ils ordonnent l’incarcération immédiate du jeune homme. Il reste interdit par cet inattendu baisser de rideau. Lui qui a si souvent berné la justice réalise que sa mansuétude a des limites.

 

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